Faut il rappeler la passion qui accompagne toute réflexion sur la laïcité ? Or nous sommes toujours surpris de découvrir à ces occasions que le sens des mots est ignoré, ainsi que leur origine, alors même que les débats s’engouffrent assez vite vers des prises de position péremptoires et sectaires (dernier en date, Mars 2011, sans que le sujet de fond de l’islam n’ait été correctement traités). Il nous semble que beaucoup d’aspects de la laïcité « à la française » seraient abordés plus sereinement si l’évolution du sens des mots au cours de l’histoire était mieux connue.
Pour revenir aux sens premiers des mots :
1. Le kleros grec (Κλήρος) était à l’origine le lot reçu par le hasard ou par l’héritage.
Dans un glissement progressif chez les juifs et chez les chrétiens il s’est assimilé à ceux qui avaient reçu Dieu en héritage. Puis pendant tout le Moyen Age il a désigné les lettrés dans les monastères et chez les contemplatifs réguliers, seuls lieux de connaissances, de lecture et d’écriture. Désignant peu à peu le moine copiste d’un monastère, le clerc s’est identifié à tout homme savant et lettré (définition chez Littré). Le Petit Robert le définit comme une personne instruite. Pendant près de 1.400 ans le clergé a été le seul dépositaire des connaissances jusqu’à la diffusion de l’imprimerie.
2. Le laos grec (λαος – différent du peuple constitué comme force politique dans la Cité demos (δήμος) – était la foule, la foule des guerriers, foule non instruite. λαός a aussi donné liturgie avec la racine ἐργο « faire, accomplir », qui désigne donc, littéralement, le service du peuple. C’est un culte public et officiel institué par une Église.
Le Christ s’adressait aux foules, laos (Odon Vallet); laicos, λαίκός signifie « du peuple », puis « profane », au sens premier de non religieux. Le terme a évolué vers le latin ecclésiastique laicus (pour la première fois chez Tertullien, vers 230 après J.C.) pour désigner logiquement une personne « ni ecclésiastique ni religieuse » (Littré).
Inusité jusque vers le XVIème siècle, il a désigné ceux qui ne font pas partie du clergé (Petit Robert).
Littré le trouve dans Bossuet : « un pape laïque », et dans Fénelon.
Le Petit Robert le trouve chez Voltaire : » missionnaires laïcs ».
C’est uniquement en France à partir de 1870, que le mot laïque tout en conservant le sens de non-religieux a progressivement désigné une posture anti-religieuse, anticléricale, surtout anti-catholique glissement sémantique alimenté par les ateliers les plus à gauche du Grand Orient. Cette obédience avorton de la maçonnerie universelle, non reconnue par elle, de création purement française, athée et délibérément anticléricale, fut à la pointe du combat contre l’église catholique de France et le demeure aujourd’hui.
Sur l’universalité
Ce petit détour vers l’origine des mots n’est pas sans intérêt car il met en lumière deux points:
* La conception française de la laïcité telle qu’elle a été développée depuis Gambetta et ses républicains ne relève d’aucune universalité, contrairement à ce que s’acharnent à défendre les adeptes d’une laïcité de combat à la française.
* Elle est de naissance très récente sur une échelle historique, dont l’unité de mesure est de 200 ans chez tous les historiens classiques de l’Université.
On cite souvent le 5ème amendement de la Constitution américaine comme modèle et source de la laïcité. Or que dit il ? :
« Le Congrès ne pourra prendre aucune loi ayant pour objet d’établir une religion ou d’en interdire le libre exercice ».
Non seulement une telle rédaction ne contient pas l’idée d’un combat contre les clergés, quel qu’ils soient, mais les pères fondateurs de la Fédération étaient imprégnés de la Maçonnerie Écossaise, dite régulière et universelle, dont l’initiation impose:
· la croyance en Dieu
· la croyance en l’Immortalité de l’âme
Et s’il y avait un doute, le billet de One Dollar porte imprimé les principaux symboles du 33ème grade…
La déclaration de Philadelphie proclame un certain nombre de vérités « tenues pour évidentes » telles que « l’existence de la Divinité, la vie à venir, le bonheur des justes, le châtiment des méchants, la Sainteté du Contrat social et des lois. » Sur de tels fondements, la violence des attaques anticléricales à la française à la fin du XIXème siècle et au début du XXème aurait été inconcevable aux États Unis.
Ce que l’on appelle la séparation de l’église et de l’État est donc toute relative dans la Fédération. Qu’on en juge:
· Lors de son investiture tout personnage officiel (Président, présidents de Chambres, assemblées des États, Juges … etc), prête serment sur la Bible, souvent en faisant un signe maçonnique.
· La référence à la religion est permanente. Des candidats à l’investiture affichent leur appartenance. Il est courant d’entendre le « God bless you » en toute occasion. Non seulement on ne cache pas sa religion mais on l’affiche volontiers par des signes extérieurs: beaucoup de juifs portent leur kippa, et il n’est pas rare de voir les catholiques arriver à leur travail, le front ostensiblement enduit de cendre, le lendemain du mercredi des cendres.
· Comme il n’est pas rare de prononcer le bénédicité en début de repas dans les familles.
Toute la société américaine est imprégnée de religiosité. Madame Michèle TRIBALAT fait très bien ressortir ces points. Mais au total et très objectivement, quel rapport avec la France du XXème siècle ?
Et pour regarder les choses de plus près faisons un petit tour du monde.
Au Royaume Uni, le souverain est le chef de l’église anglicane, la révolution de 1689 (la seconde) s’étant bornée à imposer que les lois du Parlement sont supérieures au pouvoir du monarque. Le matin, la BBC débute ses émissions avec la lecture d’une page de la Bible, et il n’est pas rare qu’une messe soit diffusée dans la semaine. Les fêtes chrétiennes y sont célébrées. Le grand quotidien The Times maintient en bonne place une devise fameuse « Dieu et mon Droit ». La société anglaise étant une société de classe, élitiste par nature, les communautés se cotoient.
En Russie, la Pâques orthodoxe est célébrée avec des banderolles dans les rues affichant « Christ est ressuscité » et les gens se saluent dans la rue en se disant « Christ est ressuscité ».
En Inde, toutes les fêtes hindoues d’un panthéon très riche sont fidèlement célébrées et le personnel politique ne manque pas de faire savoir qu’il a rempli son devoir spirituel vis à vis du Temple. Là encore les signes extérieurs des célébrations sont portés avec naturel.
En Allemagne on déclare sa religion sur sa feuille d’impôts, et la notion de « libre penseur » n’a pas grand sens pour un Allemand. En Octobre 1977, l’évènement dramatique du détournement d’un avion de la Lufthansa vers Mogadiscio, se conclut par l’assassinat du pilote, et l’assaut réussi des forces spéciales, mais en représailles, l’assassinat du patron du patronat allemand Hans-Martin Schleyer quelques jours plus tard. Devant le Bundestag le chancelier Helmut Schmidt effondré déclare « avec l’aide de Dieu, nous gagnerons contre la barbarie ». (Faut il préciser que ce serait impensable en France ?).
Dans tous les pays à système de monarchie parlementaire, le monarque est la référence spirituelle en tant que Royauté Sacrée, même dans les pires situations, comme au Cambodge. En Thaîlande le premier ministre révère le Roi.
Petit voyage incomplet si l’on ne cite pas les taoïstes, les shintoïstes et les bouddhistes qui entretiennent et vénèrent le petit autel des ancêtres à l’entrée de l’habitation.
Comme nous le voyons, prétendre que la laïcité héritée de 1870 est universelle et que la France serait la référence, a quelque chose de totalement irréel et de fâcheusement présomptueux, avec un orgueil mal placé qui le dispute à l’aveuglement.
Sur l’Ancienneté
Il est aussi de bon ton de lui attribuer une ancienneté qu’elle n’a pas. Michèle Tribalat (citée), emportée par son élan, nous dit » … Historiquement, la laïcité française, c’est, après des siècles de rivalité, la mise au pas de l’Eglise par la République, pour qu’elle se cantonne dans son magistère spirituel … ». En fait de siècles, la République sous la forme d’aujourd’hui n’a jamais que 140 ans d’âge !
Tel député de bonne foi, dans un article de mars 2004, » La laïcité pour tous » nous dit » Plongeant ses racines loin dans le passé … » ce qui est tout aussi rapide.
S’agit il d’évoquer la lutte éternelle entre les Prêtres et l’État, dans les trois fonctions indo-européennes ? Elle ne date pas de 1789. Le Gautama Bouddha s’est heurté aux Brahmanes 500 ans avant notre ère, un rabin qui a fini sur une croix avait demandé que les deux pouvoirs soient honorés (ce qui, donc, n’allait pas de soi …). Et plus près de nous le Droit divin de la Monarchie a volé en éclat devant Luther, Calvin et la Réforme qui a soufflé sur l’Europe, et en France le Jansénisme.
Une troisième affirmation hasardeuse nous inflige que le triptyque de la République serait une création révolutionnaire, alors qu’il est d’essence strictement religieuse, diffusé par la Maçonnerie universelle des Constitutions d’Anderson :
· Liberté : au sens où l’Homme est la seule créature vivante sur la Planète à pouvoir choisir en toute conscience entre le Bien et le Mal; pouvoir unique qui imprègne tous les Livres sacrés de l’Humanité.
· Égalité : c’est l’égalité devant la mort, la seule réelle, fatalité très tôt perçue dans la destinée de l’Homme, là aussi partout inscrite, aussi loin que l’on peut décrypter des textes et des vestiges.
· Fraternité : l’idée que tous les Hommes sont issus de la même matrice.
On est donc très loin des élucubrations d’un jacobinisme centralisateur. Il va de soi que le petit instituteur barbu à la tignasse hirsute, fabriqué par les IUFM de monsieur Jospin, n’a pas les connaissances pour enseigner ces fondements comme nos maîtres et nos professeurs « de la laïque » les offraient avant mai 1968, aux jeunes cervelles dont ils avaient la charge, secondés par les manuels d’Albert Malet et de Jules Isaac.
Le G.O. a organisé un tintamarre à l’occasion du discours de Nicolas Sarkozy à Latran (20 décembre 2007), faisant à nouveau le contresens d’appeler à l’aide les Lumières comme rempart à toute référence religieuse. Agitation bien inutile dans la mesure où monsieur Sarkozy lui-même n’a certainement rien compris à ce qu’il lisait, mais surtout sans fondement étant donné que les Lumières en question n’ont jamais prétendu éradiquer la Transcendance.
Le professeur canadien de sciences politiques (aujourd’hui disparu) Jacques Zylberberg résume un tour de la « laïcité » dans quatre pays, Allemagne, Angleterre, États Unis, Canada en ces quelques mots : « Dans les quatre pays étudiés, il n’existe pas de laïcité juridique ou sociétale au sens français. Même aux États-Unis des pouvoirs publics et un système scolaire neutre coexistent avec une société civile balisée par les institutions religieuses. Dans les trois autres pays, des régimes quasi concordataires maintiennent des situations de confessionnalité importantes en dépit de la sécularisation sociétale. Dans ces quatre pays, le pluralisme et la fragmentation des appartenances et des références influencent des espaces publics et des sociétés civiles sécularisées mais non laïques ». (à suivre)
A partir du XIXe siècle, la laïcité a constitué le principe qui a légitimité la séparation des Eglises et de l’Etat. La distinction classique du spirituel et du temporel est alors redéfinie dans une optique nouvelle : les Eglises sont exclues en tant que telles de la sphère publique, pour voir leur champ d’action cantonné à la société civile.
L’Etat, il faut le souligner, n’est pas en principe hostile à la religion, mais seulement aux prétentions terrestres de l’Eglise. Il ne cherche pas non plus à se substituer à l’Eglise, en décidant à sa place des valeurs et des normes qui doivent régir la société : bien au contraire, il estime que la puissance publique doit rester « neutre » en ce domaine, c’est-à-dire qu’elle n’a pas à proposer un modèle particulier de bien, mais plutôt à respecter ou à garantir le pluralisme des convictions et des valeurs dont la société civile est le lieu.
Le paradoxe est que l’Eglise doit alors se créer une place en tant qu’institution dans une société civile définie, par opposition justement à la sphère institutionnelle, comme la sphère de l’intimité individuelle et des intérêts privés. L’Eglise retrouve donc une légitimité en tant qu’institution privée, mais à la condition de ne plus se mêler de politique en voulant normer la conduite des affaires publiques.
Dans ce cadre, l’affiliation religieuse ne peut plus engager que les fidèles eux-mêmes. Ceux-ci ont bien entendu le droit de vivre leur foi, mais perdent celui de l’imposer aux autres. La conséquence capitale est que la croyance devient ainsi une opinion parmi d’autres – une opinion aussi légitime que les autres, mais qui ne saurait être considérée comme intrinsèquement meilleure ou supérieure. Les Eglises ne sont plus qu’une composante parmi d’autres d’une société civile qui s’organise sur la base de l’adhésion volontaire de ses membres.
A contrario, le laïcisme ou catholicophobie est un courant d’idées qui remonte au protestantisme. Après avoir ensanglanté la France durant la seconde la seconde moitié du XVIe siècle, elle fut réduite à néant au XVIIe siècle, mais allait revivre, sous sa forme moderne, au XVIIIe siècle et de façon beaucoup plus radicale.
Pour la plupart des philosophes, il ne s’agit plus en effet de réformer l’Eglise catholique, mais de la détruire comme le proclame Voltaire dans sa tristement célèbre formule « Ecrasons l’infâme ! ».
La loi de 1905 est toujours là et bien là et reste le support légal d’un laïcisme agressif qui a gangrené en profondeur la société française.
« La Foi est une relation personnelle avec Dieu,elle ne peut être que LIBRE et VOLONTAIRE et personne ne doit être contraint à croire malgrè soi. »Monseigneur André Vingt Trois.Merci à Thulé pour ce commentaire ou l’essentiel est cité.Bien à vous tous.