Sur un livre. Entre 1933 et 1945, Soviétiques et nazis ont tué quatorze millions d’êtres humains en Europe de l’Est.
Cette traduction récente chez Gallimard de l’ouvrage de l’historien américain Timothy Snyder (Yale), « Terres de sang », paru en Octobre 2010 aux États Unis sous le titre « Bloodlands : Europe between Hitler and Staline », vient combler un vide. On ne trouve pas en France un ouvrage aussi documenté (et accusateur) sur la collusion objective, historiquement incontestable, et la complicité entre Staline et Hitler pour avoir procédé au cœur de l’Europe à l’assassinat industriel de populations à une échelle jamais rencontrée jusque-là dans l’histoire de l’humanité. Mao et ses séides feront mieux 15 ans plus tard. Le sujet lui-même a contraint l’auteur à ne commencer son étude qu’après l’installation ferme de Staline au pouvoir, c’est-à-dire, 1930 environ (décembre 1934, assassinat de Serguei Kirov). Et donc ne sont pas considérées les périodes précédentes de Lénine et Trotsky, elles aussi horriblement jonchées de cadavres d’innocents. La géographie des Terres de sang comprenait la Pologne, les pays Baltes, la Biélorussie soviétique, l’Ukraine soviétique, et la frange occidentale de la Russie soviétique.
( Traduit de l’anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat, Gallimard, 705 p., 32 € : http://mediabenews.wordpress.com/2012/06/14/timothy-snyder-terres-de-sang-l-europe-entre-hitler-et-staline/ )
Les ouvrages sur le sujet sont tous britanniques et américains. Quand Snyder s’interroge sur l’absence de référence française, il apporte une réponse qui n’est pas inexacte mais notoirement incomplète. Selon lui, tout ce qui aurait ressemblé à une mise en accusation trop poussée du stalinisme, aurait été assimilé à une apologie du nazisme. C’est oublier comment le communisme s’est installé en France à partir du congrès de Tours, et l’action de l’organisation internationale qui ordonnait. Seuls quelques chercheurs historiens ou journalistes consacrèrent leurs études à ce que Stéphane Courtois vient d’appeler « Le bolchevisme à la française ». Une autre pièce de base est son « Eugène Fried », en collaboration avec sa directrice de recherche, la regrettée Annie Kriegel, biographie excellemment documentée de l’officier traitant de Maurice Thorez, juif slovaque de la IIIème Internationale et du kommitern, installé en France et vivant dans l’ombre, collé à sa marionnette.
C’était difficile à relater en France avant 1939. Snyder décrit les mises en scène autour du voyage d’Edouard Herriot en Août 1933 à Kiev, d’où il revint enthousiasmé et bouleversé par les réussites du socialisme soviétique. À cette date il avait déjà été 3 fois Président du conseil en France. Il ne fut pas le seul à avoir été ainsi abusé. Mais la mise en cause devint tout à fait impossible après la fin de la guerre et un PCF labellisé grand résistant. Comme le dit très bien Snyder le rideau de fer tomba aussi sur ces Terres de sang, au risque d’engloutir la mémoire.
Les quelques témoignages qui furent tentés furent sauvagement combattus, comme celui de Margaret Buber – Neumann. Communiste allemande, née à Postdam, épouse d’un haut responsable communiste allemand Heinz Neumann, ils fuient le nazisme, pensant trouver refuge en URSS. Un jour Neumann est arrêté, disparait à jamais, et Margaret Buber est envoyée en camp. Pour montrer sa bonne volonté à Hitler, Staline renvoie en Allemagne nazie, tous les communistes allemands réfugiés chez lui. Margaret Neumann est envoyée à Ravensbruck, où elle survit. Elle est vilipendée en voulant témoigner au procès Kravchenko en Janvier 1949.
Avec juste raison Snyder relève que les 50 années de guerre froide bloquèrent l’accès aux archives. Mais autant la documentation sur la terreur stalinienne devint progressivement accessible, autant il ne faut pas exagérer une autorisation d’accès aux archives de l’appareil clandestin. Qui touche directement la France, partiellement la Grande-Bretagne, et un peu les États Unis.
Le livre se divise à peu près par moitié en une première partie consacrée aux crimes de Staline, et une seconde à ceux des nazis, après le 22 Juin 1941 (agression de l’Allemagne contre l’URSS, Barbarossa). Et l’horreur changea de camp. Un lecteur français n’apprendra rien sur les assassinats de masse perpétrés par les nazis, car déjà objets de dizaine de livres, d’articles de presse et de kilomètres de bobines de films. Tout en étant surpris qu’aucune mention ne soit faite de la réunion de Wannsee en Janvier 1942, où fut décidée « la solution finale ». On en apprend en revanche beaucoup sur les génocides organisés par Staline, avec la famine comme instrument de tuerie. Il est souvent de bon ton en France, chez les chercheurs prétendant étudier la terreur stalinienne d’argumenter sur le nombre des victimes. Après avoir failli participer à cette sordide polémique, le chercheur Nicolas Werth rétablit des vérités, en particulier sur les travaux de l’historien britannique Robert Conquest (Sanglantes moissons et la Grande Terreur, écrits en 1968 et 1985, sans accès aux archives soviétiques). Snyder et ses étudiants avancent le chiffre de 6 millions, dont 4 millions sur les Terres de sang. Chiffres qui concordent avec ceux de Werth dans un de ses derniers livres « L’ivrogne et la marchande de fleurs, autopsie d’un meurtre de masse, 1937 – 1938 ». Mais curieusement Snyder ne retient pas le mot ukrainien de Holodomor. Et cynisme illimité de l’université, probablement au nom de la liberté, il s’est trouvé des intellectuels pour benoitement se demander si la tuerie en Ukraine pouvait être cataloguée comme génocide.
Snyder nous propose aussi quelques formules que nous tenons pour justes, mais que l’on entend peu en France « La (grande) guerre fit éclater les vieux empires d’Europe, tout en nourrissant les rêves de nouveaux empires. Elle remplaça le principe dynastique du pouvoir impérial par l’idée fragile de la souveraineté populaire … Dans les années 1930 l’URSS fut le seul état d’Europe à mettre en œuvre des tueries de masse. Dans les six premières années qui ont suivi l’accession d’Hitler au pouvoir, le régime nazi ne tua pas plus de 10.000 personnes environ. Dans le même temps le régime stalinien en avait fait mourir des millions et en avait exécuté 1 million …«.
Il remarque que l’URSS n’a jamais tué autant que lorsqu’elle n’était pas en guerre, alors que ce fut exactement le contraire pour l’Allemagne nazie, qui se surpassa durant le conflit, détruisant plus de vies humaines qu’aucun autre État dans l’histoire – avant la Chine maoïste. Mais on est de nouveau surpris quand Andrej Vychinski, le procureur de Staline, n’est cité qu’une fois, alors qu’il fut le sinistre pourvoyeur des lieux de mort.
La coopération entre les deux démons atteint son paroxysme pour procéder à la destruction de la Pologne.
Dans l’un des beaux ouvrages sur la diplomatie européenne au 20ème siècle (Diplomatie, Fayard), Henry Kissinger nous dit dans le style glacé d’une dépêche diplomatique « Jusqu’en 1941, Hitler et Staline avaient poursuivi des buts non traditionnels par des voies classiques. Staline attendait le jour où il lui serait possible de gouverner un monde communiste depuis l’enceinte du Kremlin. Hitler avait tracé dans Mein Kampf les grandes lignes de son projet d’empire racialement pur, régi par la race aryenne. On aurait difficilement pu imaginer deux desseins plus révolutionnaires. Or les moyens que Hitler et Staline mirent en œuvre et qui trouvèrent leur pleine expression dans leur pacte de 1939, aurait pu figurer dans un traité du XVIIIème siècle sur l’art de gouverner. Sur un point le pacte germano-soviétique répétait les partages de la Pologne effectués par Frédéric le Grand, la Grande Catherine et l’impératrice Marie-Thérèse en 1772. A la différence de ces trois monarques, toutefois, Hitler et Staline s’opposaient par leur idéologie. Mais pendant un moment, leur intérêt national commun, en l’occurrence la mort de la Pologne, prit le pas sur leurs divergences idéologiques.»
« …tant qu’il y a une Pologne à partager, Berlin c’est Moscou, Moscou c’est Berlin… » (Jacques Bainville)
Snyder décrit dans le détail le martyr de ce malheureux pays. Des pages insoutenables. On peut reprocher de quasiment se limiter à un décompte, sans analyse politique plus large. Mais est elle réellement nécessaire ? On ne peut échapper à l’accumulation de chiffres, ce qui rend le développement parfois confus, et la lecture difficile. Mais l’énorme référence bibliographique donne un résultat incontestable.
Parvenu à la dernière ligne de ce travail, on reste perplexe avec plusieurs questions.
1. La première est la connaissance que l’on avait « à l’Ouest » de ce qui se passait depuis 1930. Que savait-on et quel pays était susceptible de détenir le plus d’informations ? Snyder cite beaucoup de journalistes, américains et anglais, et toutes les tentatives de témoignages, restées lettres mortes. Nicolas Werth détaille (op. cité) les précautions de secret qui entouraient les ordres des tueries donnés au NKVD. Comme il démontre comment la Grande Terreur fut organisée et suivie dans son détail par Staline lui-même. Une France qui aurait cherché à savoir depuis 1930 aurait pu se poser des questions sur les pays baltes, la Biélorussie et l’Ukraine. On ne peut dès lors qu’être profondément troublé et consterné par l’acharnement mis à incriminer notre pays dans la déportation des juifs pendant l’occupation. Tous les témoignages concordent pour confirmer que la destination finale des malheureux n’était connue de personne, pas plus que l’existence de centres d’assassinats industriels de populations.
2. La seconde interrogation concerne aussi la France. Pays où toute tentative de travail d’historien ou universitaire de démontrer la complicité entre Staline et Hitler, se heurte invariablement à un barrage. Alors que nous sommes 80 ans après les évènements. Chaunu a fixé le parallèle avec ses «jumeaux hétérozygotes». Pour se convaincre du blocage intellectuel dans l’université et ailleurs, il n’est que de ressortir les hurlements que sa formule a déclenchés. Dans une série traitant des grands évènements du 20ème siècle, les Echos conclut l’année 1999 avec plusieurs pages sur le communisme. Et il titre le 22 octobre 1999 : « Le communisme : une idée généreuse dévoyée en dictatures sanglantes ». Imagine-t-on semblable titre pour parler du nazisme ?
Snyder rappelle que dans la période de la visite d’Herriot, beaucoup d’informations commençaient à circuler sur le drame qui se jouait en Ukraine (ukrainiens de Pologne, organisations féministes ukrainiennes … etc). Mais Roosevelt ne voyait que son projet d’établir des relations diplomatiques avec Moscou.
Et troisième question : les choses ont-elles réellement changé quant à l’utilisation de la propagande par la puissance qui la contrôle le mieux aujourd’hui ? Certes nous ne parlons plus de génocide planifié, mais il suffit de trouver la bonne formule, avec la puissance des mots. Comme celle de «conflits à basse intensité», selon la trouvaille de feu Robert McNamara …
La parenté du régime soviétique et du régime nazi est un thème classique de réflexion , même si, malheureusement, on s’en tient en général à des similitudes de forme : police politique, parti unique, persécution d’un « ennemi intérieur », culte de la personnalité, mobilisation des masses, etc. Une telle démarche tend à faire oublier que le nazisme, par son idéologie comme par sa pratique, a d’abord été une pathologie de la modernité, c’est-à-dire un héritier, illégitime mais incontestable, de ces mêmes Lumières qu’il prétendait combattre. Un ‘jacobinisme brun » en quelque sorte.
Le communisme soviétique et le national-socialisme allemand sont comparables. Bien des observateurs, d’ailleurs, considèrent que le premier a été pire encore que le second, soit du fait de sa durée, soit compte-tenu du nombre de morts qu’il a provoquées, soit encore en raison de la structure même de son emprise sur la société.Non seulement, les régimes fascistes ont péri plus tôt, mais ils ont été instaurés plus tard, ce qui vient prouver qu’ils ne sont qu’une pâle imitation, un plagiat du régime totalitaire véritable, authentique.
Dans le discours public, nazisme et stalinisme ne sont pourtant jamais placés sur le même plan. Un discrédit absolu s’attache au premier, tandis que le second ne fait l’objet, somme toute, que d’une paisible réprobation. Alors qu’aucun fasciste français n’a jamais tenu sur Hitler les délirants discours que les communistes français ont pu tenir sur Staline pendant au moins deux décennies, un ancien nazi est un paria à vie, tandis que l’amicale
des anciens staliniens n’a jamais cessé de faire carrière dans l’Université comme dans les médias. En France, le système du Goulag n’a d’ailleurs jamais été dénoncé qu’avec une vigueur inversement proportionnelle à son degré de réalité : on ne l’a jamais trouvé si « monstrueux » que lorsqu’il commençait à fermer ses portes. Au surplus, la dénonciation de ce système a vite cessé de faire recette. La chute du système soviétique a entraîné
l’arrêt immédiat de la critique du stalinisme et de la publication des livres sur le Goulag. Hitler et les camps de concentration nazis, disparus quarante ans plus tôt, ont immédiatement pris le relais.
Ce déséquilibre semble ne pouvoir s’expliquer que par un fait historique décisif, à savoir l’alliance des démocraties libérales et du communisme soviétique pendant la Deuxième Guerre mondiale. Cette alliance a consisté, pour les démocraties, à s’allier
avec un totalitarisme pour en abattre un autre. Il en résulte que les deux totalitarismes ne peuvent pas être mis sur pied d’égalité, car ce serait faire s’effondrer les bases mêmes de la légitimation de l’ordre politique mondial issu de la victoire de 1945. Qu’une telle alliance ait été ou non justifiée, qu’elle ait été le « bon choix », n’entre pas ici en ligne de compte.
Pour les démocraties, elle reste une véritable tunique de Nessus. Et c’est pourquoi, quoi qu’on puisse déjà savoir ou apprendre demain sur le système soviétique, il faut que celuici reste en-deçà du système nazi. L’argument utilisé est alors celui de la « déviation ». Le système stalinien résulterait d’une simple « perversion » d’un idéal originellement bon, tandis que le système nazi serait le fruit logique d’une idéologie intrinsèquement nocive. La distinction, malheureusement, ne reflète qu’un pur jugement de valeur. En outre, si dans un cas (nazisme), on part de la pratique pour discréditer les idées, dans l’autre (communisme), on part des idées pour excuser la pratique. C’est un cercle vicieux.
Beau commentaire (s’il m’autorise un jugement sur sa réflexion) de Baphomet ; en particulier le dernier paragraphe qui explique en particulier la torpeur entourant les massacres commis par Pol Pot -élève du communisme français- au Cambodge et la « mise en accusation » du système près de QUARANTE ANS plus tard. Alors que les chefs nazis furent jugés et condamnés dans la foulée de la capitulation de l’Allemagne. Quand aux assassins staliniens ils courent encore ou ils sont sur un piédestal ou dans un mausolée.
La presse est complice de ce négationnisme. Un exemple récent en est la désinformation autour de la manifestation de dimanche dernier à Paris. Une déclaration de Caroline Fourest et d’un journaliste de l’AFP (Agence Fausse Presse) à l’origine d’une reprise en boucle d’une information totalement mensongère. Je le sais, j’y étais !
Dans son excellent ouvrage, dont j’ai oublié le titre, Pierre de VILLEMAREST démontre déjà le financement de l’Occident pour les Nationaux Socialistes et Bolcheviks. L’historien Jean ELLENSTEIN, ancien président de la Fédération de Paris du P.C. lors d’une intervention télévisée a rappelé que Staline avait invité des dirigeants Allemands à venir visiter les camps d’internement soviétiques, afin de s’en inspirer.
Les Soviétiques ayant été rangés dans le camp des vainqueurs en 1945, ont été exonérés des crimes d’avant leur intervention forcée, 21 Juin 1941, dans le camp des alliés.
Soviétiques et Nazis sont bien les frères jumeaux du crime contre les populations, majoritairement civiles, non armées.
La plupart des jounalistes sont des autistes à la solde d’idéologies obsolètes et surtout mensongères. Ce sont des moutons de Panurge soucieux de vivre bourgeoisement même si leurs bouches psalmodient les lieux communs usuels sur les droits de l’homme, le socialisme, le capitalisme et autres ismes à la mode. Ils souffrent d’égoisme primaire. Ils me rappellent furieusement mes années dans les pays de l’Europe de l’Est alors sous la botte soviétique. Les journalistes là-bas n’étaient que des laquais ou des roquets des apparatchiks dont le rôle unique était d’encenser l’idéologie et son clergé et de diaboliser l’adversaire nécessairement facho-capitaliste.