Par Louis-Joseph Delanglade
Il y a deux semaines paraissait dans ce blog l’excellent article de Pascual Albert intitulé « L’Espagne à la croisée des chemins. Espagne, où vas-tu ? »*. Reflétant un point de vue espagnol, cet article met aussi l’accent sur le problème que poserait à la France une éventuelle indépendance de la Catalogne, c’est-à-dire la revendication territoriale de la « Catalogne nord » (en gros notre bon vieux département des Pyrénées–Orientales). Ajoutons que, dans la perspective de la seule Europe crédible, celle des Etats et des vieilles nations, l’intégrité de l’Espagne est, à nos yeux, essentielle.
Dimanche, les électeurs se sont prononcés en Catalogne. Une première analyse des résultats permet de faire trois constats d’ordre purement arithmétique :
– premièrement, M. Artur Mas a perdu son pari puisque son parti « Convergencia i Unio » (CiU, nationalistes de centre droit) non seulement n’a pas obtenu la majorité absolue qu’il espérait (soit 68 des 135 sièges) mais, pis (pour lui), a régressé de 62 à 50 ;
– deuxièmement, ce recul est presque exactement compensé, côté indépendantiste, par la progression des deux partis de gauche – ERC (Esquerra Republicana de Catalunya, +10), et CUP (gauche radicale +3) ;
– troisièmement, le rapport des forces entre « souverainistes » (incluant tous ceux qui sont prêts à aller jusqu’à une forme plus ou moins achevée d’indépendance – auxquels viendraient se joindre pour le référendum les écolo-communistes d’’ICV-EUiA) et « hispano-catalans» (ceux pour qui la Catalogne est et doit rester – malgré les ambiguïtés des socialistes du PSC – une des composantes de l’Espagne « plurielle ») n’a pas vraiment changé. On comptait 86 partisans d’un référendum d’autodétermination dans l’Assemblée sortante, 87 dans la nouvelle, soit un peu plus des trois cinquièmes.
Le vrai changement réside dans le nouvel équilibre à l’intérieur de la mouvance « souverainiste », nouvel équilibre dans lequel M. Artur Mas apparaît politiquement affaibli et donc davantage susceptible de céder aux surenchères des « enragés » de l’indépendance (ERC et CUP). Ainsi, dès dimanche, le directeur de campagne de CiU, M. Lluis María Corominas. a assuré que «le bloc des partis souverainistes est majoritaire, [et qu’] une consultation sera donc organisée». C’est-à-dire que M. Artur Mas et CiU poursuivent leur fuite en avant et, après le bras de fer sur le « pacte fiscal » perdu contre Madrid, agitent désormais le chiffon rouge d’un référendum sur l’indépendance.
L’Espagne est-elle donc menacée à moyen terme ? Certes, le risque d’une radicalisation de la Generalitat et d’une crispation identitaire est plus que jamais d’actualité. Cependant, on peut aussi interpréter les résultats de dimanche soir comme un coup d’arrêt à un mouvement qui aurait atteint son point culminant : pas de réelle progression sur le plan électoral (pas plus d’ailleurs que dans les sondages où l’aspiration à l’indépendance reste encore minoritaire) ; d’ailleurs, le taux très élevé de la participation montre aussi qu’existe un nombre grandissant de gens qui se veulent catalans et espagnols De plus, la cohabitation entre CiU et la gauche indépendantiste radicale, si elle devait se confirmer, pourrait bien se révéler embarrassante pour M. Artur Mas dans son combat contre Madrid et faire office de repoussoir pour une grande partie de la population catalane toujours très attachée à ses traditions, même religieuses.
De façon plus générale, le pays dispose encore de quelques atouts, notamment une très vivace tradition des libertés locales et régionales (les « fueros ») et un Etat monarchique (avec à sa tête le roi Don Juan Carlos) – atouts dont Pascual Albert a bien expliqué comment la conjonction des deux peut être salvatrice. •
* « L’Espagne à la croisée des chemins. Espagne, où vas-tu ? ».
Dans tous les cas, même si un référendum favorable avait
lieu, il n’aurait aucune valeur constitutionnelle, dès lors que la
Catalogne demeure constitutionnellement une « généralité »
espagnole.
Il faudrait donc modifier la Constitution, dont le Roi est
précisément le garant.
C’est exactement le même cas pour la Belgique et la Flandre.
Quelque soient les revendications et formes d’organisation
territoriale, la monarchie royale parlementaire est
indéniablement un facteur fédérateur d’unité incarnée.
Pourrions-nous dire la même chose de notre monarchie
républicaine, si des territoires comme la Corse par exemple,
ou d’autres, venaient à vouloir faire sécession ?
Rappelons-nous la Nouvelle Calédonie.
Que dire aussi de l’Union européenne qui tend à privilégier
une Europe des régions dans l’objectif du fédéralisme, plutôt
que d’admettre que l’Europe ne peut être historiquement
qu’une confédération d’Etat-nations ?