(Comme tous les textes publiés dans cette catégorie, celui-ci, aussitôt paru, est incorporé à notre album Maîtres et témoins…(II) : Jacques Bainville. – 135 photos)
(Grand serviteur de l’Etat, Georges Mandel fut l’un des artisans de la victoire du Bloc national aux élections de 1919 : ce sera « la Chambre bleu horizon », qui permettra à Barrès de faire passer son projet de loi instituant la Fête nationale de Jeanne d’Arc; et qui mettra fin à l’hystérie anti religieuse qui sévissait, dans le Pays légal, depuis 1905… Jules Pams et Edouard Ignace – dont il est question dans cet article – étaient ministre de l’Intérieur et sous-secrétaire d’Etat à la justice militaire du gouvernement. Georges Mandel connaîtra une fin atroce : misérablement traqué par des miliciens, il sera assassiné par eux d’une façon particulièrement sordide – en raison de ses origines juives – le 7 juillet 1944, en forêt de Fontainebleau)
Article paru dans La Revue universelle, le 1er décembre 1920 – Tome IV, n° 21.
Jacques Bainville dresse ici un portrait flatteur de Georges Mandel, « à la Montaigne », c’est-à-dire montrant « ces qualités et ces défauts » de celui à qui il souhaite de « poursuivre et continuer à s’affirmer », et en qui il souhaite ouvertement que le Bloc national fasse un ministre de l’Intérieur; mais ce n’est pas seulement Jacques Bainville, c’est aussi Léon Daudet et toute l’Action française qui entretenaient les meilleurs rapports avec lui. En témoignent les textes que l’on pourra lire dans notre Album « Maîtres et témoins, III : Léon Daudet » et ce court passage de L’Action française racontée par elle-même, dans lequel Albert Marty rapporte l’anecdote suivante, bien révélatrice (page 468) :
« …Une nuit, à l’imprimerie, le téléphone retentit :
– Allô ! l’Action française ?… Monsieur Pierre Héricourt est-il là ?
– Non, monsieur, il vient de partir.
Un moment d’hésitation, puis :
– Ici, Georges Mandel. Qui est à l’appareil ?
– Un secrétaire de rédaction, monsieur le Ministre.
– Très bien !… Je suis intervenu ce soir à la Chambre. J’ai cherché M. Héricourt après la séance. Je ne l’ai pas trouvé. Je voudrais savoir s’il a bien saisi le sens de mon intervention…
Nous avions une épreuve du compte-rendu de la séance. Nous lûmes à Georges Mandel le passage le concernant. Il nous répondit, satisfait :
– C’est tout à fait cela ! C’est parfait !
Que de personnalités politiques, comme Georges Mandel, ou du monde littéraire, tenaient à l’opinion de l’Action française !… »
Tout ceci est à rappeler – et à dédier – aux ignares qui se contentent de répéter, sans jamais vérifier, les mensonges de la « vérité officielle » sur l’antisémitisme de l’Action française, qui fut tout sauf un « antisémitisme de peau », rejeté, dénoncé et combattu en tant que tel, comme l’expliquait sans équivoque Charles Maurras :
« L’antisémitisme est un mal si l’on entend par là cet antisémitisme de « peau » qui aboutit au pogrom et qui refuse de considérer dans le Juif une créature humaine pétrie de bien et de mal, dans laquelle le bien peut dominer. On ne me fera pas démordre d’une amitié naturelle pour les Juifs bien nés. »
Le genre de M. Mandel ne plaît pas. C’est un fait. Nul n’est plus courtois dans le privé que M. Mandel, ni plus tolérant dans la controverse d’idées. Mais, homme public, il est péremptoire, cassant, agressif. Par là, il veut sans doute marquer son dédain des railleries. Sans doute aussi, ayant exercé très jeune le pouvoir, a-t-il du se composer un masque grave pour que ses aînés le prissent au sérieux. L’athmosphère de haine, de rancune, de méfiance qui l’environne a peut-être encore contribué à lui conserver une attitude roide et distante. Son mépris des hommes s’explique assurément par le souvenir des flatteries pressantes qui l’entouraient lorsqu’il était le maître de l’heure, et les protestations de dévouement qui montaient vers lui comme la fumée de l’encens : la mauvaise qualité de cet encens a dû lui dessécher le coeur. Mais tout n’est pas simulé dans cette attitude. De sa nature, M. Mandel n’est pas familier; il déteste même la familiarité. Il est peu entouré d’amis. Il ne tient pas à l’être. Il dédaigne les injures et la popularité plus encore. Il veut ne devoir son prestige qu’à son talent, et son autorité qu’à sa valeur.
Son talent n’est pas contestable. Sa culture est vaste. Le principal trait de son intelligence est la clarté. Nul peut-être au Parlement ne possède un esprit plus clair et plus logique, plus définitivement balayé des préjugés et des confusions. Sa longue, profonde et douloureuse expérience des hommes, son implacable mémoire ne lui servent qu’à donner encore plus d’acuité à sa vision des choses et de pénétration à son sens politique.
La seconde qualité maîtresse de M. Mandel, c’est la volonté. Volonté énergique et tenace, qui doit vaincre et vainc en effet tous les obstacles.
Nous savons combien il dut mettre de cette volonté au service de sa valeur pour mériter que M. Clemenceau, tout à la tâche de faire la guerre et de la gagner, lui déléguât, en quelque sorte, la direction de la politique intérieure. Nous retrouvons la même volonté au service de la même valeur dans les luttes qu’il soutient aujourd’hui au Parlement.
Ces qualités ne sont pas sans défauts. Lucide, presque géométrique, l’esprit de M. Mandel est incapable d’une transaction, encore plus d’une concession. Il peut en résulter parfois des manoeuvres inopportunes auxquelles il ne renonce jamais. Il peut en résulter aussi des erreurs et de fausses manoeuvres, après d’heureuses initiatives. Et il a aussi le goût des complications, souvent inutiles et par conséquent nuisibles; on l’a bien vu au moment de la candidature de M. Clemenceau à la présidence de la République qui aurait dû aller toute seule. Le tort de M. Mandel est de ne pas croire qu’en politique, comme ailleurs, le plus court chemin d’un point à un autre est la ligne droite. Par là, cet esprit géométrique manque de géométrie. Il n’a pas confiance dans ce qui est simple et dans la force des choses simples. Et c’est chez lui,, par abus de finesse, un certain manque de finesse.
Il a, pour un parlementaire, un autre défaut : c’est d’être un lutteur implacabe et un adversaire sans merci. Non seulement il rend toujours coup pour coup, mais il se plaît à provoquer l’ennemi. Comme il ne désarme jamais, et qu »il sait toujours répondre, il ne sait point céder sur le terrain personnel, et son agressivité sytématique et souvent inutile, rebutant ceux qui seraient disposés à l’applaudir, peut nuire à sa cause et le desservir.
Ces qualités et ces défauts expliquent l’hostilité que M. Mandel rencontre dans une partie de l’Assemblée.
Au Palais-Bourbon, où l’on se tient mieux qu’autrefois, mais pas encore très bien, on se tutoie et on s’embasse de façon familière et cordiale, même si l’on se hait un peu, surtout si l’on se méprise beaucoup. M. Mandel ne tutoie personne, il n’a pas le genre de la maison, et ne veut pas l’avoir. Il est aussi solennel que Royer-Collard et même pour dire qu’il fait beau il parle comme un doctrinaire parfait.
Il a fait élire aussi trop de députés qui, déliés du serment de fidélité envers M. Clemenceau croient en être quittes, du même coup, avec M. Mandel. La chaîne des services rendus est lourde. M. Mandel l’éprouva le jour que, parlant sur le Vatican et ne pouvant dominer la furieuse clameur de l’extrême-gauche, il constata, sans s’émouvoir, la réserve gênée de la majorité. M. Mandel n’attendait de ceux-là, à ce moment, aucun secours. Il était seul. S’il avait lâché pied, il était perdu. « C’est lui qui vous a fait élire », leur rappela durement M. Le Provost de Launay. Ils ne l’ignoraient pas. Ils se le rappelèrent même tout à fait lorsque M. Mandel eût triomphé.
A côté de ces deux causes abjectes, l’hostilité contre M. Mandel en a d’autres, plus avouables.
Les radicaux et les socialistes ne peuvent lui pardonne leur défaite. Les élections du 16 novembre (1) ont été faites contre les socialistes et contre ceux des radicaux qui, s’étant retranchés du Bloc national, cherchaient sans la trouver une formule équivoque, comme autrefois, et qui, à défaut d’un programme, appelaient désespérément l’appui tutélaire et traditionnel de l’administration. Cet appui leur fit défaut. Ils virent là une infâme trahison. Traqués, bafoués, démasqués à loisir, et n’ayant d’ailleurs à imputer leur échec qu’à eux-mêmes, ils en ont gardé à M. Mandel une rancune inexorable… (à suivre)
(1) : donnant la victoire au « Bloc national », la Chambre fut appelée « Bleu horizon » : Léon Daudet y était élu royaliste pour le 3ème secteur de Paris (rive gauche et XVIème arrondissement).
Jacques Bainville, décédé en 1939, n’a pas connu le Georges Mandel ministre de l’intérieur en 1940.
Le 15 juin 1940, le journaliste Armand Thierry de Ludre interné au camp de concentration de Cepoy sur ordre de Mandel fut exécuté sur un chemin de halage lors de son transfert vers Arvor. La commission d’enquète dirigée par Pierre de Bénouville accabla Mandel, à qui il fut également repproché l’assassinat de 21 ressortissants belges.
Merci à Thulé pour cette utile précsion, à cela près que Cepoy ne fut pas un camp de concentration, mais un camp de transit dont le socialiste Daladier avait convert la France pour y enfermer les « antinationaux ».
Et l’assassinat de Mandel, de son vrai nom, Lucien Georges Rothschild, fut la représaille à l’assassinat de Philippe Henriot.
Ce qu’en dit Jacques Bainville reflète très bien une opinion unanime et Gaxotte avait écrit à peu près les mêmes éloges.
Clémenceau se servait outrageusement de lui, notamment à la Chambre, avec cette formule délicate « C’est moi qui pète et c’est lui qui pue. »
(A Thulé) Jacques Bainville est mort le 9 février 1936, non 1939, et il a très bien connu – apprécié et soutenu – Georges Mandel; évidemment, il ne l’a pas vu ministre de l’intérieur, puisqu’il était mort depuis quatre ans lorsque Mandel l’est devenu…
Excusez-moi pour la coquille sur la date. Je voulais simplement préciser que pour tenter une hagiographie sur un personnage autant attendre qu’il soit mort, car la suite n’est jamais écrite d’avance.
D’autre part, même si l’on se réfère uniquement à la période de la première guerre mondiale, je n’ai que peu d’estime pour les artisans de la plus horrible guerre civile de toute l’histoire de l’humanité, dont nous nous n’avons toujours pas fini de payer les conséquences.