(Analyse économique de François Reloujac, parue dans le n° 113 de Politique magazine, décembre 2012)
Ayant constaté une diminution sensible de la part des exportations françaises au sein même de la zone euro (qui selon le cabinet Coe-Execode serait passée de 17 à 12,6 % entre 1998 et 2011), le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a demandé le 11 juillet 2012 à Louis Gallois un rapport sur « un véritable pacte productif pour la compétitivité, la croissance et l’emploi ».
Le 5 novembre dernier, le rapport Gallois a officiellement été rendu public et, dans la foulée, le gouvernement a présenté les mesures qu’il comptait retenir. Seules ces dernières ont donné lieu à médiatisation. Un examen rapide des principales mesures préconisées dans ce rapport permet cependant de constater que, s’il recommande d’introduire obligatoirement un certain nombre de représentants des salariés dans les conseils d’administration des entreprises – et, ce qui est plus discutable, dans les conseils de surveillance – il ne fait même pas allusion aux 35 heures où à l’âge du départ à la retraite. Ces questions n’auraient-elles aucune incidence sur « la compétitivité, la croissance et l’emploi » ? Par habitude, le rapport préconise la création d’un nouveau « comité Théodule » dont personne ne sait par qui il sera financé : le… « Commissariat à la Prospective » !
Louis Gallois remettant son rapport à Jean-Marc Ayrault. Stupeur et tremblements.
Louis Gallois propose également de « sanctuariser » le budget de la Recherche publique et celui du soutien à l’Innovation. Deux postes des dépenses publiques dont il ne se demande à aucun moment s’ils seront efficaces, quels que soient les déficits publics et les difficultés des Français à faire face aux charges qui leur incombent. Après les « niches fiscales » que le candidat à la présidence de la République avait déclaré inadmissibles avant d’appliquer la doctrine selon laquelle « le roi de France ne paye pas les dettes du duc d’Orléans » – mais Louis XII l’avait fait contre ses intérêts immédiats et non au détriment de son peuple –, voici maintenant les « niches budgétaires » !
Quel avenir pour la TVA ?
Mais les médias se sont contentés de ne retenir que les mesures dites « phares » : hausse de la TVA, « crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi », baisse (sic) des dépenses de l’état…
Après avoir expliqué que l’augmentation de la TVA votée sous Nicolas Sarkozy était une mesure de salut public et avoir reproché à François Hollande d’être revenu sur cette décision, il n’est pas question de critiquer cette nouvelle proposition. Cette décision n’est cependant pas satisfaisante. Parce qu’elle diffère dans le temps une mesure urgente. Parce qu’elle ne concerne essentiellement que les entreprises soumises au taux intermédiaire et au taux normal de TVA alors même que la mesure votée sous l’autorité de Nicolas Sarkozy était censée avoir en ligne de mire les activités ouvertes à la concurrence internationale.
Deuxième « mesure phare » retenue par le gouvernement : restituer aux entreprises, un an après les leur avoir prises, une partie des sommes ponctionnées au titre de l’impôt sur les sociétés. Pour ne pas paraître totalement incohérent, le gouvernement a décidé de le rendre sous forme de crédit d’impôt – ce qui suppose la mise en place d’une nouvelle usine à gaz fort onéreuse baptisée « crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi » (CICE). Ce CICE ne sera pourtant soumis à aucune obligation de la part des entreprises bénéficiaires, pas même celle de maintenir leurs effectifs, ni celle d’investir, encore moins celle d’augmenter leur part de marché. Il n’aura donc aucun lien direct avec la compétitivité ou avec l’emploi et encore moins avec la croissance ! Le seul élément pris en compte pour cette « restitution » sera la masse des salaires compris entre une fois et deux virgule cinq fois le Smic. Autrement dit, le nom de cette usine à gaz n’a qu’un seul but, celui de masquer un changement profond d’orientation politique et, subsidiairement, de dissimuler derrière un slogan la création d’une nouvelle « niche fiscale », l’une des plus importantes de toutes.
Selon Le Monde du 7 novembre 2012, la justification de ce CICE est à trouver dans « les conditions psychologiques du sursaut, en permettant aux entreprises d’anticiper sur des allègements de charges futures »… sans en assumer le coût dans l’immédiat ! Mais, dans un pays où, selon la Constitution, la règle fiscale fondamentale est l’annualité du budget et donc de l’impôt, toute « décision » relative à un exercice ultérieur n’a pas plus de valeur que la promesse d’un ivrogne…
Pour arriver à (mal) renouer avec une mesure prise par son prédécesseur en matière de TVA et annulée au soir de son élection, le Président Hollande, par Premier ministre interposé, a refusé la moindre augmentation de la CSG… parce que la mesure se verrait sur la feuille de paye et que tous les Français pourraient alors s’apercevoir de l’effort qui leur serait demandé ainsi que du non respect des engagements de l’ex-« candidat » !
Une réalité économique
Troisième « mesure phare » : le gouvernement envisage un « effort sans précédent » de diminution des dépenses publiques de 1 %. Les Français qui travaillent en fait plus de 200 jours par an pour subvenir aux besoins de l’état vont désormais pouvoir travailler pour leur propre compte un ou deux jours de plus… En attendant que la Commission européenne, appliquant brutalement la « règle d’or » enfin adoptée, n’impose un complément qui sera nécessaire pour respecter l’équilibre budgétaire. D’autant plus que la différence entre le supplément d’impôts résultant des mesures retenues et la diminution promise des dépenses publiques ne permettra pas de satisfaire à cette nouvelle contrainte.
Aucune politique ne peut avoir pour effet de coller à un dogme économique, aussi théoriquement bon soit-il ; elle a uniquement pour objet de permettre aux populations auxquelles elle s’impose de vivre au mieux dans les circonstances du moment. Le grand défaut du projet gouvernemental envisagé à la suite du rapport Gallois consiste à ne pas tenir compte des réalités du moment pour imposer des mesures dictées par une théorie économico-administrative totalement déconnectée du quotidien. Or, même une bonne idée, dès lors qu’elle est adoptée à contretemps, peut conduire à de véritables catastrophes.
Jean-Luc Mélenchon a eu raison de dire que la Ve République est morte. Mais, contrairement à ce qu’il ajoutait, nous n’en sommes pas arrivés à la VIe ; de fait, la France ressemble de plus en plus à ce que Jean d’Ormesson a appelé l’Inaptocratie : ce « système de gouvernement où les moins capables de gouverner sont élus par les moins capables de produire et où les membres de la société les moins aptes à subvenir à eux-mêmes ou à réussir, sont récompensés par des biens et des services qui ont été payés par la confiscation de la richesse et du travail d’un nombre de producteurs en diminution continuelle »…
Au lendemain des publications des chiffres catastrophiques de l’INSEE, un retour sur le rapport Gallois est à la mesure des commentaires autant dithyrambiques que mièvres qu’il a suscité chez les fonctionnaires en charge du pays, en commençant par un ministre de l’économie qui y a vu une révolution copernicienne. Modestement.
Monsieur François Reloujac souligne des points essentiels qui gangrènent le tissu économique de la Nation. Je retiens le déni de réalité, le coût du travail et ses corrolaires, la faillite de la protection sociale et la perte de compétitivité.
Ce rapport ne s’imposait absolument pas car tous les chiffres sont connus depuis plusieurs années. Masqués par un constant déni de réalité. Loin de moi de sauver l’image d’une organisation socialisante qui place l’Etat au cœur de la vie économique mais il est impossible de faire comme si la dégradation datait de six mois. Les cinq années de Sarkozy n’ont jamais été mises à profit pour conduire des réformes de fond, et la liste est longue. Tous les chiffres de base sont connus et ils tiennent en une page, du ratio de 50 agents publics pour 1000 habitants en Allemagne contre 90 agents en France, aux 1.200 agences d’Etat dont au moins la moitié serait à supprimer, au désastre de la désindustrialisation, à un Code du Travail aux effets de seuils catastrophiques.
En Octobre 2011, Les Echos consacraient un copieux cahier à analyser la chute de compétitivité de la maison France, plaçant le coût du travail en accusé principal. Peine perdue puisqu’il se trouve encore de brillantes cervelles pour nier cette évidence, y compris dans des lieux de réflexions censés faire de l’économie, certes à gauche, comme l’OFCE ou Alternatives Economiques.
Gémissons sur le mauvais œil qui habite la mal nommée TVA sociale, alors qu’il s’agit d’un transfert de charges du travail vers la consommation, mesure urgente et nécessaire dont le mécanisme est aisé à exposer, et ne se limite pas à augmenter la TVA comme le couine la gauche. Pour ne pas aborder cette question sans démagogie, des technocrates nous servent le crédit d’impôt. Le système va s’écrouler sur sa propre complexité, sans bénéfice pour le coût de la production. Comment oser mettre en face de ce dispositif théorique, une création d’emplois de 300.000 à 400.000. Ces gens qui n’ont aucune expérience de l’entreprise, ni comme employés, ni comme dirigeants, confondent la confiance nécessaire à la vie économique avec leurs discours de campagnes électorales et de militants simplets. Un commentateur de ce rapport divisait l’activité économique en trois termes principaux, la part administrée directement par les pouvoirs politiques, la mondialisation du commerce, et le système monétaire et financier. Les mesures annoncées ne changeront rien à l’activité étatisée, source majeure d’appauvrissement. La désindustrialisation est mal traitée, et à échéance, nous ne fabriquerons plus une voiture, ni une barre d’aluminium, ni un fer à repasser. Le même commentaire voit l’économie française coincée entre les deux machoires d’un étau, la mondialisation des échanges et la réglementation française du travail. Reagan et mme Thatcher considéraient que l’Etat ne peut plus régler les problèmes, dès lors que le problème est l’Etat lui-même. C’est la situation de la France. Pourrait on faire crédit quelques minutes aux 4.600 ETI (entreprises de taille intermédiaire, moins de 5.000 personnes) qui représentent 22 % de l’emploi salarié et 33% des exportations françaises : leurs dirigeants n’ont aucune confiance en Montebourg, Moscovici ou Ayrault. Peut on le leur reprocher ? Et ils se tiennent loin de la politique.
En définitive il n’y eu guère que le Monde de monsieur Bergé pour se féliciter du contenu de ce laborieux pathos. Nourrie par la satisfaction souvent distante d’un bataillon de bureaucrates. Gallois est l’un d’entre eux …