L’eau à l’origine de l’humanité
Dès son origine l’Humanité a appréhendé l’intimité du lien entre l’eau et la vie de manière empirique. Élément précieux sujet de vénération dans la Génèse, il reçut logiquement tous les attributs du Sacré. Les trois thèmes dominant source de vie, purification, régénérescence se rencontrent dans les traditions les plus anciennes. « Tout était eau » disent les textes hindous, « les vastes eaux n’avaient pas de rives » dit un texte taoiste. Dans la Génèse « le souffle où l’esprit de Dieu couve à la surface des Eaux ». Le Rig Veda exalte les eaux qui apportent vie, force et pureté tant au plan spirituel que corporel.
Du 12 au 17 mars 2012 Marseille a reçu le 6ème forum mondial de l’eau. Où l’on redécouvre après Istambul trois ans auparavant que la situation n’a évolué que très lentement. Sur 7 milliards d’habitants à la surface de la planète, autour de 800 millions n’ont aucun accès à l’eau potable, autour de 2,5 milliards n’ont pas d’installation sanitaire de base. Ces chiffres tellement démesurés ne peuvent être que des estimations.
Le Conseil mondial de l’eau a été créé en 1996 en réponse aux préoccupations croissantes de la communauté internationale face aux problématiques de l’eau. Ses missions sont de sensibiliser, de favoriser une réelle mobilisation politique et d’inciter à l’action sur les questions essentielles liées à l’eau à tous les niveaux, y compris au plus haut degré décisionnel, afin de faciliter, sur une base durable, la gestion et l’usage efficaces de l’eau. Le CME a un statut consultatif auprès de l’UNESCO http://www.worldwatercouncil.org
En France le cercle français de l’eau : depuis 1990, cette structure de réflexion, d’échanges et de concertation regroupe l’ensemble des partenaires institutionnels et professionnels autour des représentants des collectivités territoriales sous la présidence de parlementaires. Son objectif : promouvoir une politique volontariste et ambitieuse de l’eau et de l’assainissement des eaux usées qui réponde aux besoins qualitatifs et quantitatifs des générations actuelles et futures. http://www.cerclefrancaisdeleau.fr
Généralités, fondamentaux et quelques définitions
Une observation de simple bon sens souvent perdue de vue: la quantité d’eau à la surface de la planète bleue est invariable, car ni il en arrive du cosmos, ni il s’en échappe vers l’espace interstellaire. Seuls varient les répartitions de « l’or bleu » à la surface du globe, selon les changements de climat d’une planète dont l’âge est évalué d’après les astrophysiciens et les géologues à 4,5 milliards d’années
La répartition étant très inégale à la surface du globe, les géographes et les techniciens ont ressenti très tôt la nécessité de créer des instruments de mesure.
L’un d’eux est le stress hydrique.
Par convention et référence internationale le seuil de stress hydrique est la quantité d’eau minimum nécessaire pour satisfaire l’ensemble des besoins domestiques, agricoles et industriels. Estimé à 1.700 M3 / habitant / an, pénurie et disette s’établissant à 500 M3
La problématique de l’eau ne relève pas du volume disponible mais de l’accès local à la ressource, et à une ressource de qualité suffisante. L’eau prélevée a trois usages :
– 70% pour l’agriculture, essentiellement à des fins d’irrigation.
– 22% pour la production d’énergie, que ce soit de l’hydroélectricité ou de l’électricité thermique ou nucléaire qui utilise l’eau pour le refroidissement de la vapeur produite par les centrales, et pour la production industrielle
– 8% pour les usages domestiques. La consommation domestique par an par personne est de 4 m3 au Mali, 106 m3 en France et 215 m3 aux USA (source : «Water for people, water for life», UNESCO 2003). Si, depuis 1900, la part de l’eau utilisée par l’agriculture a diminué de près de 30 %, en revanche l’industrie a quadruplé sa consommation pendant que les usages domestiques augmentaient de 4 à 11%
900 millions d’habitants ne disposent pas d’accès à l’eau potable à proximité.
Plus de 3 milliards d’habitants n’ont pas d’eau au robinet à domicile et 2,6 milliards de personnes n’ont pas accès à un assainissement de base.
La croissance rapide de la population mondiale, conjuguée avec les changements de modes de vie, a entraîné une augmentation tout aussi rapide des consommations d’eau: ramenée à l’habitant, la consommation moyenne, toutes activités confondues, est passée de 400 à 800 m3 par an. 4 500 litres d’eau sont utilisés pour produire un kilo de riz, il en faut 1 500 pour un kilo de blé.
L’eau est une ressource naturelle renouvelable et finie: elle ne peut pas disparaître, mais il est aussi impossible de la créer. Elle recouvre environ 70 % de la planète. Mais derrière ce pourcentage se cache un problème: 97,5 % est en fait de l’eau salée. Il ne reste donc que 2,5 % propre à la consommation humaine, mais de ce pourcentage d’eau douce, une infime partie, soit 1 %, est présentement disponible. Les 99 % restant sont enfermés des calottes polaires, des glaciers, ou bien présent dans des aquifères ou nappes phréatiques inaccessibles.
En 1950, six États souffraient de pénurie hydrique (hormis la Libye, tous les autres étaient des îles ou des micros États). En 1995, la situation est devenue beaucoup plus inquiétante: on retrouvait dix-neuf États en situation de pénurie hydrique, représentant environ 160 millions de personnes et principalement situés en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. En outre, onze autres États avec une population de 270 millions de personnes sont victimes de stress hydrique. Les projections moyennes pour 2050 sont encore plus alarmantes : 2,3 milliards de personnes devraient souffrir de stress hydrique et 1,7 milliard se retrouveront dans un contexte de pénurie hydrique. Selon les données actuelles, il est intéressant de remarquer que pour 7 milliards d’humains, la demande est estimée à environ 760 m3 par habitant / année. C’est pourquoi il est nécessaire d’ajouter d’autres éléments d’explication qui permettent de mieux saisir la situation actuelle et celle de l’avenir.
– Deux tiers des grands fleuves sont communs à plusieurs pays. Il existe 270 bassins fluviaux transfrontaliers. Le Nil, le plus long, traverse dix pays; le Mékong, six pays.
– Outre les questions posées par les relations entre pays se partageant les rives, cette situation donne l’avantage aux États situés en amont. 15% des pays dépendent à plus de 50% des ressources en eau situées en dehors de leur territoire.
– On dénombre 200 traités interétatiques relatifs à l’eau alors qu’on ne déplore que 37 conflits survenus ces cinquante dernières années, pour la plupart mineurs (dont 30 au Moyen Orient).
Des exemples de tensions :
– La répartition de l’eau du Jourdain constitue un enjeu géopolitique majeur entre le Liban, la Syrie, la Jordanie, Israël et la Cisjordanie.
– Les différends entre la Turquie, l’Irak et la Syrie quant à la construction de barrages.
– Les tensions entre L’Égypte, le Soudan et l’Éthiopie sur les volumes soutirés du Nil.
Des exemples de coopération pour la gestion des fleuves transfrontaliers :
– Le Traité des eaux limitrophes (1909)
– le Traité du fleuve Columbia (1961)
– l’Accord relatif à la qualité de l’eau dans les Grands lacs (1978) entre les États-Unis et le Canada.
– La Convention de la Save signée en 2002 par quatre des États issus de l’ex-Yougoslavie.
– La Commission de l’Indus, 1960, entre l’Inde et le Pakistan, avec le soutien de la Banque mondiale. Elle a survécu à trois guerres entre les deux pays.
– La Commission du Mékong (1957) avec l’aide de l’ONU. Elle a continué à fonctionner pendant la guerre du Viêtnam. Cependant seuls y participent le Viêtnam, le Laos, le Cambodge et la Thaïlande. La Chine et la Birmanie n’en font pas partie.
– Le Plan d’action pour le Zambèze (ZAC-Plan) en coopération avec les États riverains et la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), avec le soutien du PNUE.
L’objet de l’article n’est pas de faire un tour du monde exhaustif, mais d’évoquer quelques situations stratégiques: la gestion transfrontalière en Asie, la situation hydropolitique en Inde et en Chine, le partage du Jourdain entre le Liban, la Syrie, la Jordanie, Israël et la Cisjordanie ; les différends entre la Turquie, l’Irak et la Syrie à propos de la construction de barrages ; la problématique des volumes prélevés du Nil par l’Égypte, le Soudan et l’Éthiopie.
Un peu de géographie et ses conséquences politiques
Le Nil, le Nil blanc, le Nil bleu. Un fleuve de 6.500 Kms
L’Éthiopie fournit 86% du débit du Nil mais n’en consomme que 0.3 %. Son secteur agricole est prépondérant et représente la moitié de son PIB. Il fait vivre 80 % de la population, et représente 90 % des recettes à l’exportation. Or seuls 4,6% des surfaces arables sont irriguées. Le Nil bleu, fleuve mythique, appelé Abbay par les Ethiopiens, baigne de ses eaux un cinquième du territoire. Au passage, un des bassins historiques de la chrétienté d’Orient, dans un pays qui compte 30 millions de Chrétiens dans une église d’Ethiopie longtemps dépendante des coptes d’Egypte du patriarcat d’Alexandrie. Le Nil bleu rejoint le Nil blanc à Khartoum. Et on découvre vite qu’aucun aménagement hydraulique n’est réalisable en Ethiopie s’il risque de générer un changement du régime du fleuve en aval au Soudan et en Egypte. Dans ce dernier pays le Nil fournit 98%de l’eau consommée, 95% de la population vit sur ses rives, sur une bande de terre de 5 Kms de large environ, jusqu’au delta.
Le bassin du Nil couvre près de 10% de la superficie de l’Afrique, les Egyptiens anciens l’appelaient La grande rivière…
Israel
Le pays vit en état de stress hydrique permanent. L’eau est un sujet de défense nationale et d’urgence absolue. L’agriculture accapare 72 % de l’eau consommée dans le pays. Israel reste un territoire aride où les pluies sont quasi inexistantes d’Avril à Septembre et où l’évaporation atteint à certains endroits 50% des précipitations reçues. Les trois principales sources sont le lac de Tibériade, les aquifères de Judée-Samarie situées sous la Cisjordanie, et ceux situés sous la bande de Gaza. Ces derniers sont soumis à une salinisation accrue en raison d’intrusion d’eau de mer dans la nappe. Comme d’autres états dans le même cas, Israel cherche des ressources alternatives, essentiellement le dessalement. L’Etat hébreux fort d’une expérience de plus de trente ans possède une expertise internationalement reconnue. Les besoins obligent à rechercher l’eau qui manque chez des voisins avec tout le contexte diplomatique difficile que cela entraine. En particulier difficile de ne pas lorgner sur la rivière Litani au sud Liban. Dès la déclaration Balfour, le président du congrès juif mondial Chaim Weizman demandait au Premier britannique que le foyer national juif ait le Litani pour limite nord. Il fut plus tard souvent rêvé de diriger une partie des eaux vers le lac de Tibériade.
Prête à aller chercher l’eau très loin de ses frontières Israel signait en Juin 2004 un accord avec la Turquie pour construire une flotte de tankers géants destinés au transport de l’eau. Mais ce projet finit par capoter.
Le projet le plus emblématique est certainement le lien avec la Jordanie. L’étude du canal Mer Morte –Mer Rouge (180 Kms) est financée presqu’en totalité par l’USAID
La question stratégique de l’eau conduit Israel à miser largement sur le dessalement et un équipement à la pointe de la technologie, aujourd’hui exporté. 31 stations de dessalement (eau de la Méditerranée) et de traitement d’eau saumâtre sont opérationnelles. La réutilisation des eaux usées est systématisée, et couvre un fort pourcentage des besoins de l’agriculture avec la plus grosse station de réutilisation d’eaux usées au monde. Le total représente un quart des besoins en eau.
Turquie
Kemal Ataturk a lancé très tôt son pays dans la voie de l’exploitation de l’eau considérée comme un gage de modernité. Un siècle plus tard on peut considérer que l’eau a transformé le pays. Vers 1975 le projet de l’Anatolie du Sud Est, le programme GAP, aura permis de réaliser 22 barrages et 19 centrales électriques, pour dompter les eaux du Tigre et de l’Euphrate. Les bienfaits attendus pour l’agriculture de l’Anatolie sont immenses, implantant une production nationale du coton qui n’existait pas. Le programme GAP a permis à la Turquie d’acquérir le statut « d’hydropuissance ». Cette maitrise de l’eau a assis l’autorité d’Ankara sur la région. Inévitablement, les Kurdes, peuple sans terre, se retrouvèrent au milieu de ces gigantesques travaux. Diaspora éclatée sur Iran, Irak, Syrie et Turquie, la tentation est grande d’utiliser la menace contre les bassins comme moyen de pression. Parallèlement le contexte de confrontation régionale incite Ankara à utiliser son possible contrôle sur le Tigre et l’Euphrate contre la Syrie, ou l’Irak selon les circonstances, en particulier lors de toute tentative de soutien aux séparatistes kurdes.
Arabie Séoudite
Vu de loin comment est résolue la question de l’eau pour l’immensité de la péninsule arabique ?
Nous avons assisté à une marche en avant vers le dessalement, sans beaucoup d’autres solutions, plaçant ce pays au premier rang des producteurs d’eau par ce procédé, alors que nous assistons à un épuisement des nappes fossiles. Ce sont dix installations le long de la mer rouge, et sept le long du Golfe Persique.
Malgré cette situation de disette la consommation per capita était la première du monde en 2004 ! Une des raisons étant la vétusté des installations de distribution générant un taux de fuite anormalement élevé. Depuis cette date des mesures draconiennes ont été mises en place, une des plus importantes étant la rénovation de la distribution.
Chine – Inde
Il existe une très forte inégalité dans la population chinoise par rapport à la ressource en eau, entre le sud (bien pourvu) et le nord.
Plusieurs facteurs se conjuguent qui compliquent l’accès à l’eau. Une pollution très au-delà des normes acceptables, tant par les rejets industriels non traités (pétrochimie en premier lieu) que par l’utilisation extensive d’amendements agricoles chimiques, la pollution accidentelle de cours d’eau trop fréquente, un accroissement de population moins contrôlé que ce qui était souhaité.
Les statistiques chinoises (quelle fiabilité en la matière ?) disent que 300 millions de personnes n’ont pas accès à l’eau courante (pour 1,4 milliard d’habitants, donc 21%), chiffre en dessous de la réalité et dramatiquement élevé. Mais dans un tel contexte les collectifs antipollution et les associations environnementales se développent et parviennent à se faire entendre.
Parmi les voisins avec lesquels la diplomatie chinoise doit compter, l’Inde est un des plus attentifs aux initiatives de Beijing. Pour faire face à son manque d’eau la Chine s’est lancée dans la construction d’ouvrages titanesques permettant un transfert d’eau sud – nord, avec l’idée de relier sur plus de 1.500 Kms le fleuve jaune asséché une grande partie de l’année au fleuve bleu (Yangtze) fréquemment confronté à d’importantes crues. Parmi les trois dérivations nécessaires, l’une est un exploit technologique consistant à prélever l’eau dans le Yangtze sur les hauts plateaux tibétains pour la diriger vers le fleuve jaune, non loin de sa source, le tout à 4.000 m d’altitude. Opération qui réaffirme la place essentielle du Tibet comme espace géostratégique. Projets qui inquiètent l’Inde à juste titre, les hauts plateaux tibétains étant considérés comme le château d’eau de l’Asie. Dix fleuves majeurs y prennent leur source, dont le Brahmapoutre et l’Indus pour l’Inde. Le Brahmapoutre traverse le Tibet sur 2.000 Kms, portion du cours où les Indiens ne contrôlent pas ce que décident les Chinois.
Le Mekong
Autre fleuve prenant sa source sur les contreforts de l’Himalaya, plus long fleuve d’Asie du sud-est (4.300 Kms) coulant nord – sud, il serpente dans la province chinoise du Yunnan, puis devient frontière commune entre Birmanie et Laos, puis entre Laos et Thaïlande, avant d’entrer au Cambodge et finir sa course au Viet Nam (ex Cochinchine).
Les appétits chinois sur le Mékong sont les mêmes qui ont prévalu à la dynamique du projet des trois gorges sur le Yangtze : diminuer les risques d’inondation, l’agriculture, et production hydroélectrique. Cette domestication du fleuve par les Chinois qui ont réussi à entrainer dans les mêmes projets les pays avals, n’emporte pas l’adhésion du dernier, le Viet Nam, dont la méfiance ancestrale envers la Chine, voit cette navigabilité instaurée, comme un axe de pénétration possible du pays. Les vietnamiens sont également inquiets de la multiplication des barrages en amont ou de l’aide apportée par Beijing à un pays comme le Cambodge, ennemis historique de Hanoï. Dans ce grand jeu régional, Hanoï retrouve comme allié New Delhi, mais un allié de poids.
Un paradoxe bien français
Ce voyage extrêmement sommaire à travers quelques pays, reflète assez bien l’immensité de la tâche devant le défi de l’accès à l’eau, première condition à des environnements sanitaires d’un minimum de décence pour la survie de presqu’un tiers de l’humanité. Et la France peut être fière que trois entreprises françaises tiennent une place prépondérante sur la scène internationale par leur expertise reconnue, Veolia, Suez et Degrémont, cette dernière pour le dessalement. Or il est pour le moins paradoxal que notre pays ne possède pas les instituts et centres d’études sur l’eau équivalents aux centres de recherche américains, qui ont fait de l’accès à l’eau une question stratégique.
En guise de conclusion
Devant le scandale planétaire de l’inégalité d’accès à une ressource censément gratuite et la source de la vie, force est de constater la médiocre attention qu’affichent les media. Alors que des paramètres économiques comme l’inflation des prix mondiaux de produits agricoles, ou l’odieuse relance de la course aux armements, devraient au contraire inciter à considérer la question de l’eau avec la même intensité que l’on développe quand il s’agit de discussions byzantines sur le changement climatique. En 1960 la planète bleue portait 3 milliards d’habitants, cinquante ans plus tard elle est habitée par 7 milliards d’individus.
Le monde a besoin de pharaons, capables d’entreprendre des travaux titanesques: ex: transport de glaces des icebergs vers l’Afrique, par pétroliers monocoques déclassés, remplacés par des double coques pour le pétrole où un réseau de canaux pourrait irriguer le continent. L’évaporation redonnant de l’eau de pluie.
De plus un tel transfert permettrait d’éviter la montée des eaux de mer.