C’est désagréable à dire mais, s’il est vrai qu’on est ce qu’on mange, alors nous ne sommes plus grand-chose, une sorte de société « hors sol », qui a perdu ses racines et ses repères : nous mangeons n’importe quoi parce que nous sommes en train de devenir n’importe qui. Mi-janvier, les autorités sanitaires britanniques découvrent que des steaks hachés certifiés pur bœuf produits en Irlande contiennent de la viande de cheval. La médiatisation de cette banale escroquerie plus ou moins mafieuse débouche, partout en Europe, sur la dénonciation de ce qui n’était au fond qu’un secret de polichinelle, l’absence d’informations fiables sur la nature et l’origine de nombreux produits alimentaires.
Face au spectre d’une nouvelle « crise alimentaire », les services de M. Hamon suspendent l’agrément sanitaire de la société Spanghero, sans doute irrémédiablement condamnée désormais. S’en prendre au lampiste est facile mais peu efficient : même si des erreurs – voire des fautes – ont été commises par ladite société, n’est-ce pas plutôt le libre marché européen qu’il faut incriminer ? C’est ce qu’implicitement reconnaissent les mêmes services ministériels quand ils prétendent renforcer les contrôles – annonce faite pour rassurer mais qui relève plutôt de la communication, vu la nature des relations commerciales intra-européennes.
Une sorte de malédiction sui generis semble bien peser sur l’Europe de Bruxelles, qui oscille entre la nullité et la nocivité. Fondée sur le dogme d’un libéralisme exacerbé, elle distille cependant un ensemble de réglementations kafkaïennes, qui paralyserait les meilleures volontés et permet paradoxalement à divers trafics de prospérer en toute impunité. On est ainsi effaré d’apprendre que certains steaks hachés suivent un circuit « communautaire » d’une demi-douzaine de pays : Roumanie → Pays-Bas → France [1] → Luxembourg → France [2] → pays consommateur ! Cet imbroglio géographique et l’opacité de la plupart des intermédiaires ont pour conséquence l’impossibilité (à ce jour, du moins) d’un étiquetage final comportant la nature réelle des ingrédients et une vraie « traçabilité » des plats cuisinés qui finissent dans nos assiettes.
Pourtant, le vent pourrait bien tourner. En effet, les acteurs économiques mais aussi les médias et par conséquent les opinions publiques (c’est patent en France) semblent favorables au rétablissement de « circuits courts » de consommation. Il faut s’en féliciter : outre que c’est le bon sens même, c’est tout simplement notre intérêt commun. Encore un pas : cette relocalisation de la production-consommation pourrait être envisagée pour tous les secteurs (et pas seulement l’alimentaire) où la chose est possible. Cela suppose bien entendu une intervention de l’Etat avec le rétablissement d’une politique de méfiance/défiance donc de protection aux frontières.
Mon cher Delanglade, le mode de développement en « circuit court » ne remet nullement en question le principe d’une croissance sans fin, dont il cherche à sauver la possibilité tout en affirmant rechercher les moyens qui ne la rendraient pas écologiquement catastrophique.
Si l’on admet en effet que le développement est la cause principale de la dégradation du milieu naturel de vie, il est tout à fait illusoire de vouloir satisfaire « écologiquement » les besoins de la génération présente sans remettre en cause la nature de ces besoins. En effet, la théorie du développement durable que vous semblez appeler de vos voeux, se contente, pour faire face aux problèmes, de développer des procédures ou des techniques de contrôle qui soignent les effets de ces maux sans agir sur les causes.
Elle s’avère ainsi particulièrement trompeuse, puisqu’elle laisse croire qu’il est possible de remédier à la crise sans remettre en question la logique marchande, l’imaginaire économique, le système de l’argent et l’expansion illimitée du capital. En fait, elle se condamne à terme dans la mesure où elle continue de s’inscrire à l’intérieur d’un système de production et de consommation qui est la cause essentielle des dommages auxquels elle prétend remédier.
Faire dire à quelqu’un ce qu’il n’a pas dit confine à la malhonnêteté. L’article prend une position claire en faveur d’un mode de consommation transparent et qualitatif car fondé sur des circuits courts, mode de consommation qui pourrait aussi présenter l’avantage de faire vivre la production française et non les productions étrangères. Pour le reste, libre à vous de penser comme certains utopistes qu’on pourra soit changer la nature de l’être humain, soit en revenir au troc et pourquoi pas au langage inarticulé.
Une sorte de malédiction sui generis semble bien peser sur l’Europe de Bruxelles, qui oscille entre la nullité et la nocivité.
bien dit et cela est la vérité.
Il n’est pas malhonnête de dire que le mode de développement « circuit court » ne remet donc nullement en question le principe d’une croissance sans fin, dont il cherche à sauver la possibilité tout en affirmant rechercher les moyens qui ne la rendraient pas écologiquement catastrophique.
Cette démarche s’apparente à la quadrature du cercle.
Dans de telles conditions, il est tout naturel qu’une autre théorie se fasse jour. Cela impose de combattre le productivisme sous toutes ses formes, en vue, non d’un retour en arrière, mais d’un dépassement.
Ce qui est malhonnête c’est de laisser supposer (voir le 1er paragraphe de votre 1er commentaire) que l’article incriminé défendrait l’idée d’une croissance sans fin. Il s’agit d’un article à caractère « politique » (au sens large) et votre analyse se situe à un autre niveau puisque vous prétendez qu’il faudrait substituer une théorie à une autre (voir votre second commentaire). Je suis de ceux qui pensent qu’il faut se méfier des théories.
Mon cher Créon, je pense que vous avez mal lu mes commentaires. La théorie du « circuit court », « de la relocalisation », se contente, pour faire face aux problèmes, de développer des procédures ou des techniques de contrôle qui soignent les effets de ces maux sans agir sur les causes. Et les causes sont toujours les mêmes : le système de l’argent et l’expansion illimitée du capital.
Je sais lire et je répète qu’il n’est pas question de théorie dans l’article mais de restaurer et de privilégier un mode de fonctionnement plutôt traditionnel et qui a fait ses preuves : accuser ce dernier – au nom d’une de ces utopies qui ont fait long feu – relève de l’idéologie plus que du bon sens.