Lucide, M. Hollande affirme le 5 février devant le parlement européen que « ce qui nous menace, ce n’est plus la défiance des marchés, c’est celle des peuples » : à une confiance de fond des marchés fondée sur la richesse réelle d’une Europe devenue pour eux la poule aux œufs d’or répond en effet, de plus en plus et un peu partout dans les pays de l’Union, le scepticisme et le mécontentement des peuples. Trois semaines plus tard, l’Italie vote, avec les résultats que l’on sait. C’est l’incompréhension et la consternation chez les européistes, atterrés par la montée d’un populisme honni conduisant d’après eux à « une impasse démocratique ». Les plus calmes soulignent la conjonction d’une forte abstention, d’une bonne campagne de M. Berlusconi et de la percée du M5S de M. Grillo. Les plus enragés invectivent les Italiens et leurs meneurs, allant jusqu’à les traiter de clowns.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la France pourrait bien connaître un scénario à l’italienne. Nous aussi sommes à la merci des marchés dont nous dépendons désormais (depuis une bonne trentaine d’années), puisque ce sont eux qui nous permettent de vivre à crédit et qui contraignent les gouvernements successifs à adopter des politiques de rigueur, donc à mécontenter les citoyens-électeurs. Il paraît ainsi difficile d’échapper à l’alternative austérité~populisme et on comprend la colère de ceux qui manifestent contre des sacrifices dont la seule justification est de confirmer une courbe et/ou une statistique bruxelloises. Aussi Mme Le Pen a-t-elle beau jeu de demander la tenue d’un référendum sur la sortie de la France de l’Union européenne en janvier 2014.
En réalité, il n’y a pas divorce entre l’Union européenne et les peuples d’Europe car il n’y a jamais eu mariage. Conçue à l’origine par ses pères fondateurs comme une « zone » de paix et de prospérité, l’Europe – ou plutôt ce que l’on nomme abusivement aujourd’hui « Europe » – a été, au fil des ans, affublée de tous les oripeaux de la pensée unique, laquelle en a fait une sorte de paradis idéologique à venir pour les prétendues « valeurs démocratiques ». Les européistes peuvent bien s’arracher les cheveux. Leur véritable tort reste d’avoir rêvé une Europe coupée de ses réalités et honteuse de ses racines – comme l’illustre si bien l’exemple trivial des billets émis par la B.C.E. En fait, l’Europe existe, elle est même derrière nous : une diversité foisonnante de peuples et d’États, un inépuisable capital culturel et artistique, une étonnante capacité à travers l’histoire à être elle-même et un modèle pour les autres – et, au fond, pour reprendre les termes de José Antonio Primo de Rivera, une véritable unité de destin dans l’universel.
C’est seulement dans le respect d’elle-même que l’Europe pourrait acquérir une dimension politique.
Malgré les déceptions qu’elle a engendrées, la construction européenne n’en reste pas moins plus nécessaire que jamais. Pourquoi ? D’abord pour permettre à des peuples européens
trop longtemps déchirés par des guerres et des conflits ou rivalités de toutes sortes de reprendre conscience de leur commune appartenance à une même aire de culture et de civilisation et de s’assurer d’un destin commun sans plus jamais avoir à s’opposer entre eux.
L’objectif ne serait pas alors de faire l’unité de l’Europe en réduisant sa diversité, par le moyen notamment d’une réglementation supranationale, mais au contraire de faire reposer la construction européenne sur la prise en compte de cette diversité, par la mise en oeuvre d’un principe d’intégration différenciée.
Le modèle de l’Etat-nation n’étant pas viable, vers quel modèle alternatif se tourner ? L’histoire de l’Europe en suggère un : celui de l’Empire.
L’Empire? Pourquoi pas? Mais qui sera l’empereur? De quelle nation viendra t-il? Voyez-vous un pays capable de donner le jour à un tel projet? Et de quelle élite? Nos élites ont donné la preuve de leur totale trahison. De toute façon, ne vous illusionnez pas, cher Parabellum, l’Europe dont vous rêvez suppose d’abord la démolition totale de celle existante. Le schéma de Guillaume Faye « prendre les commandes de l’avion en vol » est aussi futile que l’idée de royaliser la république défendue par la NAF à ses débuts.
Vous avez raison mon cher Antiquus, l’objectif est utopique mais c’est le seul qui s’inscrive en rupture de ce que nous connaissons. Cela implique bien sûr de s’entendre sur la notion d’Empire, dont les Français sont peu familiers du fait même de leur histoire nationale.
Dans l’Etat-nation, la nation, née d’une prise de possession territoriale, résulte de la simple adhésion des individus à l’Etat, leur solidarité ne découlant que de leur commune appartenance administrative à cet Etat. L’Empire correspond au contraire à la personnification juridique et à l’expression politique d’une ou de plusieurs communautés fondées sur des solidarités naturelles autres que la consanguinité. Citoyenneté et nationalité sont distinctes. L’Etat-nation moderne vise par ailleurs à l’homogénéité des normes et de réglementations, celle-ci étant garantie juridiquement par l’égalité formelle des droits, tandis que les empires tendent à instaurer des normes asymétriques ou différenciées en fonction des spécificités socioculturelles locales.
L’Empire est un mode de gestion et d’organisation de la diversité.
C’est précisément ce qui a fait dire à plusieurs auteurs que l’Europe ne peut être pensée que sur le modèle de l’Empire, mais d’un empire adapté à notre temps, c’est-à-dire sans visée hégémonique.
Mais ce sont évidemment là des perspectives lointaines. Dans l’immédiat, comment sortir de l’impasse dans laquelle « l’Europe » s’est enfermée ? Pour l’heure, il semble n’y avoir que trois possibilités : poursuivre dans la même voie, dont on connaît maintenant les résultats, se replier sur les seules structures nationales, comme le souhaitent les souverainistes, la « construction » européenne se ramenant alors à de simples initiatives intergouvernementales dans quelques domaines précis, ou s’efforcer de donner à l’Union européenne de véritables institutions politiques en mettant fin une fois pour toutes à l’équivoque sur les finalités. Mais si l’on choisit cette dernière option, on réalise tout de suite qu’elle ne fait pas l’unanimité.
Nietzsche disait : » L’Europe ne se fera qu’au bord du tombeau ». Il est à craindre qu’il ait raison. Une fois de plus.
Nous sortons ici du politique. Nous sommes dans le prophétisme. Thibon avait sans-doute raison de penser que Nietzsche, comme Maurras, était un grand esprit religieux.