Le hasard fait coïncider sa sortie avec la publication de notre Album, Maîtres et témoins (III) : Léon Daudet : Stéphane Giocanti vient de publier un « C’était les Daudet », que nous avons présenté ici-même le dimanche 3 février, avec l’excellente critique de Charles d’Andigné, dans Famille chrétienne…
Juste après l’article de Charles d’Andigné, Sébastien Lapaque présentait l’ouvrage à son tour, dans Le Figaro : LAPAQUE SUR GIOCANTI.pdf
Rien à redire sur ce très bon article de Sébastien Lapaque, dont on connaît la culture, et que l’on sait bien informé, bien documenté. Sauf une chose, malgré tout, à la fin de son article, qu’il nous a semblé utile de signaler ici. Certainement pas dans un esprit de critique, encore moins dans un désir de polémique vaine et stérile, mais, bien au contraire, dans un esprit de « disputatio » amicale, persuadés que la confrontation des idées et des documents permet d’éclaircir les choses, de rapprocher finalement les points de vue, dans un esprit positif, et dans le but de faire progresser la connaissance et la compréhension des choses; ce qui est bien le but recherché ici, et la meilleure manière de « pratiquer » l’amitié intellectuelle…
Voici le paragraphe de fin de l’article auquel nous voulons réagir, car nous pensons au contraire que, oui, Léon Daudet a bel et bien répudié l’antisémitisme, clairement, publiquement et définitivement :
« …Rendre justice à Léon Daudet est une entreprise plus délicate. Stéphane Giocanti y parvient en n’écartant pas les motifs de fâcherie. Il recense, chez Léon Daudet, une formidable bonne humeur, une énergie rabelaisienne, un radar infaillible qui lui fait déceler tous les talents naissants, une générosité qui le pousse à toujours les défendre. Mais il ne disconvient pas du caractère odieux de son antisémitisme — odieux et surtout absurde, quand on songe que deux de ses meilleurs amis eurent pour nom Marcel Proust et Marcel Schwob.
Face au mystère de la permanence d’Israël dans l’histoire, Léon Daudet ne daigne pas réfléchir en chrétien — comme Paul Claudel et Georges Bernanos s’obligèrent à le faire. L’ancien carabin s’obstine à raisonner en médecin hygiéniste et admire le Céline de Bagatelles pour un massacre. La destruction programmée des Juifs révulse ce germanophobe qui abhorre tout ce qui vient d’Allemagne en matière politique, mais il refuse de faire le pas de côté qui l’arracherait à sa tradition et à son préjugé. Il y a une part d’ombre chez cet homme à l’intelligence et la sensibilité fiévreuses traversées par des vents contraires. Un élan autodestructeur, également — la part maudite des Daudet. »
Nous l’avons dit : la publication de notre Album se fera en feuilleton; mais comme il compte plus de 250 photos, à raison d’un envoi d’une vingtaine de photos à chaque « livraison », ce n’est que dans plusieurs semaines que l’on trouvera une « réponse » à cette affirmation de Sébastien Lapaque, sur laquelle nous ne sommes absolument pas d’accord..
En attendant – puisque l’article de Lapaque vient de paraître, et que nous souhaitons suivre l’actualité, en temps réel, comme on dit dans le jargon… – nous avons choisi de lever un coin du voile et de donner, simplement, les quatre citations suivantes, explicites, qui ne laissent planer aucun doute sur le fait que Daudet a bel et bien révoqué son antisémitisme originel. Quand elles paraîtront, elles seront accompagnées d’autres documents sur le même sujet…
La vie de Daudet se divise presqu’également en deux parties : 36 ans « avant » l’AF, et 37 ans « dedans »; on doit à la vérité de noter que si, depuis ses débuts et jusqu’à la Grande Guerre, Léon Daudet a effectivement été « antisémite », bien avant la fin des années vingt (il suffit de consulter la collection du journal, qui, évidemment, fait foi…) on voit que Daudet a cessé toute attaque contre « Israël »… Et on ne peut pas ignorer ces lignes, écrites par lui, qui se passent de tout commentaire, ou faire comme si elles n’avaient pas été écrites… :
1. De Paris Vécu, 1ème Série, Rive droite, pages 27/28 (écrit en 1929 et 1930) :
« …En ce qui concerne l’antisémitisme, il y a belle lurette que je m’en suis détaché de toutes manières – j’ai eu comme ami un juif authentique, Marcel Schwob – et que le développement de mon être intérieur m’a plutôt porté à essayer de comprendre Israël, et la raison de ses coutumes et de leur persistance, qu’à le maudire.
Je ris quand j’apprends que des personnes me croient encore dans le même état moral vis-à-vis des fils de Sion qu’il y a trente ou vingt-cinq ans.
J’ai toujours admiré, et même chéri, les vers de ce très mauvais bougre d’Henri Heine.
Je crois avoir été l’un des tout premiers à célébrer le Chad Gadya d’Israël Zangwill… »
Surtout, Léon Daudet – comme Charles Maurras – pose le « problème » en terme « politique », et non en terme « racial » ou en terme « de peau », comme l’a fait un Voltaire ou un Napoléon (qui disait : « On ne se plaint point des protestants et des catholiques comme on se plaint des Juifs. C’est que le mal que font les Juifs ne vient pas des individus, mais de la constitution même de ce peuple : ce sont des sauterelles et des chenilles qui ravagent la France » !…), et bien sûr un Hitler; comme le font aujourd’hui, dans nos Cités et banlieues, ceux qui crient en plein jour « Mort aux juifs ! », et dont on sait qu’ils votent à 93% pour le candidat du Parti socialiste : « Dans toute cette affaire de décomposition et de l’enjuivement de l’État français, c’est la démocratie qui est coupable et non le juif. Cela Drumont n’a jamais voulu le comprendre… » écrit Daudet, juste après la citation précédente.
En réalité, Léon Daudet a la même conception que le Maurras qui écrit :
« L’antisémitisme est un mal si l’on entend par là cet antisémitisme de « peau » qui aboutit au pogrom et qui refuse de considérer dans le Juif une créature humaine pétrie de bien et de mal, dans laquelle le bien peut dominer. On ne me fera pas démordre d’une amitié naturelle pour les Juifs bien nés. »
2. De Paris Vécu, 2ème Série, Rive gauche, page 22 :
« …Marcel Schwob avait une vaste culture, la sensibilité à fleur de peau et l’esprit de charité.
Il n’était pas de physique agréable, bien que l’éclair de son regard bleu fût unique.
Mais il était attachant, et c’est par son souvenir, autant que par certaines réflexions qui me sont venues plus tard, que je me suis détaché de l’antisémitisme et que le problème de la race errante s’est imposé à moi objectivement, sous une forme simplement scientifique.
Je n’ai pas connu d’idéaliste plus complet que Marcel Schwob, promis, dès cette époque, à des affres surhumaines et qu’il devait supporter héroïquement.
Georges Hugo s’était pris lui aussi d’amitié pour Schwob. Il l’invita dabord à Hauteville House, dont il était, à Guernesey, copropriétaire avec sa soeur, puis à La Marcherie, où se trouvait, cette année-là, Camille Claudel, soeur de Paul Claudel, et sculpteur de génie… »
3. De « Au temps de Judas », pages 218/219 (paru en 1920) :
« …Les juifs eux-mêmes ont reconnu qu’il y avait une question juive, puisque leurs sionistes se sont flattés de la résoudre, par la reconstitution territoriale d’une Judée.
Nul homme sensé ne songe à persécuter Israël, après une guerre où ses fils ont mêlé leur sang à celui de nos enfants. Mais nul israélite sensé ne niera que l’égorgement de « L’Union Générale » fut une faute grave (1), comme fut une autre faute grave la campagne anticléricale et antimilitariste de l’Affaire Dreyfus.
Pour empêcher le retour de pareilles fautes, des précautions peuvent et doivent être prises, d’un commun accord, entre les représentants les plus qualifiés du peuple juif et les dirigeants de l’Etat français.
La nationalisation de cet État français, en assurant la sécurité extérieure, détruira ainsi les germes de haine qui nuisent à la paix intérieure… »
(1) : « L’Union générale » était une banque catholique française, fondée en 1878 par Paul Eugène Bontoux.
Après avoir connu un grand essor et réalisé de grandes choses, elle fit faillite de manière retentissante en 1882.
Cette banque rencontra un grand succès dans les milieux catholiques et légitimistes, et obtint même l’appui du comte de Chambord. Le secrétaire du pape, le cardinal Jacobini, s’engagea également au capital de la banque.
L’effonfrement de celle-ci fut liée à des spéculations hostiles – aux visées politico-économiques – venant de divers milieux, dont certains milieux bancaires juifs.
A partir de là, il fut facile à certains antisémites de généraliser leur critique et leur ressentiment envers quelques banquiers à l’ensemble de la communauté juive…
4. De « Au temps de Judas », page 17 :
« …Persécuter Israël serait impolitique et odieux. Lui tracer des limites de bienséance et d’action politique, dont il recueillerait bien vite le bénéfice moral, serait une bonne et même une très bonne chose.
Beaucoup d’israélites intelligents le reconnaissent volontiers et demandent à ne pas être confondus avec ceux qu’ils appellent, génériquement et méprisamment, les « levys », c’est-à-dire les éternels mécontents, les éternels agitateurs.
Beaucoup d’israélites, intelligents et prévoyants, commencent à sentir, eux aussi, le besoin de l’ordre, d’un ordre qui les mettrait, cordialement, mais fermement, à leur plan… »
Un François Mitterand – président de la République française… – ne parlait pas autrement lorsqu’il refusait de reconnaître la responsabilité de l’État français dans « la rafle du Vel d’Hiv », estimant qu’il s’agissait là « d’une demande excessive de cette communauté »…
A bientôt, donc, sur notre « Album Daudet », pour encore plus de mises au point sur ce sujet délicat…
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