Si l’intention vaut l’action, M. Hollande est un grand politique, car nul ne niera que réduire l’évasion fiscale serait une bonne chose. Mais, dans les faits, et au vu du rapport des forces, s’il est probable qu’on arrivera à amener l’Autriche à résipiscence, c’est très incertain pour la Suisse et sans doute impossible pour Singapour, le Delaware ou les Iles anglo-normandes. En d’autres termes, la déclaration de M. Hollande est forte mais, sauf si on devait (et pouvait) s’en donner les moyens, elle risque d’être de peu d’effet – donnant raison à ceux qui n’y voient qu’une grossière diversion politicienne.
Au moins fait-elle ressurgir le serpent de mer européen. Il semble évident que si la très puissante, mais très désincarnée, « Europe » économique parlait d’une seule voix, elle serait entendue des plus récalcitrants. Malheureusement, l’« Europe » n’existe qu’en creux – par son inexistence, en quelque sorte, comme dans l’affaire malienne. Une « Europe » inexistante mais paradoxalement toujours rêvée par les euronaïfs, toujours critiquée par les eurosceptiques.
Des euronaïfs qui nient les pesanteurs de l’Histoire, faisant fi des réalités humaines – et à qui, soit dit en passant, la polémique suscitée par l’actuelle exposition du Louvre sur l’art allemand de 1800 à 1939 constitue un joli pied de nez, la presse d’Outre-Rhin s’insurgeant (à tort ou à raison, peu importe ici) contre l’image d’une Allemagne guerrière (Die Zeit) donc dangereuse (Frankfurter Allgemeine Zeitung) donnée à cette occasion en France. Des eurosceptiques de plus en plus nombreux dans les divers pays membres de l’Union européenne, jusqu’en Allemagne même où, ce dimanche 14, s’est tenu le congrès fondateur de l’Alternative für Deutschland, nouveau parti, qui prône tout à la fois la dissolution de la zone euro et la recherche d’une autre Europe, qui entend influer sur les choix du prochain Chancelier et est déjà crédité d’un quart des intentions de vote.
Vendredi 12 avril, dans sa « matinale » de France Inter, M. Cohen pensait bien tenir avec son invité politique du jour – M. Schulz, membre du Parti social-démocrate allemand et actuel Président du Parlement européen – un soutien de poids à l’européisme nébuleux de son chroniqueur patenté, M. Guetta. De fait, M. Schulz – idéologie oblige – commence par critiquer les dirigeants « conservateurs » européens (visant ainsi Mme Merkel) et affirme qu’une « Europe » sociale-démocrate (en cas de victoire du S.P.D.) serait moins austère et plus généreuse. Mais le réalisme germanique prend très vite le dessus : un chancelier social-démocrate défendrait, lui aussi, d’abord l’Allemagne. Mieux : si on veut que l’Europe pèse (et puisse ainsi exiger que soit mis fin aux paradis fiscaux extra-européens), il faut se doter d’un outil politique, c’est-à-dire institutionnaliser une communauté des Etats.
Le mot « Etats » – M. Schulz ne saurait l’ignorer – fait référence aux plus hautes des réalités politiques actuelles. Il ne s’agit plus, dès lors, de poursuivre l’impossible construction d’on ne sait quelle « Europe » mythique et supranationale, il s’agit de donner corps à ce qui existe. La seule Europe raisonnablement et politiquement souhaitable et faisable, donc viable, est bien celle qui reposerait sur les quelques Etats représentants des vieilles « nations » du continent (à commencer par la France et l’Allemagne). Plus qu’une simple alliance, mieux qu’une association, ce pourrait être une confédération, où chaque Etat subsisterait, tout en formant avec les autres un front commun (économique, militaire, diplomatique, etc.) face à l’étranger. Merci, M. Schulz, de l’avoir indirectement (et peut-être involontairement ?) rappelé.
La construction politique de l’Europe est aujourd’hui totalement bloquée, à la fois par la persistance des logiques étatiques nationales, par l’absence totale de volonté des hommes politiques, et par la bureaucratie.
L’Europe confédérale actuelle (ou Europe des Etats), n’échappe pas à la définition de la souveraineté qui est, depuis toujours, la notion-clé. La difficulté sur laquelle bute l’Europe depuis le début concerne la façon dont cette souveraineté peut être répartie.
L’alternative est la suivante: soit la souveraineté est du côté des Etats membres, soit elle est du côté de l’Union européenne (ou encore : soit il existe différentes réglementations nationales, soit il existe une réglementation européenne). On voit où nous en sommes aujourd’hui.
« La question de la souveraineté, disait très justement François Bayrou, n’est pas la première question de la politique. Elle est la seule. Pouvons-nous, ou pas, gouverner notre destin, comme citoyens, et comme peuple ? Si la réponse est non, la démocratie est nulle et non avenue […] Pour exercer la souveraineté, il nous faut construire notre puissance. Une seule voie est disponible, la voie européenne. Pour retrouver la souveraineté perdue des nations, il faut construire la ouveraineté européenne […] Il n’y a qu’une voie vers l’union politique de l’Europe et sa souveraineté, c’est la voie fédérale qui seule permet de vouloir ensemble en restant différents ».
L’équivoque majeure tient au fait qu’il n’y pas d’accord sur les finalités de la construction européenne. C’est ce problème des finalités qui doit être posé.
De tous temps, la Gauche française s’est nourrie de l’espoir et de l’illusion que l’arrivée au pouvoir d’un Chancelier social-démocrate, changerait la donne, non seulement de la politique socio-économique, mais aussi de la politique étrangère de l’Allemagne. C’est que les socialistes français se sont toujours imaginés que les sociaux-démocrates allemands leur ressemblent; qu’ils partagent la même idéologie. L’Histoire les a toujours démentis. L’Allemagne, d’instinct, n’accepte une perspective fédérale que si elle peut en être l’élément dominant. C’est normal, car c’est ainsi que la Prusse l’a rassemblée et, même si elle fut ici ou là plus ou moins imposée, qu’elle a réalisé son unité.
A tout prendre, une Europe à domination allemande serait préférable à une Europe américaine. Encore que nous pourrions avoir les deux. Mais est-ce ce que nous voulons ?