Il peut sembler étrange, voire incongru qu’un site royaliste comme le nôtre aborde un tel sujet. Disons avec le poète Térence que « je suis homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger » (Homo sum; humani nihil a me alienum puto).
Beaucoup d’évènements concomitants sur une période du calendrier très courte, conduisent à nous arrêter plus particulièrement sur l’aventure des gaz de schistes.
Elle n’en est qu’à ses débuts, et se présente comme un bond inattendu et gigantesque dans la course de l’Humanité à la recherche de l’énergie.
Elle présente deux caractéristiques : les réserves potentielles sont identifiables assez précisément, et sont considérables dans certaines zones (48 selon l’Agence internationale de l’Énergie), par ailleurs les techniques évoluent à très grande vitesse, proposant des évolutions majeures tous les six mois environ.
Nous verrons que la France s’est mise hors jeu, un monde politique pusillanime s’étant couché devant une poignée de spécialistes de l’agitprop dont on peut se demander au profit de qui ils opèrent …
I) Rappel historique et état des lieux
11 – Histoire
Leur histoire commence il y a un peu moins de deux siècles avec le forage, en 1821, du tout premier puits de gaz naturel aux États-Unis. Une première compagnie gazière a été créée en 1858, mais la première fracturation hydraulique n’a été réalisée que dans les années 1940. Cette technique était encore peu rentable à l’époque. Elle consistait déjà à fracturer la roche, avec un fluide sous haute pression, pour libérer le gaz ou l’huile emprisonnés. « Ce n’est que vers la fin des années 1990 que de nouveaux essais ont été entrepris aux États-Unis. La croissance de la production des gaz de schiste n’est vraiment devenue exponentielle outre-Atlantique que vers 2005. Avant ils étaient encore peu rentables et techniquement trop difficiles à extraire », explique Michel Séranne, géologue à l’université de Montpellier. Avec la maîtrise, par la compagnie américaine Devon Energy, de la technique du forage horizontal, suivi d’essais concluants en 2005, la production a vraiment démarré aux États-Unis, avec l’essor grandissant qu’on lui connaît aujourd’hui.
Les premiers projets d’exploitation sont nés dans les années 1970-1980, mais c’est en 2005 que la production a commencé à croître à un rythme impressionnant. Parmi les gaz non-conventionnels (gaz de réservoir/tight gas ; méthane de houille/coalbed methane et gaz de schiste/shale gas), c’est le gaz de schiste qui a connu ces dernières années le plus grand essor aux États-Unis, quoiqu’il soit exploité depuis moins longtemps que les autres. Ainsi, sa production était d’environ 30 milliards de mètres cubes en 2006, de 55 milliards en 2008, de 85 milliards en 2009 et serait d’environ 260 milliards de mètres cubes en 2012 selon la US Energy Information Administration (EIA). Aux États-Unis, les gaz de schistes représentent 23 % de la production totale de gaz (dont 58 % est « non conventionnelle »), un chiffre qui augmente chaque année. Il est encore difficile d’estimer les ressources mondiales en gaz de schistes mais elles semblent considérables et pourraient, à terme, changer la donne de la géopolitique gazière.
Connus depuis des décennies, les gaz de schiste font beaucoup parler d’eux, parce que leur production est devenue suffisamment performante pour être rentable. Grâce à eux, les États-Unis se placent devant la Russie en termes de réserves gazières. Ces gaz font toutefois l’objet d’une controverse. Ils suscitent en effet de vives contestations, principalement en raison de l’impact supposé de leur exploitation sur l’environnement.
Les États-Unis ont été les premiers à exploiter les gaz de schiste, mais il existe des réserves de gaz non conventionnels un peu partout dans le monde, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Cette dernière les estime à 920 Téra m3 (un Téra m3 équivaut à 1000 milliards de m3), sachant que la consommation mondiale actuelle de gaz est estimée à 3,1 Téra m3 par an.
Du gaz (essentiellement méthane) est contenu dans des roches sédimentaires argileuses très peu poreuses et imperméables. Ces roches, riches en matière organique (de 2 à 10%), ont généré des hydrocarbures gazeux par augmentation de pression et de température lors de leur enfouissement tout au long des temps géologiques. Une grande partie de ce gaz est resté piégé dans ces roches.
Du fait de la très faible perméabilité de ces roches, ces hydrocarbures ne peuvent être exploités avec les modes de production classiques d’où leur classement dans les gaz « non conventionnels ».
« …il existe des réserves de gaz non conventionnels un peu partout dans le monde, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Cette dernière les estime à 920 Téra m3 (un Téra m3 équivaut à 1000 milliards de m3)… »
12 – Technologie
La production de gaz de schiste a augmenté très rapidement ces dernières années aux États-Unis et se développe dans de nombreux pays (Argentine, Pologne, Chine, etc.). Comme beaucoup d’autres sources d’énergie, elle suscite des peurs et des contestations compte tenu de ses impacts environnementaux supposés. Le gaz de schiste étant piégé dans des roches très peu perméables, son exploitation nécessite la mise en œuvre de deux technologies: le forage horizontal et la fracturation hydraulique. Le premier permet d’exploiter le gisement sur une plus grande étendue à partir d’un seul puits. La seconde vise à augmenter la perméabilité de la roche en la fracturant et, donc, à faciliter l’extraction du gaz.
Contrairement à ce qui est propagé en France avec insistance, il s’agit de méthodes très anciennes: le forage horizontal est généralisé depuis les années 1980, et les débuts de la fracturation hydraulique remontent à 1948. Actuellement, plus de 10.000 fracturations sont effectuées chaque année dans le monde, y compris pour la géothermie ou la production d’eau potable.
Cette technique présente l’inconvénient de requérir beaucoup d’eau (douce ou salée) mais grâce aux progrès technologiques les quantités ont fortement diminué. Des additifs chimiques, d’usage courant pour certains, y sont ajoutés en très faible quantité (moins de 0,2 %) afin de rendre la fracturation plus efficace. Les entreprises ont l’obligation d’en publier la liste.
Une partie de l’eau utilisée revient en surface. Elle fait l’objet d’un traitement afin d’éliminer les produits injectés ainsi que ceux naturellement présents dans le gisement, notamment le sel. Pour ne pas polluer les nappes phréatiques, plusieurs tubages en acier sont mis en place sur les premières centaines de mètres du puits, comme cela se pratique dans tous les forages. La fracturation s’étend sur quelques dizaines de mètres à l’intérieur du gisement souvent situé à grande profondeur (1000 à 2000 mètres). Des technologies géophysiques sont mises en œuvre pour détecter la présence éventuelle de failles à proximité et suivre en temps réel la propagation des fractures.
La production de gaz non conventionnels nécessite un nombre important de forages. Pour réduire l’emprise au sol, et donc limiter l’impact paysager, plusieurs «drains» (20 par hectare en moyenne avec un maximum de 70) sont forés à partir de la même plate-forme.
Il est vrai que l’exploitation du gaz de schiste dans certains États américains s’est accompagnée de pratiques contestables. Ceci est lié au contexte spécifique américain où le propriétaire d’un terrain possède aussi les ressources du sous-sol. Par ailleurs, la réglementation technique et environnementale varie beaucoup d’un État à un autre. Elle a néanmoins été renforcée afin d’imposer des bonnes pratiques et limiter d’éventuels dommages. Enfin, l’importance des enjeux des hydrocarbures non conventionnels, une source d’énergie fossile supplémentaire, conduit l’industrie à engager des efforts en matière de recherche: l’objectif est de réduire toujours plus l’impact environnemental. Même si le risque zéro n’existe pas, il est possible d’extraire «proprement» le gaz de schiste.
On estime à 2 millions le nombre de fracturations hydrauliques effectuées à ce jour dans le monde. L’imprécision vient de ce qu’il s’agit d’une méthode routinière de forage dont seuls les logs de forage font état sans que les media ne s’en mêlent, sauf en France. Aux Etats-Unis, les 450 000 puits à gaz forés à ce jour ont tous eu recours à la fracturation hydraulique et Mrs Elizabeth Ames Jones, Chairman de la Railroad Commission of Texas, interrogée récemment par le Sénat américain a déclaré, qu’à sa connaissance, il n’y avait jamais eu de pollution de nappes phréatiques. La Rail Road Commission of Texas est une super DREAL (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement) dont elle partage les attributions.
Bon an mal an, depuis 2009 les États-Unis forent plusieurs milliers de puits à gaz et huiles de schiste par an et tous ces puits sont fracturés hydrauliquement. À noter que la première fracturation hydraulique commerciale a eu lieu en 1949 à Valma en Oklahoma.
On injecte sous forte pression (plusieurs centaines de bars) un mélange composé de 99,51% d’eau, de sable ou de microbilles de céramique et de 0,49% d’agents chimiques issus de l’industrie agro-alimentaire pour fluidifier la boue, tuer les bactéries, prévenir la corrosion et éviter la formation d’écailles de métal. Les produits chimiques soi-disant cancérigènes sont maintenant totalement éliminés. Aux États-Unis, les pollutions ont été provoquées par l’usage de produits interdits et par des pratiques non professionnelles pour cimenter les puits de forage. Pouvons-nous exploiter ces ressources proprement ? Nous soutenons que oui. Beaucoup de pays le pensent et y travaillent. Au-delà du contrôle des techniques de forage et des produits utilisés, il convient également d’analyser soigneusement les constituants de la roche mère qui sont délavés et remontés à la surface.
Il est difficilement concevable et géologiquement impossible (sauf sur le papier) que les eaux de fracturation puissent contaminer les nappes phréatiques. Quelques 6000 forages ont été faits en France à ce jour dont 1500 forages d’exploration environ (wildcats) et plus de 2000 forages de développement dans le seul bassin de Paris et aucune pollution de nappes phréatiques n’a jamais été relevée. Nous sommes bien loin des 596 produits chimiques dont « certains sont cancérigènes » que Josh Fox (voir infra) n’a jamais pu nommer.
En avril 2011, la Chambre des représentants des États-Unis a remis un rapport intitulé «Chemical used in hydraulic fracturing». Selon ce texte, les 14 principales compagnies du secteur ont, entre 2005 et 2009, utilisé 2500 produits contenant 750 composants chimiques. Plus de 650 de ces produits renferment des substances connues pour leur effet cancérigène, selon les critères américains appliqués à l’eau potable (le Safe Drinking Water Act), ou sont des polluants atmosphériques. Selon les experts, ces produits ne sont pas nécessaires, ni souvent même utiles. Fallait-il cinq années pour s’en rendre compte? Un an après, les additifs ont été ramenés au nombre de 12, tous d’origine organique.
Les Français découvrent cette nouvelle source d’énergie par le film « Gasland » et la perçoivent majoritairement comme une menace plus que comme une opportunité ou une chance. Film documentaire américain sorti en 2010, écrit et réalisé par Josh Fox, il a pour objet l’impact environnemental et sanitaire de la méthode d’extraction par fracturation hydraulique. Josh Fox visite d’abord Dimock (Pennsylvanie), dans une zone d’exploitation du gaz de schiste. Il y rencontre plusieurs familles dont l’eau du robinet peut prendre feu si l’on en approche un briquet. Une enquête d’État menée par la Colorado Oil and Gas Conservation Commission a par la suite prouvé que le problème était dû au méthane naturellement présent dans l’eau et non à la technique de fracturation hydraulique ou à l’exploitation du gaz.
Suite à la diffusion de ce documentaire, des doutes sont apparus quant à l’exactitude, l’attention aux détails et la justification de certains faits. Mais la profession pétrolière n’est pas la seule à avoir avancé des contre-arguments : Kiran Stacey, journaliste au Financial Times et spécialiste des questions économiques liées à l’énergie et à l’environnement, est également revenu sur plusieurs éléments clés du film.
13 – L’économie
Si certains chapitres donnent dans la controverse, il en est un qui fait l’unanimité, c’est le poids économique de cette richesse. Certes cette considération ne pourrait pas supplanter toutes les autres, s’il était avéré que son extraction présente des effets induits totalement rédhibitoires.
Le principal problème économique est que l’équilibre entre le coût et le bénéfice est encore loin d’être trouvé. Une recherche et une exploitation onéreuse ont conduit quelques entreprises à suspendre cette voie en attendant que les cours se stabilisent. Car les quantités de gaz de schiste aujourd’hui sur le marché ont quasiment écroulé les prix. Les stocks dans les schistes existent et sont sans conteste la sécurité de l’avenir.
Aux États-Unis, grâce à l’exploitation du gaz de schiste, le prix du gaz se situe aux alentours de 3 $/MBTU (La British Thermal Unit est une unité d’énergie anglo-saxonne. MBTU signifie 1000 BTU…)
À titre de comparaison, il se négocie à 8 $/MBTU en Europe, 12 $/MBTU en Asie et 15 $/MBTU au Japon, qui a dû négocier en urgence de nouvelles quantités après Fukushima.
L’exploitation des gaz de schiste a fait des États-Unis le premier producteur mondial de gaz naturel, installant une nouvelle donne tant économique que politique. Faut il un exemple de la rapidité vertigineuse avec laquelle la situation évolue ? Dans un étroit couloir maritime, exactement à la frontière entre la Louisiane et le Texas, le terminal gazier de Sabine Pass est devenu le symbole de l’une des plus grandes révolutions industrielles et économiques de ces trente dernières années. En 2003, la compagnie Cheniere y a construit un terminal géant, destiné à accueillir des méthaniers transportant du gaz naturel liquéfié. Commencé en 2003, mis en service en 2008, il ne fonctionne qu’au ralenti. Car entre ces deux dates, le développement considérable des gaz de schiste aux États-Unis a transformé le pays d’importateur en premier producteur mondial de gaz naturel devant la Russie. Cheniere a donc demandé l’autorisation au gouvernement américain de transformer son terminal de Sabine Pass d’importateur en exportateur de gaz. Un investissement de 10 milliards de dollars.
Après lui, sept autres projets du même type ont été déposés. Et la presse française du 29 Mars 2013 annonce que les premiers gaz de schiste américain arrivent en Europe, en Grande Bretagne !
Saturé de gaz, le pays est désormais celui où il se vend à prix bradé : près de 2 dollars l’unité de référence, soit sept à huit fois moins cher qu’ailleurs dans le monde. Mauvaise nouvelle pour les compagnies gazières, qui rêvent d’exporter leurs surplus, mais excellente nouvelle pour le pays qui est en train de sortir de la crise grâce à la combinaison diabolique de son dollar faible et de son gaz de schiste bon marché. On comprend que le gouvernement hésite à ouvrir les vannes et faire profiter le monde entier du bouleversement qu’il a connu ces dernières années.
S’il fallait une nouvelle preuve de l’influence du prix de l’énergie sur la santé d’une économie, l’apparition des gaz de schiste en constituerait une fameuse. Dans un pays ravagé par le chômage, ce seul secteur a créé plus de 600 000 emplois, surtout dans la bande centrale du pays. Plus important encore, il a provoqué une vague de relocalisation d’industries gourmandes en énergie. Pour la première fois depuis des décennies, une usine sidérurgique flambant neuve sort de terre près de Bâton Rouge en Lousiane, une autre dans l’Ohio. Chimistes et pétroliers multiplient les investissements. Barack Obama, qui voulait relancer la croissance par l’investissement dans les énergies renouvelables, voit l’économie repartir par la grâce d’un gaz de schiste qu’il n’attendait pas et dont les spécialistes assurent que les Etats-Unis possèdent pour cent ans de réserve.
Si l’Amérique décidait d’exporter son gaz, cela aurait des conséquences économiques et géopolitiques considérables. La première serait de casser le lien ancestral entre le prix du pétrole et celui du gaz. Car contrairement au pétrole, qui voyage facilement, le coût élevé du transport du gaz, par gazoduc ou par bateau, a conduit les fournisseurs à proposer à leurs clients des contrats de long terme indexés sur le pétrole, plutôt qu’une cotation sur un marché libre. Il en a résulté un morcellement des prix du gaz. Les Américains avec leur marché libre à quelques dollars, les Européens actuellement autour de 13 dollars et les Japonais à 17. À partir du moment où les Américains exporteront massivement, autant par exemple que le Qatar, le rapport de force sera sensiblement différent.
Et le bouleversement viendra d’ailleurs, de la dispersion de cette source énergétique. Hormis les Etats-Unis et le Canada, les grandes réserves potentielles sont en Amérique latine, en Chine, en Europe et en Afrique du Sud. La Chine, qui a doublé sa production d’électricité en cinq ans, en profitera pour réduire sa dépendance au charbon, le Japon vis-à-vis du Moyen-Orient et les pays d’Europe de l’Est, de la Russie. Reste le cas de la France, qui détiendrait les plus grosses réserves du continent mais qui s’est mise hors-jeu pour l’instant.
Le miracle américain est dû à la conjonction de réserves abondantes, de producteurs compétents, d’une législation avantageuse et d’un large réseau de gazoducs. Il est le seul dans ce cas. L’essor de ces technologies dans des pays comme la Chine ou l’Argentine sera plus coûteux. Sitôt les quantités américaines déversées sur le monde, les prix remonteront d’autant plus vite qu’ils sont plus volatils que les contrats de long terme classiques. Enfin, le gaz n’est pas la réponse à tout. Dans le mix énergétique mondial, il représente 20% de la consommation et pourrait grimper à 25% d’ici 2035, selon l’Agence internationale de l’énergie. Sur cette part, les gaz non conventionnels pourraient en représenter 20%, soit 5% les besoins énergétiques, contre 30% pour le charbon et un peu moins pour le pétrole. Mais ces 5% feront peut-être toute la différence. L’âge d’or du gaz a commencé. (à suivre)
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