Dans la semaine du 22 Avril, la France a eu la très mauvaise surprise de se voir infliger un nouveau Livre Blanc sur la Défense. Mais ne grossissons pas le trait. Sa place dans les media fut très éloignée de la pathologie de DSK, ou de la biologie nouvelle à la mode Taubira. Il ne s’agissait que de notre Défense Nationale, son budget, son avenir, sa Loi de programmation. Question traitée dans le registre des célèbres prédécesseurs des gouvernants d’aujourd’hui. Comme Léon Blum en 1933, « Du moment qu’on démolit l’armée (française), j’en suis « , faisant écho à Maurice Thorez, à l’Assemblée nationale : » Nous ne croyons pas un seul instant à la Défense nationale… Les prolétaires n’ont pas de patrie « .
Le 19 Décembre 1933 Léon Blum déclare à la Chambre : « Nous serons toujours contre la prolongation du Service militaire (…) C’est une erreur de placer la sécurité d’une nation dans sa force militaire » (Cité par Léon Daudet dans l’AF n° 353 du 19 Décembre 1933, « Daladier à la botte de Léon Blum »).
Il y a six ans, le 20 Juin 2007, le Monde titrait « Dépenses militaires, Un réarmement mondial, elles retrouvent le niveau de la guerre froide ». Et beaucoup d’articles pour dire et redire que la course aux armements était relancée. C’est pourtant dans ce contexte que notre document sorti d’un comité théodule tels que nos gouvernants du jour en raffolent, fut la justification à un nouveau coup de rabot sévère sur le budget d’une institution déjà tellement malmenée les années précédentes, malgré les dénégations, faisant écrire à un connaisseur de la chose militaire « Et la réflexion stratégique dans cette affaire ? » (Les Echos, 7 Mai 2013). Inutile de cacher que l’on paie le résultat direct du retour dans le commandement intégré de l’OTAN.
Le missile intercepteur KT-2 est utilisé dans le système de défense antimissile que la Chine est en train de mettre en place…
Et dans le même temps, le nouveau centre de gravité économique de la planète installe sans bruit mais avec ténacité et efficacité, sa puissance militaire avec une rapidité qui n’autorise plus à la regarder avec dédain ou indifférence. Le développement du complexe militaro-industriel de la Chine est spectaculaire, ici comme dans les autres domaines, selon des cadences par tranches de cinq années environ. Dans la continuité d’une politique mise en œuvre depuis l’année 2000, la Chine rompt progressivement avec le culte du secret hérité de la stricte orthodoxie communiste, pour ouvrir des salons internationaux d’exposition, de plus en plus fournis en matériels de fabrications domestiques, comme le Salon aéronautique de Zhuhai en Novembre 2012 dernier. Sans aller toutefois jusqu’à dévoiler son budget avec précision.
Et les visiteurs éberlués, même si quelques-uns se sont sentis obligés de jouer les blasés, ont découvert des drones, comme exemple des technologies très avancées.
Des officiers de l’armée pakistanaise au Salon international de l’aviation et de l’espace à Zhuhai en Chine, le 13 novembre 2012.
La Chine est devenue le 5ème exportateur mondial d’armes, devant la Grande-Bretagne, avec 5% du commerce mondial de ce secteur, selon un rapport publié par l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI).
Parlons tout d’abord budget.
Sujet toujours entouré du plus grand secret malgré les annonces de transparence des dirigeants chinois, nous en sommes réduits à une estimation entre les chiffres fournis par Beijing, dont l’intérêt est de beaucoup les minimiser, et ceux avancés par les instituts américains qui n’hésitent pas à outrageusement les gonfler, accusant les Chinois de consacrer un budget réel deux à trois fois supérieur aux annonces. La bonne approche est de noter sa variation, même si établir un ratio au PIB, paramètre classique, est impossible. Ce n’est qu’à partir de l’année 2000, date à laquelle le budget chinois était encore inférieur à celui de l’Italie, que le reste du monde a réalisé que les dépenses militaires chinoises étaient sur un accroissement régulier jamais vu pour un pays en paix. Dans beaucoup d’industries stratégiques comme les télécoms / informatique – électronique, automobile, la Chine nous a habitués à des chiffres vertigineux, au-delà de nos référentiels habituels. Et reprenant nos archives nous relisons ainsi que le très sérieux Financial Times du 30 Décembre 2006 relayait l’inquiétude américaine de voir un budget militaire annoncé de 37 milliards USD, accroissement chiffré de 15% par rapport à l’année précédente. La hausse devenait 17,5% en 2007, Beijing terminant l’année 2009 comme second budget mondial, pour s’établir à une estimation de 106 milliards USD en 2012 ! C’est un incrément moyen de 12 % annuel depuis une quinzaine d’années. Les explications diplomatiques avancées par les dirigeants chinois n’ont que peu d’intérêt : préserver l’intégrité du territoire, son indépendance, et sa souveraineté (au passage, des termes qui n’existent plus en France). Les yeux tournés vers Taiwan ne peuvent pas être une explication raisonnable. La situation est devenue suffisamment sérieuse pour que le 28 Février 2008 les états-major chinois et américains décident l’installation d’un « téléphone rouge », pour anticiper tout éventuelle « erreur d’interprétation accidentelle » (expression consacrée). Et rappelons que le prétexte peu crédible avancé par les Occidentaux, sous l’inspiration des États Unis pour justifier l’installation d’un bouclier anti missile, « se protéger de l’Iran ! », n’a jamais trompé ceux contre lesquels il était dirigé provoquant une rencontre au sommet immédiate entre Chinois et Russes.
La projection à 2015 est un chiffre de 233 milliards USD, soit au-delà de la somme des douze autres plus grandes puissances de l’Asie-Pacifique. Difficile de cacher une volonté de puissance …
Et ce que sont les matériels
Bien au-delà du simple examen des budgets mis sur la table, c’est la nature des matériels aujourd’hui développés, montrés, mis en dotation dans les unités, parfois exportés, qui ne laissent pas d’étonner. Il n’y a aucune impasse sur aucune des composantes les plus sophistiquées d’une armée moderne, terre, marine, air et espace. C’est aussi le renforcement de la capacité nucléaire, avec un arsenal de 300 têtes environ, certes encore très en dessous des stocks américains et russes.
La fiche programme du premier porte avion est exemplaire tant de la rapidité d’exécution que des erreurs d’appréciation des observateurs extérieurs. Acheté à l’Ukraine en 2000, il a été très largement reconstruit, et, à la surprise des experts occidentaux, les premiers appontages eurent lieu en Novembre 2012. Les militaires français ne furent pas les derniers à considérer que les Chinois n’y parviendraient pas avant longtemps, selon notre permanente propension à l’aveuglement. Depuis lors les mêmes experts cherchent désespérément dans quelle matière ils sont en retard. Force est de constater, de moins en moins, compris la très haute technologie, comme en télécoms, optronique et propulseurs. L’étape suivante est le bombardier furtif, donc la chimie des matériaux composites (c’est en très bonne voie …).
La panoplie complète est couverte : hélicoptères d’attaque, toute la gamme des avions de chasse, avion de transport stratégique (le Y20), les drones (surveillance et attaque) et leur infrastructure nécessaire les GPS, allant de pair avec un programme spatial d’une grande cohérence. Sur mer frégate furtive, programme de porte-avions, programme de sous-marins lanceur d’engins, sous-marins d’attaque, et l’expansionnisme maritime qui accompagne, avec une marine désormais, la troisième du monde. En Mai 2008 les satellites américains identifiaient la construction d’une base de sous-marins à Sanya (ile de Hainan), pour une vingtaine de submersibles.
En regardant vers l’espace, le 11 janvier dernier la presse américaine annonce la destruction d’un de ses propres satellites par la Chine, avec ce qui semble être un tir d’essai.
Ce tour d’horizon volontairement résumé en se gardant d’entrer dans des détails techniques, donne néanmoins une vue précise du changement géopolitique majeur que conduisent aujourd’hui un milliard trois cent millions d’hommes. L’objet de ce papier n’est pas de traiter de diplomatie et de la politique étrangère de la Chine, sœur jumelle d’une politique de défense. Cinq années après le livre de Jean-François Susbielle « Les Royaumes combattants » (il en compte sept : Etats Unis, Chine, Europe, Inde, Brésil, Japon, Russie), on mesure le décalage des chiffres, et seule demeure éternelle la sagesse héritée des anciens « Cacher ses intentions et dissimuler ses forces ; il faut s’abstenir de brandir des drapeaux et de conduire la vague ».
Mais dans un tel contexte n’est-il pas difficile de ne pas se demander où en sont les 350 millions d’Européens ?
Pour agrandir le tableau ci-dessus, peu lisible : chine arsenal nucleaire.JPG
La première qualité d’une défense est sa totalité rapportée au défi. Les chiffres chinois signalent une production d’armes, il n’en dévoilent pas leur résilience en phase d’engagement ni leurs modes d’emploi. Or les « pailles » de la corruption existent autant dans l’acier des arsenaux que dans celui des grands travaux publics. Pour faire court, un composant électronique annulant ses performances dès 70°C fera cesser le tir en tourelle au premier incendie. Or ils en mettent !
Et le billet ne traite pas de la mise en oeuvre de la production livrée à l’état-major. Pour ne parler que de la marine, on ne peut savoir l’état de préparation au combat d’escadre ou de groupe aéro-naval – le PA Liaoning ne servira qu’à ça – mais on sait que l’acquisition de procédures est une cible permanente du renseignement chinois, prioritaire même sur celle de dessins industriels.
Remarquable tour d’horizon qui fait réfléchir.
On pourrait le dédier à ceux qui – « comme d’autres, en d’autres temps » – croient que le capitalisme mondialisé rend désormais impossibles les conflits majeurs. En somme, il aurait fini l’Histoire.
Maurras avait envisagé cette hypothèse ultime, dans sa lettre à Boutang : « Si, comme je ne crois pas tout à fait absurde de le penser, il devait revenir à la démocratie de clore l’Histoire et de finir le monde … » Or, la démocratie n’est, au fond, rien d’autre que le capitalisme au sens de « la fortune anonyme et vagabonde ».
L’on voit aujourd’hui que ce capitalisme là, naturellement apatride et mondialiste, tisse autant de liens prétendument irréversibles, qu’il suscite de réactions. Au fond, les forces du Sang – celles de la géographie et de l’Histoire – n’ont nullement fini de s’opposer aux forces de l’Or.
La Chine, me semble-t-il n’a choisi celles de l’Or qu’en apparence. Ce billet fort instructif, montre que ce qui la motive au tout premier chef ce sont les forces du sang. Le sien, selon sa géographie, son histoire, sa tradition.
Il est clair, pour moi, que l’Histoire n’est pas finie.
@catoneo
Avec tout votre respect , votre commentaire est assez sibyllin. Comme il s’agit d’un sujet important je cherche à comprendre. Résilience au combat ? Le terme de résilience est désormais très galvaudé. J’ignore ce que vous y mettez ici.
Vous mettez en cause la fiabilité de ce qu’ils fabriquent ? À voir. Leur moyen porteur copie de l’A320, 300 personnes, n’est pas destiné à tomber, leur TGV fonctionne normalement avec un taux d’accidents comparables aux autres, et Huawai, fabriquant de réseaux et équipementier était N° 17 mondial il y a cinq ans, il est N°2 aujourd’hui, chassant les plus beaux cerveaux, comme en 2010, François Quentin le N°2 de chez Thalès !!
Les derniers développements montrent que tout se fait sans la France. Mme Merkel vient de dérouler le tapis rouge, sans nous. Le cours du yuan par rapport au dollar est discuté chaque matin avec les US, comme l’a rappelé Philippe Dessertine ce matin.
On ne gagne rien à se cacher derrière son doigt …
@JLF
Résilience au sens de résistance au stress sous deux contraintes : la vitesse d’usure des matériels engagés (ou en manoeuvre), l’aptitude au combat à outrance (avec amputations d’une partie des capacités de l’arme). Sur ces points les Chinois n’ont rien prouvé, la dernière guerre ouverte fut celle déclenchée au Tonkin où ils eurent le dessous (incapacité des états-majors). Ce qui n’empêche pas leur industrie civile d’être performante.
S’ils ne sont pas loin de produire des matériels du niveau d’engagement souhaité, mais contre les alliés des Etats-Unis il va falloir faire un sacré saut technologique, rien ne prouve qu’ils sachent faire une guerre aéro-navale actuelle, d’autant que le syndrome de la levée en masse et celui associé de la consommation « raisonnable » des effectifs privilégiera encore longtemps les opérations amphibies à base de chair à canon.
J’en reste à la marine car c’est le défi majeur pour l’Empire. Le combat d’escadre est devenu hyper-mental et même la Russie a du mal à raccrocher le peloton de tête (USA, UK, FR, NATO, et un peu derrière le JP), d’où le marché passé par Moscou pour les BPC français. Tout le monde est bon en chaudronnerie, mais ça ne suffit plus.
Si vous voulez être bien vu de la Chine, vendez-lui des BPC avec la matière grise en boîte (progiciels)… et vous vous fâcherez avec Moscou et Washington 🙂
Si vous êtes vraiment intéressé par la gestion chinoise de sa défense, passez sur le site Chinascope, c’est à mon avis le meilleur en langue occidentale :
http://chinascope.org/main/index.php