1. L’Armée égyptienne pèse d’un poids considérable, autant par le budget qu’elle contrôle, et ses dérivés (comme l’immobilier), que par la force qu’elle peut déployer. Équipée par les États Unis depuis Camp David (1978). Le 8 décembre au matin, l’armée égyptienne a mis en garde les Frères musulmans, rejetant les méthodes du président Morsi, à savoir les pleins pouvoirs qu’il venait de s’octroyer afin de faire adopter en force une constitution théocratique. Elle laissa une option aux Frères musulmans : oui aux élections législatives pour élire une assemblée constituante, mais à la condition qu’ils ne présentent pas des candidats partout ; afin qu’ils ne soient pas majoritaires dans la future assemblée et pour qu’ils ne puissent pas y faire rédiger une constitution islamiste. Cependant, galvanisés par leurs succès et disposant alors d’une immense popularité, les Frères musulmans revinrent sur leur engagement et ils décidèrent de présenter partout des candidats. A l’issue du scrutin ils obtinrent la majorité parlementaire, ce qui leur permit de dicter la future constitution. L’armée qui avait été bernée tenta bien de s’opposer à la rédaction de la constitution islamiste mais les islamistes répliquèrent en lançant des masses vociférantes dans la rue. Devant ces démonstrations de force, l’armée choisit de reculer.
Elle revint sur le devant de la scène le 22 novembre 2012, quand le président Morsi signa un décret s’autorisant à prendre les pleins pouvoirs, et quand il fixa au 15 décembre la date du référendum constitutionnel dont le but était de faire de l’Égypte une théocratie. Des manifestations énormes se produisirent alors, regroupant tous ceux qui ne voulaient pas d’une telle constitution. Les Frères musulmans qui ne s’attendaient pas à une telle réaction populaire furent pris au dépourvu et leurs locaux pris d’assaut par la foule et incendiés. La police égyptienne n’existant plus, ils se trouvèrent alors en grand danger physique et totalement dépendants de l’armée qui reprit ainsi la main. Le 4 décembre, la Présidence étant sur le point d’être prise par les manifestants, l’armée sauva le président Morsi en l’exfiltrant, puis elle le ramena après l’avoir placé sous sa « protection ». Dans la nuit du 7 au 8 décembre, le président Morsi laissa entendre que le référendum serait repoussé. Sans que nous ayons la plus petite preuve, il nous semble cependant fondé de voir la main des Américains dans ce qui se décide à la tête des Armées égyptiennes. Il n’est pas concevable qu’elle soit entièrement équipée, entièrement instruite et la maintenance assurée par Washington sans que des pions n’aient été placés aux endroits stratégiques. Rappelons aussi que le canal de Suez, artère de navigation d’importance mondiale, est totalement sous la protection de l’Armée. Cette observation étant faite, ce corps est nécessairement soumis aux turbulences de l’islamisme. Et nous doutons beaucoup que les Américains puissent en contrôler tous les aspects.
2. Une population aux revenus moyens ou faibles, toutefois misérable. C’est elle que l’on a vu sur la place Tahir, elle qui considère que la révolution a été confisquée, que l’espoir de réformes s’est évanoui. Fonctionnaires, petits cadres, essentiellement du tertiaire, étudiants sans espoirs. Si les islamistes (Frères musulmans et salafistes) ont remporté les différents scrutins organisés depuis la chute de Moubarak, leur accession au pouvoir nourri un sentiment de confiscation de la révolution. Les islamistes n’étaient en effet les penseurs ni les instigateurs du soulèvement populaire incarné par le « peuple de la Place Tahrir ». Ce dernier avait pour cœur une jeunesse ouverte aux idées libérales et n’appelait pas à une prise du pouvoir par l’islamisme politique.
3. Une intelligentsia brillante avec des noms internationalement connus à des postes prestigieux, Boutros Boutros-Ghali (copte), Mohamed El Baradei, une communauté de magistrats et de juristes qui tiennent toute leur place dans la société.
Boutros Boutros-Ghali (ci-dessus) et Mohamed El Baradei (ci-dessous)
4. Les islamistes, composés de salafistes, et de frères musulmans. Il est important de fixer le vocabulaire. L’islamisme est l’addition de l’intégrisme (suivre l’intégrité du texte) et du fondamentalisme (mise en pratique du texte). La conséquence est que des expressions comme « islamisme modéré » n’ont aucun sens, car on est islamiste ou on ne l’est pas. Les salafistes prêchent le retour à la vie du prophète, ce qui a deux conséquences immédiates, le rejet de toute frontière entre les pays (une frontière n’a aucun sens pour eux) et une totale indifférence au monde moderne. Le fils du roi Farouk, Fouad II, vient de déclarer (il vit en exil en Suisse) : « On ne gouverne pas une nation à coups de fatwas ». Le charabia occidental, français en particulier, décrit l’approche des Frères comme « une conception englobante » de la tradition musulmane ! C’est une périphrase de la novlangue pour dire que l’islam est une organisation complète de la société, où le religieux et le séculier ne sont JAMAIS séparés. Les Frères musulmans ne font pas mystère qu’une autorité est placée au-dessus du peuple, celle de Dieu, verrouillant un corpus impossible à approcher par le commun dans toute la vie de la société : politique, juridique, sociale, morale, scientifique, culturelle … Si nous pouvions cesser de nous raconter des contes (hélas pas ceux des Mille et Une nuits), nous retiendrions le mot d’ordre lancé par les Frères pour les législatives : « L’Islam est la solution ». Nous nous satisfaisons de peu, car ils démentent en même temps, vouloir promouvoir un État conforme à la Charia, sans que l’on réalise que c’est l’Armée qui s’est mis en travers. Pour combien de temps ? Car ne sous-estimons pas le poids de l’islam dans les Armées.
Emblème des Frères Musulmans, et portrait de leur fondateur, Hassan El Banna : « Allah est notre objectif. Le prophète Mahomet est notre chef. Le Coran est notre loi. Le djihad notre voie... »
5. Les coptes. Une communauté chrétienne évaluée à 10% de la population, soit autour de 8 millions. Désormais violemment tourmentée dans une totale indifférence internationale la communauté subit les mêmes persécutions que tous les chrétiens d’Orient, prenant leurs sources dans les mêmes mosquées …. Leur situation est d’autant plus tragique que l’Histoire nous dit qu’ils sont les plus anciens des Égyptiens, et donc enracinés dans une terre qu’ils aiment et qu’ils vénèrent. Mais il devient indéniable qu’ils ne peuvent plus se défendre dans tous les actes de la vie quotidienne. Pour ne citer que la Justice, où la dose de Charia (loi musulmane) ne cesse d’envahir les Lois, il leur est signifié qu’ils n’ont plus leur place sur leur terre. Jusqu’aux multiplications d’actions violentes, attentats et saccages des lieux de cultes. Avec pour seule alternative, la conversion à l’islam ou le cercueil, qui résonne dramatiquement notamment en France… La communauté copte aux États Unis est de 400.000 personnes environ, et le Wall Street Journal vient d’estimer à 100.000 ceux fraîchement immigrés après l’élection des Frères Musulmans au Caire. Tous disent « notre pays est devenu méconnaissable ». Les dernières violences connues sont celles du dimanche 7 Avril 2013 devant la cathédrale copte du Caire, qui a laissé deux tués. Ils ont perdu l’espoir de voir l’État les défendre, avec un président Morsi dans la main de ses « Frères ».
6. Et une entité presque toujours oubliée, l’université Al Azhar, et son sceau de gardienne du dogme des sunnites, 80 % des musulmans du monde… L’institution vit une crise, mais en a-t-elle conscience ? Depuis le coup d’État de Nasser, accrochée au pouvoir politique quasi dictatorial, elle n’a pas su élaborer un discours réformateur sur la pluralité au sein de l’islam égyptien. Elle n’a pas réussi à formuler des propositions nouvelles dans le domaine théologique et juridique. Le grand imam a subi les évènements au point de mettre en jeu la légitimité d’Al Azhar, en estimant qu’il fallait ouvrir les portes en grand aux Frères Musulmans (leur bras politique, le Parti Liberté et Justice) et aux salafistes (Al Nur). Et se mêle tout ce que l’on aurait espéré ne pas trouver : des interdictions de telles productions culturelles et saisie d’ouvrages, des déclarations conservatrices et radicales, la progression lente mais inexorable des courants salafistes, lesquels se concentrent sur l’islamisation des espaces publics, des vêtements féminins, du langage, imprégnés de maximes religieuses et de versets coraniques; ils ferment les rues pour les prières, assaisonnées de propagande qui instaure une hégémonie symbolique. Jusqu’aux ascenseurs qui sont l’objet de toute leur attention. Il n’y a aucun doute que ces fractures religieuses vont aller en croissant puisqu’ils participent désormais au gouvernement. Depuis le début de l’explosion populaire, le père jésuite égyptien Henri Boulad ne cesse de tirer le signal d’alarme, sans être entendu. S’il fallait une preuve de plus, parlons de l’explosion exponentielle des fatwas. Cette production désordonnée se traduit par une compétition entre fatwas politiques, doctrinales et sociales, opposant prédicateurs et muftis. Le tout échappant complètement à Al Azhar. La nature des fatwas en dit long sur le délire dans lequel le fanatisme est embarqué : sur l’urine du Prophète, sur l’allaitement, sur la possession d’objets d’art. Une telle dérive fait dire aujourd’hui à quelques intellectuels que la crise égyptienne résulte de la destruction de l’ordre autoritaire… (à suivre).
La lecture de ce texte souligne combien est criminelle la politique de nos gouvernements successifs tant à l’intérieur que dans le domaine de l’extérieur. l’Islam n’est pas réformable puisque par essence il refuse la laïcité. Le rôle des Américains est profondément irresponsable, surtout lorsqu’on apprend qu’ils sont négociation avec les talibans au Qatar alors qu’ils ont envahit et détruit l’Afghanistan depuis 10 ans; où est la cohérence avec les printemps arabes, la Syrie??? Il faut avoir conscience que nous sommes en première ligne en France avec nos banlieues etles mosquées sous lacoupe des fameux frères….