Le diable porte pierre : nous pressentons devoir quelque jour tresser des couronnes au couple improbable que forment François Hollande et Christiane Taubira.
La droite serait-elle restée au pouvoir qu’elle aurait fait adopter un statut d’union homosexuelle d’apparence bénigne, lisse comme un miroir, conçu de manière à ne provoquer que quelques vaguelettes. Celui-ci n’en eût pas moins entraîné dans son sillage, au profit de ces nouveaux « contractants », la possibilité de s’offrir un enfant par insémination médicale et, le cas échéant, par location d’utérus à prix tarifé – le fameux duo PMA-GPA – qu’aurait inéluctablement imposée la jurisprudence européenne. Le tout serait passé comme une lettre à la poste, dûment tamponnée par le Conseil constitutionnel.
Mais voilà : avec les socialistes au pouvoir, l’inattendu est survenu ! La provocation – rapace chez elle, bêtasse chez lui – de la loi Hollande-Taubira a eu pour effet de déclencher dans l’opinion une prise de conscience de plus en plus nette de la pente tragique sur laquelle nous nous trouvons engagés.
Felix culpa ! Ce choc en retour, tout à fait stupéfiant par son ampleur, est mesurable notamment à la violence des réactions hostiles qu’il provoque. Il est significatif que la première victime expiatoire de cette hostilité fût un rabbin. Pour ses dénonciateurs, les « plagiats » dont le grand rabbin de France a été accusé n’étaient évidemment pas une découverte. Mais ce n’est que lorsqu’il transgressa le désordre établi, avec un argumentaire fondé à la fois sur un bon sens imparable et une irréfutable théologie biblique, qu’il fut jugé, condamné, exécuté. (On ne se souvient pas que Jacques Attali, convaincu en 1982 d’un « délit » identique, ait dû démissionner de son poste de conseiller à l’Élysée.)
Mais que dire de cet étonnant mouvement, sans précédent et sans équivalent dans le monde ? De quelle nature procède-t-il ? Au-delà de la diversité des motivations qui ont amené cette foule, peu encline aux démonstrations de rue, à se mobiliser, quelle force tellurique secrète, quel ébranlement sismique intime a fait d’elle, radieuse et déterminée, cette « grande armée » en marche ?
La lecture que nous en faisons mérite d’être précisée, et soumise à nos lecteurs. Nous y voyons une réponse enfin donnée à la solennelle apostrophe lancée par Georges Bernanos, le 7 février 1947, dans le grand amphithéâtre archicomble de la Sorbonne. Le doigt pointé vers son auditoire, paraissant « le procureur de la Chrétienté »[1], Bernanos s’exclama : Dieu veuille que la France donne au monde ce message qu’il attend, et qui sonnera partout le signal de l’insurrection de l’esprit ! [2]
Le monde, tel que nous le voyons, est en train de faire exploser la confiance illimitée, accordée, en toute inconscience, à la science, à la technique et à l’économique pour assurer le progrès indéfini de l’humanité. Sous nos yeux encore incrédules, la planète est en cours d’éclatement. Les ententes internationales les mieux intentionnées ont du plomb dans l’aile, et les plus douteuses, comme l’Organisation mondiale du commerce ou l’Union européenne, sont en voie de liquéfaction, peut-être de liquidation. Déjà, les étendards cyniques du chacun-pour-soi claquent dans le vent de l’histoire. Le plus ancien pays du monde, la Chine, retrouve son identité multimillénaire, tout en se laissant miner par ses emprunts à l’Occident, commettant les mêmes erreurs historiques, développant une classe de pauvres, un prolétariat, appelé aux mêmes révoltes que le nôtre. Et l’Occident lui-même paraît entré dans une irrémédiable décadence intellectuelle, morale, et sans doute matérielle. En attendant qu’il soit contraint de faire, au sein de ce progrès technique qu’il a lui-même conçu, l’inventaire de ce qui est durable – dans l’art de communiquer ou les pratiques médicales par exemple –, et de ce qui l’entraîne vers l’abîme.
Cela fait un siècle, pourtant, que nous avons été prévenus. Un siècle précisément cette année. C’était au début de 1913, dans ses Cahiers de la Quinzaine, que Charles Péguy a publié L’Argent. Dix-huit mois plus tard, il était fauché par la mitraille allemande, devenant en quelque sorte la première victime du XXe siècle naissant, qui en fera des dizaines de millions d’autres. Gigantesque holocauste offert à des dieux morts : deux guerres mondiales, Auschwitz, le Goulag… Avant que ne se déchaînent les orages d’acier, Péguy n’avait eu que le temps de désigner le coupable : l’argent. Non pas la monnaie utile aux échanges, mais l’argent sacralisé, intronisé en veau d’or, Mammon, l’autre nom du Diable, expression suprême du lucre, du désir matériel divinisé, avec ses religions, ses rites, ses cultes et ses grands-prêtres. Dans ce texte de circonstance, l’air de rien, l’air de parler d’autre chose, Péguy avait débusqué l’ennemi. Il l’avait fait sortir de sa tanière, et l’avait flingué. Mais la bête aux mille têtes, l’animal de cauchemar, après s’être vengée, a resurgi partout, bien décidée à nous submerger.
C’est à l’issue des grands massacres de 1939-1945 que Bernanos – peu avant, lui aussi, que sa voix ne s’éteigne – poussât le cri que nous venons de citer : Dieu veuille que la France donne au monde ce message… Et voilà qu’en ce printemps de 2013, en ce printemps français de 2013, Dieu a bien voulu que le cœur de la France s’éveille, que, face au monde, il exprime sa colère. Et que l’âme de la France fasse éclater à la face du monde le signal de l’insurrection de l’esprit.
Surcroît de grâce, signe supplémentaire, est survenue, en ce même printemps, cette étonnante coïncidence : l’élection du pape François. Un Américain – hors-normes, il est vrai –, Henry Miller, disait un jour qu’il ne s’arrêtait pas une seconde à l’idée que François d’Assise pût avoir quoi que ce soit à apprendre de notre mode de vie.[3] Le crédit que le pape François accorde à l’univers de la spéculation sans frein et des vanités mondaines, on le connaît déjà : il ne pèse pas lourd… Ce pape vient encore de dénoncer avec vigueur le lien entre « l’adoration de l’antique veau d’or », « le fétichisme de l’argent » et « la profonde crise anthropologique, la négation du primat de l’homme »[4].
Très Saint-Père, la France vient déposer à vos pieds le plus beau cadeau qu’elle pouvait vous offrir : le signal d’une insurrection spirituelle ! Vous n’aurez pas de mal à y reconnaître la signature d’un homme que vous aimez, Léon Bloy, le révolté de Dieu, pour qui celui qui ne prie pas le Seigneur prie le Diable, et dont Bernanos disait qu’il était le dernier prophète du peuple des Pauvres. Très Saint-Père,voyez le peuple de France : il recommence à voir le Ciel, et pour ses seuls vrais biens, il se bat sans retour !
[1] Selon le témoignage de Jean de Fabrègues, La France catholique, 3 avril 1953
[2] Le texte de cette conférence figure, sous le titre Révolution et Liberté, dans La Liberté, pour quoi faire ? (Bernanos, Essais et écrits de combat, t.2, La Pléiade, 1995, p.1322). Et son esprit domine le recueil d’articles de l’après-guerre Français si vous saviez, qui sera publié en 1961 (Ibid. p. 1071.)
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