La révolution bolchevique de 1917
Faire un recensement des tueries de masse de la révolution bolchevique, puis de l’administration stalinienne jusqu’à la disparition du géorgien en mars 1953, est un travail allant très au-delà de l’objet de ces quelques feuilles. Mais des remarques s’imposent.
Tout d’abord le contexte général de la présentation d’un des drames du XXème siècle. Il se trouve encore des intellectuels soit pour nier l’intensité des massacres, soit pour défendre que la révolution ne puisse pas prospérer sans quelques exactions. La France est hélas bien placée dans ce déni mondain avec un Alain Badiou ou une Annie Lacroix – Riz (photos, ndlr). Si la bibliographie sur la vie de la révolution et du communisme est relativement fournie, il n’en va pas de même de la filmographie assez maltraitée, à diffusion plutôt modeste, tant en regard du drame, qu’en comparaison avec d’autres massacres de masse, alors que la matière existe.
Le communisme a suscité sur tous les continents, et pendant plusieurs décennies, l’engagement fraternel et généreux (du moins présenté comme tel) de milliers de femmes et d’hommes, qui ont servi un des systèmes les plus injustes et les plus sanglants de l’Histoire. Essayer de comprendre la fascinante attirance qu’a exercée cette idéologie sort aussi de notre cadre ici. Mais ce fut sans conteste la première expérimentation de tueries à grande échelle utilisant les moyens industriels modernes. Un piètre retour de salaire est que, quelque fois, les massacreurs furent à leur tour victimes de la folie qu’ils avaient fait prospérer.
Lénine a laissé dans l’Histoire un gigantesque fleuve de sang. Ce fut d’abord la guerre civile et sa réponse la Terreur Rouge (1918 – 1924). Elle ne se résuma pas à mettre deux partis face à face, car les intervenants furent nombreux dans un indescriptible chaos, et l’effondrement d’une société. Dès 1917, installation de la Tcheka, instrument de terreur qui imposa sa propre légalité. L’année suivante transformation des monastères des iles Solovki en camps de concentration, les premiers à une telle échelle en Europe.
À partir de cette date, donc très vite après le début des évènements, nous en sommes réduits à estimer le nombre des victimes. Et ce sera ainsi jusqu’à la disparition de Staline trente ans plus tard.
On lit chez Mme Carrère d’Encausse, que l’assassinat industriel par gazage empoisonné (le tuyau d’échappement des camions) fut mis au point par le très dévoué général Toukhatchevski (réponse à la révolte paysanne de Tambov ; 1919 – 1921). Les premières catégories condamnées furent les paysans et les cosaques (élimination physique). Le saccage des campagnes et la destruction du tissu rural aboutit à partir de Juillet 1921 à une effroyable famine, provoquant la mort de cinq millions d’habitants. Début d’une série.
Le journaliste historien russe, Serguei Melgounov publia une première fois à Berlin la « Terreur rouge en Russie» en 1923 ! Dans tout l’ouest de l’Europe, n’ont donc pas été au courant que ceux qui ont refusé de lire, et ils ont été apparemment très nombreux. Peu d’années après, un parti commençait à s’imposer en Allemagne, où séides et sicaires du caporal de Bohème n’eurent pas à chercher bien loin des exemples et des techniques d’assassinats industriels.
http://www.editions-syrtes.fr/fr/02-Catalogue/Titres/102-La-Terreur-rouge-en-Russie-1918-1924/
Bien que rejeté par Lénine dans son testament que le géorgien avait maintenu secret dans un parti devenu un lieu de conflit ouvert pour la succession, Staline parvint à ramasser définitivement la mise au bout de quatre années de manœuvres internes. Et un de ses premiers succès fut le contrôle de la police d’état. La Tcheka devenue GPU en 1922, puis OGPU en 1923 vit ses pouvoirs exorbitants renforcés s’il en était besoin, en appliquant des méthodes policières dites « brutales » à l’intérieur du parti.
Dès 1929 commença alors la terreur stalinienne. Pendant les cinq années suivantes, Staline regretta la « tiédeur » de l’OGPU. Il la transforma alors en 1934, en NKVD en changeant les hommes. Le premier drame de grande ampleur fut la collectivisation forcée, et son corollaire, le massacre des koulaks. Déportations en plusieurs vagues. 1929 fut aussi le début du premier plan quinquennal, confirmant que la plus grande victime sera l’agriculture, environ 5 millions de paysans déportés ou exterminés. En 1935, le régime déclare officiellement que les koulaks (en tant que classe sociale) avaient cessé d’exister, mais l’opération koulak se poursuivit jusqu’en 1937. En 1934 le 17ème congrès se conclut par le premier vote à bulletin secret ayant jamais existé. Où Staline ne recueillit que trois voix, trois cents délégués ayant voté contre. La publication fut truquée, le populaire Serge Kirov, ami de Staline assassiné peu après, meurtre prétexte à l’élimination de 80 % des délégués accusés de complot. En parallèle l’Ukraine était victime de l’holodomor, extermination par la faim, massacre organisé en 1932 – 1933, passé « relativement » inaperçu car dans le contexte général des famines soviétiques. Il a fallu l’ouverture des archives à Moscou pour mettre fin à la négation du drame. Et de nouveau des évaluations aux approximations nauséeuses entre 2.6 et 5 millions de victimes !
http://www.quebec-ukraine.com/lib/holodomor/
1937 vit le début de la décapitation de l’Armée Rouge. Sur des prétextes délirants le maréchal Toukhatchevski, son véritable créateur, fut exécuté. Nous l’avions croisé plus haut dans ses œuvres. Son « jugement » fut la porte ouverte à l’exécution d’environ 40.000 maréchaux, généraux, et officiers supérieurs. Sous les yeux médusés de leurs homologues de la Wehrmacht !
Ce fut aussi le début d’une nouvelle grande terreur, mais utilisant ici le système judiciaire, remarquablement détaillée par le chercheur Nicolas Werth (photo, ndlr) (L’ivrogne et la marchande de fleurs, Taillandier, 2009). Entre juillet 1937 et novembre 1938, il estime que ces 16 mois concentrent près des trois quart des condamnations à mort prononcées entre la fin de la guerre civile (1921) et la mort de Staline, 1953. Le plus grand massacre d’État jamais mis en œuvre en Europe en temps de paix. Soit 750.000 personnes victimes de parodies de jugements, soit 50.000 exécutions par mois, 1.600 par jour, pendant 16 mois. Et 800.000 soviétiques condamnés à des peines de travaux forcés au goulag non inférieures à 10 ans. Un des derniers ouvrages de Werth nous entraine sur « La route de Kolyma, édition Belin, oct. 2012 », avec en couverture la photo de la Serpentinka le plus important lieu d’exécution de masse de la Kolyma.
Ces dates nous conduisent à la veille du cataclysme de 1939. La collusion entre Staline et Hitler a déjà fait l’objet ici d’une recension du livre de l’historien américain Timothy Snyder « Terre de sang » étudiant en 700 pages, comment 14 millions d’innocents furent assassinés en Europe centrale sur un mode industriel, certains pays comme la Pologne faisant l’objet d’un partage entre ces deux psychopathes (lien : https://www.jesuisfrancais.blog/2012/11/21/terres-de-sang-l-europe-entre-staline-et-hitler-par-champsau.html), que de grandes démocraties très éclairées fréquentaient, visitaient, parfois aidaient sans la moindre retenue.
Ce rapide survol de 35 années de massacres programmés, ne doit-il pas nous dissuader d’ergoter sur ce qu’est réellement un génocide ? (à suivre)
Merci à Champsaur pour cette remarquable étude.
Comme l’a écrit pierre de Villemarest, sans l’aide de l’occident, le régime soviétique se serait ECROULE
VoUs trouvez qu’il ne s’est pas écroulé ?
Le communisme soviétique et le national-socialisme allemand sont comparables. Bien des observateurs, d’ailleurs, considèrent que le premier a été pire encore que le second, soit du fait de sa durée, soit compte-tenu du nombre de morts qu’il a provoquées, soit encore en raison de la structure même de son emprise sur la société.
C’était, on le sait, l’opinion de Soljénitsyne. Il estimait, que la « variante communiste » des régimes totalitaires « reste la plus perfectionnée et la plus complète de l’histoire et dans les temps modernes ». « Non seulement, ajoute-t-il, les régimes fascistes ont péri plus tôt, mais ils ont été instaurés plus tard, ce qui vient prouver qu’ils ne sont qu’une pâle imitation, un plagiat du régime totalitaire véritable, authentique, parfait et accompli ».
Ces régimes, on le sait, trouvent leur origine directe dans la Révolution française. Même si d’autres facteurs les ont fait naître. Inutile d’y revenir.
Qu’ils aient pu exister, triompher un certain temps, devrait au moins ouvrir les yeux de ceux qui ont cru – ou croient encore – que l’ère moderne s’accompagne nécessairement de la paix entre les peuples, de la concorde civile, de la prospérité et de la liberté.
Ces régimes du XXème siècle, sont passés. Mais rien n’assure que nous soyons garantis pour longtemps du surgissement d’autres horreurs et des grands conflits qui pourraient en résulter.
En attendant, un autre totalitarisme s’est instauré qui, s’il ne fait pas de mal physique aux personnes, les asservit tout de même, sans drame ni douleur. Et ce totalitarisme indolore réduit à presque rien ce qu’il nous reste de civilisation.