A lire sur Causeur : http://www.causeur.fr/un-cancre-nomme-valls,24576
Un « cancre », Valls ? Oui, évidemment, et, pourtant, non, absolument pas : tout dépend de la façon dont on voit les choses, et il faut savoir d’abord si on parle des réalités, ou si on parle en idéologue. Expliquons-nous…
1. Si on prend les mots dans leurs sens premier, et vrai, il est exact que Valls a perdu une bonne occasion de se taire : ce n’est évidemment pas la Révolution qui a « créé » la « Nation » française, comme il l’affirme aussi sottement que péremptoirement, mais la Royauté, et cette Nation française, qui était déjà un fait depuis longtemps, apparaît au grand jour, comme une évidence, une réalité publique et incontournable (comme on dit aujourd’hui, dans le jargon…) dès le triomphe de Bouvines, en… 1214 ! Cinq siècles et demi avant la Révolution, pauvre Manu !…
Valls devrait lire Jacques Bainville, l’un des plus grand historiens de tous les temps, et notamment le chapitre V de sa magistrale Histoire de France, « Pendant 340 ans, l’honorable maison capétienne règne de père en fils » :
« …Philippe Auguste s’occupait d’en finir avec les alliés que Jean sans Terre avait trouvés en Flandre lorsque l’empereur Othon s’avisa que la France grandissait beaucoup. Une coalition des rancunes et des avidités se forma : le Plantagenet, l’empereur allemand, les féodaux jaloux de la puissance capétienne, c’était un terrible danger national. Si nous pouvions reconstituer la pensée des Français en l’an 1214, nous trouverions sans doute un état d’esprit assez pareil à celui de nos guerres de libération. L’invasion produisait déjà l’effet électrique qu’on a vu par les volontaires de 1792 et par la mobilisation de 1914. Devant le péril, Philippe Auguste ne manqua pas non plus de mettre les forces morales de son côté. Il avait déjà la plus grande, celle de l’Église, et le pape Innocent III, adversaire de l’Empire germanique, était son meilleur allié européen : le pacte conclu jadis avec la papauté par Pépin et Charlemagne continuait d’être bienfaisant. Philippe Auguste en appela aussi à d’autres sentiments. On forcerait à peine les mots en disant qu’il convoqua ses Français à la lutte contre l’autocratie et contre la réaction féodale, complice de l’étranger. Il y a plus qu’une indication dans les paroles que lui prête la légende au moment où s’engagea la bataille de Bouvines : « Je porte la couronne mais je suis un homme comme vous. » Et encore : « Tous vous devez être rois et vous l’êtes, par le fait, car sans vous je ne puis gouverner. » Les milices avaient suivi d’enthousiasme et, après la victoire qui délivrait la France, ce fut de l’allégresse à travers le pays. Qui oserait assigner une date à la naissance du sentiment national ?… »
Pour l’aider un peu, si d’aventure quelqu’un ou quelqu’une de charitable lui suggère de combler ses lacunes (graves) en histoire – et en en histoire politique… – nous pouvons l’y aider un peu en lui suggérant de jeter un oeil sur notre Album Maîtres et témoins…(II) : Jacques Bainville.
Alors, sur ce point de vue historique, sans rancune, Manuel ?…
2. Maintenant, il y a une autre façon d’envisager le problème, et là Valls a raison. En effet, jusqu’ici, nous avons pris le mot « Nation » dans sons sens premier, tiré du latin « nacere », qui veut dire « naître » : on est de la Nation où l’on est né, on est Coréen, Bantou, Lapon ou… Français, parce que ses parents sont Coréens, Bantous, Lapons ou.. Français. Nulle idéologie là-dedans, simplement du « constatatif », si l’on nous pardonne l’horrible jeu de mot, mis ici uniquement pour s’amuser un peu…
Mais les Révolutionnaires de 1789, eux, ne sont pas des « constatatifs » : ce sont des idéologues. Appliquant à la lettre le funeste principe de Rousseau, « commençons donc par écarter tous les faits » (in « Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes »), ils inventent de toute pièce un concept de « Nation » purement abstrait, signifiant non plus « le fait d’être né quelque part, mais pas n’importe où ni de n’importe qui », mais signifiant, au contraire, une nouveauté radicale, censée représenter « la volonté générale » – toujours Rousseau… – s’imposant donc logiquement à tous, nul ne devant lui résister, ce qui serait un crime, puisque la volonté générale, forcément, est supérieure à tout et à tous, et tout et tous doivent plier devant elle. Les Vendéens « génocidés » en savent quelque chose !…
Un tel concept, on s’en doute et on l’a vu, dégénérera très vite et fera naufrage dans ce que les marxiste-léninistes appelleront le centralisme démocratique, grand pourvoyeur du Goulag, et grand exécuteur de génocide lui aussi, fidèle en cela à cette Révolution française en qui il voyait – à juste titre – ses origines, et qu’il voulut parfaire et poursuivre jusqu’au bout, jusqu’à en être la quintessence, l’aboutissement parfait…
Alors, là, Manuel Valls a raison : c’est bien la Révolution – et c’est son crime – qui a inventé cette « Nation » là, ce concept là, dont nous ne voulons pas, et que dénonçait tout de suite François Athanase Charette de la Contrie, avec ses mots à lui, qui ne sont pas d’un philosophe, mais qui sont si profonds, et sonnent si justes, opposant le charnel, l’incarné de la patrie (toujours le latin : la « terre des pères ») au raisonnement purement cérébral :
« Notre patrie à nous, c’est nos villages, nos autels, nos tombeaux, tout ce que nos pères ont aimé avant nous. Notre patrie, c’est notre Foi, notre terre, notre Roi… Mais leur patrie à eux, qu’est-ce que c’est ? Vous le comprenez, vous ?… Ils l’ont dans le cerveau; nous l’avons sous les pieds… Il est vieux comme le diable, le monde qu’ils disent nouveau et qu’ils veulent fonder dans l’absence de Dieu… »
Les mots de François Athanase Charette de la Contrie (1763-1796) sont toujours d’actualité et d’une incroyable vérité pour son jeune âge. La question de la patrie a été étudiée par Jean de Viguerie dans un ouvrage intitulé « Les deux patries ». Il y écrit : « Il existe bien deux patries. L’une est la terre des pères, le pays de la naissance et de l’éducation. Celle-ci a toujours existé. L’autre est récente. Elle date des Lumières et de la Révolution. Elle représente l’idéologie révolutionnaire. Les paroles de la Marseillaise expriment son idéal. La première est la France. La seconde n’est pas la France, mais la France est son support et son instrument. A chacune son patriotisme : celui de la première est fait de gratitude et de piété ; celui de la seconde est marqué par la passion et la démesure. Le patriotisme traditionnel impose le devoir de reconnaissance. Le patriotisme révolutionnaire exige le sacrifice d’innombrables vies. On voit combien les deux patries et les deux patriotismes sont étrangers l’un à l’autre. Pourtant, depuis 1789, les Français n’ont cessé de les associer, allant même jusqu’à les confondre. Au point de voir la France dans la patrie révolutionnaire et de vouer à la douce terre natale la violente passion du patriotisme idéologique. Seulement cette confusion ils ne l’ont pas commise d’eux-mêmes, mais par l’effet d’une longue et habile manipulation. Si la patrie révolutionnaire a été substituée à la France, à notre pays, cela s’est fait à l’insu des Français. La tromperie a culminé avec les guerres et surtout celle de 1914-1918. » Charette de la Contrie a bien su distinguer les deux patries. Les ligues de l’Entre-deux-Guerres aussi. Le 6 février 1934, elles ont tenté d’y mettre un terme mais la république idéologique ne s’est pas laissée renverser. Les idéologues actuels, les Hollande, Valls, Taubira et Cie ne sont que les successeurs des « Grands Ancêtres » jacobins. Pour eux, la révolution est éternelle. Savent-ils seulement qu’ils ne sont que les marionnettes du diable ?