Que se passe-t-il en République centrafricaine ? La coalition militaire dite « Séléka », originaire du nord du pays à majorité musulmane, renverse, en mars 2013, M. Bozizé au profit de M. Djotodia. Aussitôt celui-ci la dissout mais elle continue de facto d’exister et sème désormais la terreur dans la population, ses exactions plongeant le pays, notamment le nord-ouest (région de Bossaonga), dans le chaos. Les violences, d’abord ethniques (éleveurs nomades musulmans d’un côté, paysans sédentaires chrétiens de l’autre), sont maintenant ouvertement confessionnelles – les chrétiens étant, comme c’est trop souvent le cas ailleurs, victimes du fanatisme islamiste.
Jeudi 21 novembre, M. Fabius affirme que la Centrafrique « est au bord du génocide », tandis que M. Hollande précise que la France n’acceptera pas que « des massacres » se produisent dans ce pays. Voilà qui rend plus que probable un prochain et rapide engagement militaire français. Faut-il s’en réjouir ou, à tout le moins ne pas le désapprouver ? Sans doute mais à condition de tirer toutes les leçons de l’opération Serval qui, rappelons-le, n’est pas vraiment terminée.
D’abord, cette intervention devrait s’inscrire dans le cadre d’une véritable politique française en Afrique, une politique qui soit totalement décomplexée. Il est peu satisfaisant d’entendre M. Hollande indiquer que la France est prête à accompagner l’action de la communauté internationale, et qu’elle attend donc l’aval du Conseil de sécurité des Nations Unies. Encore moins d’entendre M. Fabius dire que « l’ONU va donner une permission d’intervenir ». Sommes-nous donc tombés si bas ?
Ensuite, cette intervention devrait illustrer une cohérence stratégique globale. Le mouvement « Séléka » en pleine radicalisation est sans doute en passe de devenir une sorte d’armée « djihadiste ». Or, la nébuleuse islamo-terroriste est financée par les pétro-monarchies sunnites du Golfe, les mêmes qui rêvent de renverser M. Assad en Syrie et de contrecarrer l’Iran chiite – cibles permanentes de la diplomatie française. Combattre les islamistes ici, les soutenir là : combien de temps ce grand écart sera-t-il possible ?
Enfin, et surtout, il faut se donner les moyens de sa politique. Or le budget de la Défense ne cesse, année après année, de subir des coupes drastiques – ne vaudrait-il pas mieux amputer, voire supprimer, certains postes de notre généreuse politique « socio-humaniste » (comme la cmu ou le financement des « associations ») ? Le résultat est que la France reste cruellement dépendante aussi bien pour certaines technologies de pointe que pour du matériel plus basique mais non moins indispensable comme on l’a vu au Mali.
Simple force d’appoint pour la Misca (Mission internationale de soutien à la Centrafrique, supervisée par l’Union africaine) dans son ancienne colonie ? La France vaut quand même mieux que cela.
En mars 1999, l’intervention des forces occidentales au Kosovo a constitué le tournant décisif à la faveur duquel le principe du « droit d’ingérence » l’a emporté sur le droit international tel qu’il existait auparavant. Les observateurs avisés n’ont pas eu de mal à montrer l’hypocrisie fondamentale de cette démarche « humanitaire », motivée en réalité par des intérêts de puissance.
Par le biais des droits de l’homme et du « droit d’ingérence humanitaire » que la france prétend mettre en oeuvre en Centrafrique, au Mali et ailleurs, l’empire de la morale se donne une dimension planétaire. Interdiction est faite aux politiques, présumés méchants, de défendre leurs prérogatives face aux pensées pieuses qui composent le discours du Bien.
Un déluge d’idéalisme moralisateur submerge les derniers points de résistance d’un réalisme invariablement décrit comme cynique ou pervers. Dans ces invocations rituelles à une « humanité » abstraite, il n’est cependant pas interdit d’apercevoir son contraire : une parfaite indifférence envers les êtres singuliers.
Rousseau dénonçait déjà en son temps « ces prétendus cosmopolites qui […] se vantent d’aimer tout le monde pour n’avoir droit d’aimer personne ».
Alors, mon Cher Delanglade, au delà de nos capacités militaire, qu’irions nous faire en Oubangui-Chari, si ce n’est propager l’empire du Bien et l’idéologie droitsdel’hommiste?
L’idéologie infeste en effet le discours diplomatique de ce que l’on appelle encore « l’Occident » – qui ne l’est pourtant plus guère. A y échapper, il n’y a que la Russie et la Chine – qui l’une et l’autre s’en moquent – et ce n’est pas rien. Là, les rapports de force, les intérêts apparaissent en tant que tels, sans complexe, à l’état presque brut. Ce qui est plus simple. Mais cela ne signifie pas que derrière la moraline des « Occidentaux », à commencer par les Américains, les intérêts cachés ne sont pas férocement défendus.
En Libye, la France a fait une sotte « guerre » de « principes ». Elle le paye très cher. Sa politique syrienne est du même ordre et, sans le revirement américain, elle aurait pu avoir les pires effets. Au Mali, au contraire, elle a défendu ses intérêts, ses positions, ses ressortissants. Il en sera probablement de même en Centrfrique où agit Areva, où il y a de l’uranium – qui sert, entre autres, à produire notre électricité – et, accessoirement, des diamants. Où vivent, aussi, 1 500 Français.
Le monde entier prélève sans trop de vergogne les ressources de l’Afrique, à commencer par la Chine, qui s’y déploie à grande échelle.
Si nous retournons en Oubangui-Chari pour de pures raisons humanitaires, nous sommes des inconscients et des naïfs. Nous n’avons pas les moyens de secourir toute la misère du monde. Au demeurant, ce serait de façon très sélective, car bien des peuples malheureux nous indiffèrent. Si nous y retrournons pour y déployer une politique globale, ou même, a minima, y défendre nos intérêts immédiats, je crois évident que nous aurons raison.