Bel après-midi, en vérité, que celui passé à Martigues, samedi dernier, grâce à l’Association des Amis de la Maison du Chemin de Paradis, vivante et active parce que Nicole Maurras et Dominique Paoli ne cessent de l’animer ; grâce, aussi, à la Municipalité, à Olivier Dard, Catherine Rouvier et quelques autres…
Se trouver, ou se retrouver, au Chemin de Paradis, chez Charles Maurras, dans ce jardin provençal chargé de tant de symboles et de souvenirs, ou, encore, dans cette bastide du XVIIIème siècle qui couronne ce jardin, tous deux intacts, conserve toute sa magie et reproduit toujours l’émotion des visiteurs, les anciens, comme les nouveaux.
Mais, tout cela étant évoqué dans une note annexe, il s’agit, ici, d’écouter la conférence tout à fait remarquable que le professeur Olivier Dard a prononcée dans la soirée à la Villa Khariessa. C’est ce que nous permet la vidéo réalisée par la Fédération Royaliste Provençale. Et cette conférence suscite la réflexion, une réflexion qui peut et doit nous être utile.
Olivier Dard annonce le plan de sa conférence : trois parties qui traitent des handicaps que pouvait avoir Charles Maurras pour devenir le maître qu’il devait être – handicaps qu’il surmonta; les qualités exceptionnelles et, en un sens, le génie qui étaient le sien, lui permirent de devenir le maître et le chef, et, plus encore, le contemporain capital qu’il fut ensuite ; enfin les ruptures, toujours douloureuses, qui ont eu, presque toujours, le caractère d’une séparation d’avec la personne même de Maurras, qui ont marqué l’histoire de l’Action française, et, ont eu presque toujours, la même cause : la déception, le reproche de ne pas « aboutir » ; l’absence de « résultat ». Et l’on n’est pas loin de se douter que si Olivier Dard avait été d’Action française, à cette époque, au lieu d’être l’universitaire et l’historien qu’il est aujourd’hui, il eût, peut-être, penché de ce côté-là. Et c’est cette partie de sa conférence, à vrai dire, qui retient le plus notre attention.
A noter que le reproche de l’insuccès, celui du 6 février 1934, celui de n’avoir pas « ramené le roi », comme disaient les vieux ligueurs, puis, par sa politique entre 1939 et 1945, d’avoir causé l’effondrement durable de l’Action française après guerre, n’est jamais adressé qu’au seul Maurras. Personne ne songerait vraiment à faire grief de l’échec global de ce qu’Olivier Dard appelle les Droites nationales ou nationalistes – puisque c’est dans cette perspective qu’il se place – à Pierre Taittinger, des Jeunesse Patriotes, au Colonel de la Roque, des Croix de Feu, ou à Eugène Deloncle de la Cagoule. Ils avaient pourtant des troupes nombreuses, parfois plus nombreuses que celles de l’Action française. Ils disaient, avant de s’évanouir, devoir réussir ce que l’Action française ne parvenait pas à réaliser. On sait qu’il n’en fut rien. Pourquoi le seul Maurras encourt-il, même, encore aujourd’hui, même post-mortem, le reproche de l’échec ? N’est-ce pas, précisément, parce qu’il était – et sans doute, en un sens, le reste-t-il – sinon le, du moins un contemporain capital ?
L’Action française s’était créée, autour de l’année 1900, contre les résidus du boulangisme, contre les comploteurs, à la Déroulède, contre l’Union morale, contre la Ligue de la Patrie française, si puissants qu’ils aient été alors, et parce que ces gens-là ignoraient ce que pouvait être une pensée politique. Et c’est parce qu’elle avait voulu en avoir une, et qu’elle l’avait forgée, que l’Action française les avait assez vite supplantés. Les ligues et comploteurs des années 1930 n’avaient pas davantage de pensée politique que leurs lointains prédécesseurs et leurs entreprises n’eurent pas plus de succès immédiat que n’en eut l’Action française, à ceci près qu’ils ne laissent d’autre héritage que des images et des souvenirs. On ne leur en fait même pas grief, avons-nous dit ; les griefs vont au seul Maurras parce que son statut est bien celui de contemporain capital.
Nous voudrions ajouter que, de lui, reste au moins un héritage. Et un héritage disponible. Lorsqu’Edgard Morin déplore la disparition de toute grande pensée politique dans les sociétés contemporaines, il désigne celles qui ont dominé les époques précédentes, où elles se sont affrontées ; et il cite trois noms, au titre des trois grands courants qui ont compté alors : Marx, Tocqueville et Maurras. Lorsque, en 1974, Georges Pompidou, alors Président de la République, prononce, à Sciences Po Paris, la célèbre conférence où il expose quels doivent être les grands principes de la politique extérieure de la France, l’analyse à laquelle il se réfère expressément, dont il cite un extrait est celle – célèbre aussi – de Charles Maurras, dans Kiel et Tanger. Peu ou prou, malgré divers errements, elle reste la trame la plus stable de notre politique étrangère. Il y a, ainsi, dans l’ordre de l’héritage, toutes sortes de domaines où les idées de Maurras, les travaux de l’Action française ont, en ce sens, réussi. Pierre Boutang, dans son maître livre sur Maurras, dans sa conférence de 1987, à Marseille, en donne quelques aperçus. Il nous faudra y revenir.
La conférence d’Olivier Dard incite donc utilement les maurrassiens que nous sommes à faire l’analyse du faisceau de raisons (le contexte historique mais aussi les insuffisances du mouvement et les défauts des hommes) qui ont empêché l’Action française de réussir, laissant le royalisme « non-encore abouti », selon l’expression de Pierre Boutang Ils doivent aussi recueillir, étudier, faire fructifier, renouveler, enrichir, transmettre l’héritage et poursuivre la vieille aventure qui, en effet, n’a pas abouti ; et n’a réussi ni à ramener le roi, ni à relever la France, ni à briser les fatalités de son déclin.
Enfin, la réflexion d’Olivier Dard confirme que le statut de Charles Maurras dans notre époque est double : son statut officiel c’est, selon l’expression mille fois répétée « M » Le Maudit. Son statut officieux, par exemple lorsque Edgard Morin le cite comme l’un des trois grands esprits qui ont dominé la pensée politique du XXe siècle – au temps où il y en avait une – c’est bien celui, conforme à la réalité, de Contemporain capital. Le premier statut, artificiel et négatif, ne vise qu’à éliminer et stigmatiser Maurras a priori. C’est, au sens étymologique, un Maurras de la malédiction. Le second ne fait que reconnaître la réalité de sa présence dans le débat public contemporain – ou ce qu’il en reste. Maurras, un contemporain capital ? C’est l’évidence. Va pour l’expression, désormais ! •
Et si l’erreur, la seule de Charles MAURRAS avait été:le compromis nationaliste,, avec soutien affirmé, au profit de la France, mais au détriment du Royalisme, à Georges CLEMENCEAU, Philippe PETAIN..????????????
En lisant cet excellent « commentaire », il m’est revenu à l’esprit ce mot de mon bon vieux Bainville : « Il marche contre la force des choses; ainsi rien ne lui réussit. » Mirabeau disait cela de Joseph II, c’est-à dire d’un homme d’action. Pour un homme de lettres, c’est le contraire. Marcher contre la force des choses lui donne vigueur et vitalité ».
Bainville c’est la claire sagesse qui établit des vérités et, entre elles, des relations et des distinctions, à quoi le simple bon-sens dit « populaire » ne pourrait atteindre.
Mais, si l’on y réfléchit un instant, la double observation de Bainville est d’un maurrassisme absolu. Elle décrit Maurras lui-même, sa destinée et son oeuvre.
L’homme d’action – plus précisément, l’homme de gouvernement – ne peut « marcher contre les choses » – c’est à dire, pour Maurras, contre les lois de nature – car ainsi « rien ne lui réussit ». C’est ce qu’il expose dans sa Politique naturelle. (La parabole d’Emerson, pour qui se souvient; le charpentier et la position qu’il donne à sa poutre pour y travailler avec le minimum d’effort !).
Pour l’homme de lettres ou de pensée, au contraire, « marcher contre la force des choses lui donne vigueur et vitalité ». Et c’est aussi Maurras soi-même ! Il me revient que, pour détromper ceux qui croient que Maurras n’a connu ni vécu aucune forme de « romantisme », Thibon citait, récitait et, même, chantait, ces deux vers de Maurras, dans lesquels il voyait à la fois son « romantisme » foncier et la puissance de sa volonté :
« J’ai renversé la manoeuvre du monde
Et l’ai soumise à la loi de mon coeur ».
Nous aussi, nous aimerions bien « renverser la manoeuvre du monde » ! Et la loi de notre coeur en vaut bien d’autres, n’est-ce pas ?