Grande mesure annoncée pour lutter contre le chômage, la baisse des cotisations familiales, saluée par une partie de la presse, est une fausse bonne idée. Personne, au gouvernement, ne semble savoir comme la financer, sans compter ce qu’elle masque en arrière-fond…
Lorsque le président de la République a présenté ses vœux pour ce début d’année 2014, il a dit vouloir « accélérer » la lutte contre le chômage, ce fléau qui gangrène la société depuis plusieurs décennies. Pour cela, il a paru répondre à une demande incessante des entreprises en annonçant une baisse des charges liées au travail, baisse censée procurer plus de compétitivité. Et il a choisi comme point d’application de cette baisse les cotisations familiales. D’où la question : veut-il vraiment lutter contre le chômage ou porter un nouveau coup à la famille ?
Depuis plusieurs années, les charges patronales sont désignées à l’opinion publique comme l’une des causes majeures du manque de compétitivité des entreprises françaises. De ce fait, pour les chantres de cette analyse, les entreprises françaises ont du mal à vendre et dès lors ne sont pas incitées à embaucher. Si ces charges baissent, les entreprises produiront moins cher et pourront donc mieux vendre leurs produits. Dès lors elles seront incitées à croître et embaucheront. Les gouvernements successifs, de gauche ou de droite, ont tous admis sans réserve cette analyse dominante dans le monde des économistes mimétiques. Et chaque fois qu’ils ont présenté un plan de lutte contre le chômage dans les années passées, ils ont tous pris des mesures – ponctuelles et passagères – de baisse des charges sociales. Les économistes qui veulent démontrer le bien fondé de leurs travaux ont chiffré les résultats de ces politiques : 100 000 emplois créés par-ci ; 50 000 emplois créés par-là ! Résultats de calculs économétriques et non d’observations concrètes, ces chiffres ont toujours été bien loin des enjeux réels. Mais ils avaient l’avantage de pouvoir être « communiqués » au grand public et d’aller dans le sens des demandes incessantes des chefs d’entreprise. Médiatiquement, ils étaient donc favorables à l’auteur de la mesure… du moins pendant quelques mois : c’est-à-dire le temps que l’on s’aperçoive que la baisse du chômage n’avait été que limitée et temporaire. Il est vrai qu’une légère baisse des seules charges salariales ne peut pas avoir autant d’effet sur les performances des entreprises à l’exportation que pourrait et devrait avoir une baisse de la valeur de l’euro. Une baisse de la valeur de l’euro aurait aussi un effet positif sur les ventes nationales dans la mesure où elle rendrait plus compétitifs les prix des produits français au regard des produits importés. Comme l’explique Gérard Lafay, toute politique de monnaie chère « pénalise les coûts salariaux et facilite la sortie des investissements directs à l’étranger, tout en suscitant abusivement l’importation ». Mais toucher au dogme de « l’euro fort » est interdit. Europe oblige !
Logique, seulement en apparence
La nouveauté de la mesure projetée par le gouvernement actuel est double : d’une part, François Hollande propose une baisse sans précédent (35 milliards d’euros de charges en moins) ; d’autre part, il cible exclusivement les cotisations familiales. Il avance un argument qui paraît d’une logique implacable et que Les échos du 15 janvier ont présenté ainsi : « Pour le Président, il n’est plus légitime que les ressources de la branche famille proviennent aux deux tiers des cotisations employeurs, alors que les prestations familiales profitent à tous les enfants, que leurs parents soient salariés d’entreprises cotisantes ou non ». Mais cet argument – dont la logique est en fait douteuse (puisque ce sont les enfants qui, demain, consommeront et financeront les retraites) – est-il vraiment celui qui a présidé à la décision ? Trois éléments permettent d’en douter.
Pour les entreprises de moins de cent salariés, la suppression des cotisations familiales assises sur les salaires n’entraînera aucune baisse sensible du prix de la production. Elle ne favorisera pas plus l’embauche. Tout juste peut-on en espérer une hausse du bénéfice de l’entreprise… et donc de l’impôt sur les sociétés ! Certains députés ont d’ailleurs expressément déclaré qu’ils comptaient dessus pour financer une partie des prestations familiales menacées. C’est bien la preuve qu’ils ne croient pas à l’effet de la mesure sur le niveau de l’emploi.
Le deuxième élément tient au fait que les cotisations familiales étaient jusqu’à présent revalorisées chaque année en fonction des coûts salariaux, c’est-à-dire en moyenne plus fortement que les prestations soumises à l’évolution du budget de l’Etat tel que votée par le Parlement. Le Figaro du 15 janvier a d’ailleurs explicitement annoncé qu’en indexant les allocations familiales sur les prix, l’état allait pouvoir diminuer son déficit. D’autant plus que, dans ce domaine, il pourra compter sur l’appui de la Commission européenne.
Le problème du financement
Enfin, troisième élément, François Hollande s’est bien gardé d’expliquer comment il allait désormais financer ces prestations familiales, précisant simplement qu’il n’y aurait pas de « transfert de charges des entreprises vers les ménages », car « ils ne le supporteraient pas ». Mais si ni les personnes morales ni les personnes physiques ne supportent le coût de ces prestations familiales, qui paiera ? Et, si personne ne paie, il y a fort à parier que les prestations vont vite être réduites à peau de chagrin, à l’heure où le président de la République exige que la branche famille de la Caisse nationale des allocations familiales, aujourd’hui en déficit, revienne à l’équilibre en 2017. Cette baisse inéluctable des allocations familiales sera donc une atteinte directe au pouvoir d’achat des familles et, par conséquent, au développement des entreprises qui verront leur marché domestique s’effondrer un peu plus. Il ne pourra en résulter qu’une nouvelle augmentation du nombre des chômeurs. Comme il est hors de question que l’on puisse imputer cette nouvelle dégradation du marché de l’emploi au gouvernement, celui-ci propose aux entreprises un « pacte de responsabilité » qui, pour une fois, porte bien son nom.
Le seul résultat concret de cette politique sera, demain, le déchirement de la société française : les contribuables ne voudront ou ne pourront pas supporter une augmentation de leurs impôts pour assurer le versement des allocations familiales. Gageons que, dans le nouveau bras de fer qui se profile, les familles ne sortiront pas vainqueur. Quand une telle mesure arrive après la limitation du quotient familial, le bouleversement du régime du congé parental, des mesures qui mettent en cause l’institution du mariage et favorisent les avortements, l’instauration du divorce sans juge et l’obligation d’enseigner « la théorie du genre » à l’école, il ne semble guère douteux que le but officiellement avoué lors de la présentation des vœux présidentiels n’est pas exactement celui qui est véritablement recherché. Il ne s’agit donc pas d’un simple « déni de réalité » comme l’explique cependant fort bien l’ancien président des Associations familiales catholiques, Paul de Viguerie, dans La Croix du 21 janvier. Il s’agit, en fait, d’une volonté de détruire.
*Analyse économique parue dans le numéro 126 de Politique magazine (février 2014).
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