D’Yvan Aumont (suite à notre note Autour de Finkielkraut, de l’immigration, de l’identité française et d’une certaine gauche devenue… folle ? ) : « A lire « Finkielkraut et l’identité malheureuse » par Gérard Leclerc dans Royaliste (n° 1042)… »
Finkielkraut et l’identité malheureuse
Le seul nom d’Alain Finkielkraut déchaîne désormais les passions. Son dernier essai, à peine sorti, provoque la polémique, envenime les aigreurs. Il suscite, il est vrai aussi, des manifestations d’attachement et de reconnaissance. C’est qu’il aborde de front les sujets qui fâchent et désigne des zones sensibles, là où ça fait mal. D’où la difficulté extrême de prendre de la distance avec sa pensée. On ne peut être qu’ardemment pour ou violemment contre, d’autant que pour corser les choses, les motifs principaux de l’identité malheureuse renvoient à une actualité brûlante : les progrès du Front national dans l’opinion et dans les urnes, l’expulsion de lycéens du territoire en raison de leur statut de non-droit. Et pourtant, la rhétorique du professeur émérite à Polytechnique n’est pas vraiment de nature polémique. Elle ne comporte pas de mots violents ou de charges acerbes. Elle ferait plutôt écho à une conscience malheureuse, à une souffrance intérieure qui s’expriment sur le mode du détour littéraire, de la médiation de la mémoire, du recours aux grands auteurs. Il est vrai que, pour certains, ce serait une cause supplémentaire d’irascibilité. L’écrivain n’a pas peur d’endosser les vêtements de la distinction, honnis par Bourdieu et les siens. Ses pages sur la galanterie française sont insupportables à ceux qui dégainent au moindre soupçon de sexisme. Plus généralement, c’est la posture résolument rebelle aux modes et aux moeurs qui alimentera le réquisitoire contre un mécontemporain (allusion à son beau livre sur Charles Péguy) qui ne craint plus les quolibets lancés aux réactionnaires impénitents.
Quitte à encourir les mêmes reproches, je ne cacherai pas mon plaisir de lecteur, heureux de goûter une pensée si éprise de la langue française. Que m’importe qu’on se moque de la manie des citations d’un khâgneux non repenti, il y a tout au long de «L’identité malheureuse» des pépites qui me ravissent. Ainsi, cet instantané de Proust, en contemplation devant les deux colonnes de la Piazzetta de Venise, portant sur leurs chapiteaux grecs, l’une le lion de saint Marc, l’autre saint Théodore parlant aux pieds du crocodile : « Tout autour, les jours actuels, les jours que nous vivons circulent, se pressent en bourdonnant autour des colonnes, mais là brusquement s’arrêtent, fuient comme des abeilles repoussées ; car elles ne sont pas dans le présent, ces hautes et fines enclaves du passé, mais dans un autre temps où il est interdit au présent de pénétrer. » Alain Finkielkraut est trop heureux de prendre l’auteur de la recherche du temps perdu à témoin pour glorifier la place inviolable du passé et du même coup accuser la pratique du Net de désarticuler la lecture : « Le livre propose un monde ; l’écran fluidifie le monde ; lire un livre, c’est suivre un chemin ; la lecture sur un écran est un sport de glisse. » On trouvera que le jugement est abrupt et que de grands lecteurs peuvent aussi utiliser l’instrument comme une aide et non comme un carcan. Il n’empêche que c’est bien notre relation à la culture qui est en cause et que l’on peut légitimement se demander ce qui résultera de la fin d’un certaine transmission du savoir et de la civilisation scolaire. D’où cet appel au Péguy des Suppliants parallèles : « Il y a un abîme pour une culture […] entre figurer à son rang linéaire dans la mémoire et dans l’enseignement de quelques savants et dans quelques catalogues de bibliothèques et s’incorporer au contraire, par des études secondaires, par des humanités, dans tout le corps pensant et vivant, dans tout le corps sentant de tout un peuple […] dans tout le corps des artistes, des poètes, des philosophes, des écrivains, des savants, des hommes d’action, de tous les hommes de goût, […] de tous ces hommes en un mot qui formaient un peuple cultivé, dans le peuple au sens large. » Insupportable nostalgie ?
J’aggraverai encore mon cas en marquant mon adhésion à l’insistance de Finkielkraut sur la notion d’aidos, en tant que vertu centrale en matière d’éducation, mais aussi de civilité dans la vie sociale : « L’aidos, c’est la réserve, la modestie, la pudeur qui naissent, en nous, de l’intériorisation du regard des autres. À l’enfant encore alogique, l’aidos permet de recevoir l’empreinte de la transmission et d’accéder ainsi au logos. » En me référant à une antique anthologie des racines de la langue grecque, qui m’accompagne depuis l’adolescence, je constate, en effet, qu’aidos renvoie à la pudeur, à la honte et au respect. Et que le verbe qui lui correspond illustre très bien l’attitude qui les accompagne, car respecter, c’est rougir face à une inconvenance, peut-être témoigner de sa propre incivilité.
En quoi ce genre de raffinements se rapporte-t-il aux débats brûlants dont nous parlions ? Dans Marianne, Aude Lancelin reproche à Alain Finkielkraut de « ne jamais arriver à vider son sac, celui-là même qu’il déballait par exemple le 22 septembre dernier aux auditeurs de RJC en se lançant dans une défense enflammée de la préférence nationale. » De même, Frédéric Martel (slate.fr) est plus virulent encore, qui reproche à l’écrivain d’être « subtilement dangereux ». Divaguer sur la culture, argumente-t-il, n’est guère dangereux, mais soupçonner les Français issus de l’immigration de ne pas vouloir s’intégrer, en se reconnaissant débiteurs du pays qui les accueille, c’est vraiment grave : « Entre les lignes, Finkielkraut écrit des choses affreuses. Peu importe le vernis des belles phrases. » En clair, l’auteur de «L’identité malheureuse» est accusé de renforcer la xénophobie ambiante en faisant de l’immigré le bouc-émissaire de toutes nos difficultés. Je n’approuve pas, pour ma part, le procès unilatéral que Martel développe contre Finkielkraut, même si je reçois avec intérêt sa discussion du concept de laïcité. Il me semble, en effet, qu’à se vouloir trop bon républicain, Finkielkraut n’envisage pas assez les ambiguïtés de la laïcité à la française. L’opposition qu’il rappelle entre le curé et l’instituteur ne se réduit nullement en un conflit entre une autorité « devant laquelle la pensée s’incline » et une autre « par laquelle la pensée s’affirme ». Le dogme peut illuminer une pensée et la rationalité rabougrir le concept… Mais ce serait à développer ! Constatons qu’à ce stade la discussion apparaît comme bloquée. Et pourtant ! Ce n’est sûrement pas à jouer à l’autruche qu’on répondra aux réelles interrogations et angoisses de nos concitoyens. L’immigration de masse change, qu’on le veuille ou pas, nos manières de vivre et nos modes de pensée. Le rapport à la culture du pays d’accueil n’est pas un sujet à dédaigner. Pour autant, il serait périlleux de considérer que toutes les questions posées débouchent nécessairement sur des apories, des impossibilités et des conflits irrémissibles. Français, encore un effort pour se montrer dignes des défis qui sont les nôtres, en faisant des obstacles des tremplins pour l’avenir.
Alain Finkielkraut, «L’identité malheureuse», Stock.
ne pourrait-on, surce site de haut niveau pour le fond, l’être aussi pour la forme?
« suite à » est une horreur! dites « après » par exemple, « à la suite de » « en raison de » « à cause de » selon les contextes…avez-vous remarqué la mort de ce petit mot si utile; « après »?….pourquoi donner dans le médiocre langage de la masse, signe d’un laisser-aller peu compatible avec la haute idée que je voudrais conserver de mon pays?
Dausmenil, vous avez écrit l’équivalent au moins de trois touites pour stigmatiser une légère impropriété langagière, mais après, quel est votre sentiment sur ce dont il s’agit ?