Cet excellent article vient d’être intégré à notre Album Maîtres et témoins…(II) : Jacques Bainville. , partie 6, « Bainville vu par… »
« On n’a guère connu d’intelligence variée, souple, étendue comme celle de Jacques Bainville » (1).
Venant de l’illustre écrivain Charles Maurras, ce compliment résume à lui seule toute la personnalité particulière de Jacques Bainville. Enfant de ce XIXème siècle qu’il qualifiait lui-même de « vieil utopiste », Bainville marquera le début du XXème siècle de son sceau, de cette intelligence vive et pluridisciplinaire qui caractérise les génies. Ignoré par les jeunes générations françaises, cloué au pilori par une bienpensance qu’il exécrait de son vivant, il convient donc de rendre aujourd’hui un vibrant hommage à celui qui, comme disait François Mauriac, « avait fait de la conjecture une science exacte »…
Jacques Bainville naquit le 9 février 1879 près de Paris, dans cette ville de Vincennes qui portera, de son vivant, une rue à son nom. Il passa quelques années de sa jeunesse en Allemagne et découvrit Berlin sous l’empire de Guillaume II, et conserva ce sentiment particulier qui le marqua jusqu’à sa mort. Germanophile, germanophone et ashquatrien (élève du lycée Henri IV, ndlr) brillant, il consacra d’ailleurs son premier ouvrage à Louis II de Bavière en 1900, tout juste âgé de 21 ans.
C’est cette même année qu’il rencontre le provençal Charles Maurras au Café de Flore, café resté célèbre pour avoir vu à son premier étage la naissance de la Revue d’Action Française en 1899 : « Maurras le séduit autant par la qualité de sa critique littéraire que par la cohérence de sa doctrine, son empirisme et son absence de préjugé religieux. Convaincu de la supériorité du modèle politique allemand, Bainville est déjà gagné aux idées monarchistes. Il est l’un des premiers à répondre dans la Gazette de France à l’Enquête sur la monarchie. Avec Maurras, il collabore à la revue traditionaliste Minerva, fondée en 1902 par René-Marc Ferry, et enseigne les relations internationales à l’Institut d’Action française, tout en assurant nombre de chroniques dans le journal du mouvement : vie parlementaire, diplomatie, économie, bourse et même vie théâtrale, rien n’échappe à sa plume » (2).
Consacrant sa vie au journalisme, il écrivit dans de nombreux journaux célèbres : La Gazette de France, La Liberté, Le Petit Parisien, La Nation Belge, en sus bien sûr de sa chronique Politique Etrangère dans l’Action Française. Rédigeant deux éditoriaux quotidiens (l’Action Française et La Liberté), il rédige également près de 6 articles hebdomadaires (3). Et bien sûr, en parallèle, Bainville n’en n’oubliait sa passion dévorante pour cette matière qu’il aimait tant : l’Histoire. De 1907 à 1920, il publia pas moins de 9 ouvrages historiques dont 3 renommés : Bismarck et la France (1907), Histoire de deux peuples : la France et l’Empire allemand (1915) et surtout Les Conséquences Politiques de la Paix en 1920.
Dans ce dernier ouvrage, étudiant avec minutie le Traité de Versailles et en prenant comme axiome l’expérience historique, il détailla avec une étonnante précision les dramatiques évènements qui allaient mener à la Seconde Guerre, de l’annexion de l’Autriche par le Reich à la crise des Sudètes avec la Tchécoslovaquie en passant par le pacte germano-russe contre la Pologne. Cet axiome historique, il le détaillera en 1935 dans son ouvrage Les Dictateurs :
« Nous croyons toujours que tout est nouveau alors que nous refaisons les expériences que les hommes des autres siècles ont faites et nous repassons par les mêmes chemins qu’eux » (4).
Il est d’ailleurs fort intéressant de voir l’étrange postérité de cet ouvrage de Bainville : longtemps ignoré par les dirigeants républicains, sa réédition de 1995 lui donne un second souffle et certains historiens actuels n’ont pas tari d’éloges dessus. Edouard Husson (Vice Chancelier des Universités de Paris) le qualifia même de « chef d’œuvre de l’analyse géopolitique » (5).
Cette même année 1920, il fonde avec Henri Massis la Revue Universelle, dans le but de « Rassembler tout ce qui, dans le monde, prend parti contre la destruction, fortifier et étendre les relations entre les groupes dévoués à la cause de l’esprit ». Il lui donna ses lettres de noblesse, élevant cette revue au rang de référence intellectuelle de l’époque grâce à la qualité de ses contributeurs : Maurras, Jacques Maritain, Thierry Maulnier, Maurice Vaussard notamment.
Pendant la décennie qui suivit, Jacques Bainville ne cessa d’écrire. Ouvrages historiques nombreux, articles et écrits quasi-quotidiens : Bainville, travailleur consciencieux et courageux, ne cesse de rédiger et de poser sur le papier ses analyses et réflexions. Un de ses amis, rapporte Maurras, disait :
« Donnez-lui un journal, il l’écrira en entier, il en fera tout seul tous les articles, chaque matin, de bout en bout : la Politique intérieure, la Politique extérieure, les Chambres, la Bourse, le Marché, la Mode, le Théâtre, les Mots Croisés, sans oublier la Chronique locale et les Nouvelles à la main… » (6).
Entre la publication de ses fameux contes moraux tels que Jaco et Lori (1927) ou Filiations (1923), entre ses écrits historiques tels que le Dix Huit Brumaire (1925) ou le fameux Histoire de France (1924), Jacques Bainville publiera près de 19 ouvrages en 10 ans. L’Histoire de France, et son pendant la Petite Histoire de France publiée en 1928, forment l’équivalent historique des Conséquences Politiques de la Paix : complet, clair et très détaillé, il analyse avec une grande acuité les évènements historiques de l’Histoire française et abat un grand nombre de préjugés. Jean Marc Varaut, Avocat à la Cour et membre de l’Institut de France, écrira même au début des années 2000: « Je dois à l’Histoire de France de Jacques Bainville l’amour presque minéral de la France » (7).
Mais pendant toutes ces années, Bainville craindra du plus profond de son être d’avoir eu raison dans ses Conséquences Politiques de la Paix. Suivant avec attention les évènements allemands, il ne put voir qu’avec effroi l’avènement d’Adolf Hitler en 1933 et la confirmation de ses pires craintes. Utopiste pendant l’année 1933 (ce qui ne l’empêcha pas de publier son œuvre Histoire des peuples continuée jusqu’à Hitler), il espérait toujours une chimérique résurrection des Hohenzollern de Guillaume II qu’Hindenburg se serait empressé de remettre en place. Evidemment, il n’en fut rien…
Bainville fut dès le début un adversaire acharné du nazisme : dénonçant les premiers camps de la mort, il fustigea dès 1933 la folie meurtrière qu’il avait pu discerner dans Mein Kampf et adopte le point de vue de totalitarisme, celui-là même qui sera développé par Hannah Arendt quelques temps plus tard.
Si Bainville est souvent présenté comme pessimiste, l’on aisément atténuer ce trait de caractère en rappelant l’ingratitude du rôle de Cassandre politique, ce rôle même qu’il jouera malgré lui pendant 19 ans.8 Comme il l’écrit lui-même : « Il n’est pas toujours agréable d’avoir raison, soupirait ce Cassandre désabusé. Il est cruel, en particulier, d’avoir raison contre son pays » (9).
Bainville s’éteindra d’un cancer qu’il savait incurable le 9 février 1936, quelques mois après avoir été reçu au 34ème fauteuil de l’Académie Française (25 mars 1935), prenant ainsi la place de Poincaré auprès des Immortels. Et Charles Maurras, son ami de plus de 35 ans, rendra cet hommage en quelques lignes :
« Etant comme Voltaire, attentif à tout ce qui se faisait ou se pensait de son temps, Bainville n’en oubliait rien, il savait apposer partout la vive signature de son esprit, avec une égalité de force et de lumière à laquelle le démon de Voltaire, dans une vie, hélas ! plus longue, n’a sans doute jamais atteint » (10)
Pourtant, Bainville ne connu pas la postérité qu’il méritait amplement. Exécré pour ses positions politiques, haï pour la justesse de ses pensées et de ses prévisions, il a été complètement et injustement écarté de la pensée politique française, comme l’écrivait ici Jean Dutourd, de l’Académie Française :
« Jacques Bainville n’est pas seulement un historien de premier ordre, c’est aussi un écrivain considérable et l’un des plus grands esprits qu’il y ait eu en France pendant la première moitié du XXe siècle. La raison pour laquelle il est négligé aujourd’hui est strictement politique. Son sens de la réalité, son goût de la vérité historique, ses dons prophétiques font absolument horreur aux intellectuels français, européens et mondialistes. Bainville souffre du même ostracisme que Rivarol, par exemple, qui est depuis deux cents ans victime d’un complot républicain de silence. Ni Rivarol ni Bainville ne sont des écrivains pour époque bête. »
1 Charles Maurras, Entre Bainville et Baudelaire
2 Agnès Callu, Lettres à Charles Maurras: amitiés politiques, lettres autographes : 1898-1952, Presses Univ. Septentrion, 2008, 256 pages, p. 29
3 Jean Sévillia, Bainville, cet historien fut un prophète, Le Figaro, 25/11/2000
4 Jacques Bainville, les Dictateurs, 1935
5 Edouard Husson, J.Bainville et JM Keynes, deux analyses du Traité de Versailles
6 Charles Maurras, Entre Bainville et Baudelaire
7 Jean Sévillia, Bainville, cet historien fut un prophète, le Figaro, 25/11/2000
8 Christophe Dickès, l’Action Française 2000, Printemps 1999
9 Jean Sévillia, Bainville, cet historien fut un prophète, Le Figaro, 25/11/2000
10 Charles Maurras, Entre Bainville et Baudelaire
Ouais mais c’est qui qui a écrit l’excellent article ? Gringire c’est un auteur ? Je crois pas. Alors, l’auteur ? toujours pareil sur ce blog ! C’est mystère et boule de gomme.
(A Cedric) l’article du Nouveau Gringoire n’est pas signé, même pas par « le nouveau gringoire » en collectif : pas la peine de nous engueuler, nous n’y sommes pour rien…
Tranquille. On laisse tomber. C vrai que souvent vous donné pas les noms. C pour ça. Là, j’ai capté.