Editions Coop Breizh, 160 pages, 15 euros
Yves Loisel vient de publier un livre sur l’académicien Michel Mohrt, aux éditions Coop Breizh (basées à Spézet dans le Finistère) : « Michel Mohrt – Portrait ». Beaucoup, parmi nos lecteurs, se souviendront que, du temps du mensuel Je suis Français, Pierre Builly et François Davin avaient intérrogé Michel Mohrt, ainsi qu’une bonne trentaine d’autres inetllectuels et écrivains, et que l’ensemble de ces entretiens avait constitué une sorte de collection de grand intérêt…
Yves Loisel a rencontré Michel Mohrt une dizaine de fois lorsqu’il était journaliste au Télégramme, et l’a longuement interviewé. Son livre retrace les grandes lignes de sa vie et constitue surtout un portrait intellectuel et psychologique.
Voici l’entretien qu’il a accordé, lors de la sortie de l’ouvrage, au blog des éditions Coop Breizh :
Originaire de Morlaix, Michel Mohrt (1914-2011) était un écrivain discret. Académicien français, romancier de premier ordre, fin connaisseur de la littérature américaine, il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages, dont une quinzaine de romans où s’entremêlent, pour l’essentiel, des épisodes liés à la Seconde Guerre mondiale et les amours, souvent tourmentées, que vivent ses personnages.
Pour autant, bien que se réclamant de la France conservatrice et même traditionnelle, Michel Mohrt n’a pas écrit des romans à thèse, un genre qu’il désapprouvait : il entendait être, avant tout, un témoin de son temps et un raconteur d’histoires. Qui était donc cet homme élégant à l’allure si britannique ? Un réactionnaire inflexible ? Un anticonformiste ? Un anarchiste désabusé ? Au lecteur de se forger une opinion à travers ce portrait où se révèlent une personnalité riche et un caractère bien trempé.
L’auteur : ancien journaliste au Télégramme, Yves Loisel est l’auteur de trois ouvrages : * Xavier Grall – Biographie (éditions Jean Picollec, 1989 ; réédition Le Télégramme, 2000);
* Louis Guilloux – Biographie (éditions Coop Breizh, 1999);
* Voix et Visages – Rencontres avec 32 écrivains de Bretagne (Coop Breizh, 2000).
Coop Breizh. Comment vous est venue l’idée d’écrire sur Michel Mohrt ?
Yves Loisel. Quand il est mort au mois d’août 2011, j’ai tout de suite pensé qu’il y avait un livre à écrire sur sa vie et son œuvre, tant l’une et l’autre avaient été riches et, par certains côtés, très originales. J’ajouterai que l’homme lui-même était passionnant. Il y avait chez lui des convictions fortement ancrées et, dans le même temps, on le sentait traversé par de nombreux doutes et interrogations.
Tout en relisant ses romans et ses essais – une trentaine d’ouvrages au total -, je me suis donc replongé dans mes dossiers et me suis aperçu que je disposais d’une abondante documentation. J’avais notamment de nombreux articles de presse le concernant : les premiers remontent à 1989. Pourquoi les avais-je conservés dès cette époque-là, alors que je ne connaissais pas encore Michel Mohrt et que j’ignorais, bien entendu, que j’écrirai un jour un livre sur lui ? Mystère… J’avais aussi de très nombreuses notes personnelles : au total, en effet, je l’ai rencontré – et longuement – à dix reprises, en Bretagne et à Paris. J’avais donc là une mine d’informations, souvent inédites, qu’il me paraissait intéressant de faire connaître au public.
C.B. N’est-il pas un peu oublié aujourd’hui ?
Y.L. Michel Mohrt était assurément un homme discret, réservé, qui ne recherchait pas les micros et les caméras ! Il avait été très marqué par la Seconde Guerre mondiale, en particulier par la défaite de 1940 quand l’armée allemande a enfoncé, en quelques semaines, les lignes françaises avant d’occuper le pays. Je crois qu’à ce moment-là, quelque chose s’est brisé en lui. Il n’avait pourtant que vingt-six ans à cette époque mais cette défaite a été le drame de sa vie : il ne s’en est jamais remis. En outre, elle a influé de façon radicale non seulement sur ses idées mais aussi sur sa personnalité, sa façon de regarder son pays, et même d’envisager la vie. D’où, sans doute, un certain repli sur lui-même et sur des valeurs appartenant à la France d’avant-guerre, ce qui explique sa discrétion et son absence sur le devant de la scène littéraire.
C.B. Comment définir son œuvre ?
Y.L. C’est un écrivain talentueux, un excellent romancier. Lui-même se définissait comme « un raconteur d’histoires », et il est vrai que lire Michel Mohrt est un régal ! Son style est léger – dans le bon sens du terme -, ses romans sont vifs, enlevés, bien menés. Ils contiennent beaucoup de dialogues, se lisent très facilement et ses personnages sont finement dessinés. Il n’y pas de longueurs : on y trouve peu de descriptions et encore moins d’analyses psychologiques. Il a cherché à placer ses personnages dans certaines situations et à les faire vivre, évoluer, en fonction des événements, sans jamais les juger ni commenter leur attitude. Mais c’est là une simplicité apparente : d’un roman à l’autre, apparaissent en filigrane des questions récurrentes qui sont autant d’allusions autobiographiques : comment se comporter face aux événements de son temps ? Faut-il s’engager ? Bref, comment vivre ? Surtout, comment être heureux ? A cet égard, les femmes occupent une grande place dans son œuvre car ses héros vivent des amours souvent compliquées !
C.B. Michel Mohrt était un grand connaisseur de la littérature américaine contemporaine. Pourquoi ?
Y.L. Aussitôt après la fin de la Seconde Guerre mondiale, il s’est volontairement exilé aux Etats-Unis. Il était écœuré par les événements auxquels il assistait à Paris à cette époque : l’épuration, les règlements de comptes personnels, les retournements de vestes… Michel Mohrt se rendait compte aussi que se mettait en place ce qu’il a appelé « une vérité officielle » à laquelle il ne pouvait adhérer : le mythe d’une France qui aurait été résistante dès le début du conflit, unie contre l’occupant, une France qui se serait libérée seule… Tout cela était contraire à ce qu’il avait vu et vécu, et il a donc préféré partir aux Etats-Unis, où il a enseigné et donné des conférences dans plusieurs universités. D’où le thème de l’émigration et du départ, que l’on trouve partout dans ses livres. C’est au cours de ce séjour de sept ans outre-Atlantique qu’il s’est familiarisé avec la littérature américaine, un domaine qu’il a considérablement développé aux éditions Gallimard pour qui il a travaillé pendant près de cinquante ans après son retour en France en 1952. Il a d’ailleurs écrit deux essais, remarquables de finesse, sur les écrivains américains.
C.B. Pouvez-vous nous donner quelques éléments sur son rapport à la Bretagne.
Y.L. « La Bretagne ne m’a jamais quitté » : je crois que c’est une des premières phrases qu’il a prononcées devant moi quand je l’ai rencontré pour la première fois à Paris en 1997. Michel Mohrt éprouvait un attachement très fort et sincère pour la Bretagne. Chez lui, ce n’était pas une pose. Du reste, quand on lit ses œuvres, qu’il s’agisse de ses romans ou de ses essais, on s’aperçoit qu’elle est partout présente – par ses paysages, à commencer par la mer, les ports, la navigation à la voile, etc. ; et aussi bien sûr par ses célébrités littéraires, en premier lieu Chateaubriand.
Dans le même temps, Michel Mohrt était gêné par rapport à la Bretagne : académicien français, lecteur chez Gallimard, il habitait à Paris depuis de longues années, et cette situation ne lui laissait pas la conscience tranquille. Bien sûr, il revenait chaque été dans la maison de famille qu’il possédait à Locquirec, non loin de Morlaix, la ville où il était né. Mais malgré cela, il avait le sentiment d’avoir trahi sa région d’origine en la quittant à l’âge de vingt ans pour aller faire son service militaire dans le Midi. Il était jeune alors et il avait envie de voir du pays…
C.B. Après vos deux ouvrages sur Xavier Grall et Louis Guilloux, c’est votre troisième biographie d’écrivain. Qu’est-ce qui vous pousse à écrire ce genre d’ouvrages ?
Y.L. Les écrivains sont des êtres complexes, fragiles, d’une sensibilité à fleur de peau. Leur personnalité est souvent une mosaïque composée de tours et de détours, de contradictions. De vrais labyrinthes, souvent ! Ce qui m’intéresse, c’est de retracer leur parcours, de suivre le cheminement de leurs pensées, d’observer l’enchaînement des événements dans leur vie, de cerner au plus près leur caractère et leur façon d’être, sans porter de jugement sur tel ou tel aspect de leur existence ou de leur caractère.
S’agissant de mon livre sur Michel Mohrt, on ne peut pas à proprement parler dire qu’il s’agit d’une « biographie ». C’est un portrait – mot qui est du reste le sous-titre qu’on trouve sur la couverture. Rédiger une biographie de Michel Mohrt aurait demandé à rencontrer des témoins (famille, amis, confrères écrivains, collègues de l’Académie française, critiques littéraires, etc.). Ce n’est pas le projet que j’avais en tête. Je pensais plutôt à un livre assez bref où apparaitraient certaines lignes de force, un ouvrage mettant en lumière les principaux événements de la vie de Michel Mohrt, ses idées sur la société ainsi que les traits marquants de sa personnalité.
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“Il est bon !!”