Voici un très court extrait (moins de trois pages, les 185, 186 et 187) d’un très gros ouvrage : le magnifique Louis XIV de François Bluche, ouvrage en tous points remarquable, et qui ne mérite que des éloges. On peut dire de ce livre magistral – paru le 3 septembre 1986 – qu’il constitue une Somme, sur le règne du Grand roi, un peu comme l’on parle de la Somme théologique de Saint Thomas d’Aquin.
Le Louis XIV de Bluche ne compte en effet pas moins de… 1039 pages ! Et il est rare que l’on donne le poids d’un livre : le sien pèse 637 grammes !…
C’est, évidemment, l’ouvrage d’un historien, François Bluche n’étant ni ne se voulant, en aucune façon, penseur ou homme politique. Pourtant, dans ces trois pages, avec un style limpide, à la portée de tous les publics, il rendra un grand service à tous ceux qui, simplement parce qu’ils l’ignorent, ou parce qu’ils ont été trompés par un certain enseignement de l’Histoire, ne connaissent pas le sens de l’expression « monarchie absolue », qui a été, volontairement, déformé et caricaturé par une propagande mensongère, visant à éloigner les Français de leur héritage et de leur histoire vraie : ainsi, dans ces pages, François Bluche est-il, vraiment, politique, au bon sens du terme, et un excellent vulgarisateur… de la vérité, tout simplement.
C’est à ce titre que ces courtes pages d’un grand livre méritent d’entrer dans notre collection de Grands Textes.
La monarchie absolue
Dès 1661 Louis XIV a donné au régime français une unité, un style. Il en est résulté presqu’aussitôt cette monarchie absolue qu’admirent alors les français, et que tentent d’imiter les rois d’Europe.
Aujourd’hui ces faits sont trop oubliés. Nos sensilbilités échappent malaisément au pouvoir des mots. Or, depuis 1789, un enseignement simplificateur a noirci le concept de monarchie absolue. Le XIXème siècle l’a d’ailleurs peu à peu remplacé par l’horrible mot d’absolutisme, faisant de l’ancien régime un système de l’arbitraire, voire du despotisme ou de la tyrannie. La monarchie de Louis XIV devenait rétrospectivement comme le règne du bon plaisir.
On peut en général retrouver l’origine de chaque légende. Depuis Charles VII les lettres patentes des rois s’achevaient par l’expression : « Car tel est notre plaisir ». Nos ancêtres, à qui le latin n’était pas étranger, lisaient : Placet nobis et volumus (C’est notre volonté réfléchie). Ils voyaient en cette formule la décision délibérére du Roi, non son caprice. De même traduisaient-ils sans hésiter monarchia absoluta par monarchie parfaite.
De l’enthousiasme de 1661 à la morosité trop soulignée de 1715, cinquante-quatre ans vont passer, souvent rudes, sans vraiment modifier l’admiration des Français pour le régime. Il est naturel, même pour ceux qui ont à se plaindre du monarque, de célébrer la monarchie absolue. Aux yeux d’un Pasquier Quesnel (1634-1719), janséniste exilé, la constitution française est parfaite, où « la royauté est comme éternelle ». Le Roi jouit d’une légitime souveraineté; « on le doit regarder comme le ministre de Dieu, lui obéir et lui être soumis parfaitement ». Un Pierre Bayle (1647-1706), calviniste exilé, condamne les gouvernements mixtes, glorifie après Hobbes, « l’autorité des rois », déclare froidement que « le seul et vrai moyen d’éviter en France les guerres civiles est la puissance absolue du souverain, soutenue avec vigueur et armée de toutes les forces nécessaires à la faire craindre ».
Mais, absolutus venant du verne absolvere (délier), les Français du XVIIème siècle savent aussi que monarchia absoluta signifie monarchie sans liens, et non pas sans limites. Les juristes théoriciens de la souveraineté (André Duchesne, Charles Loyseau, Jérôme Bignon) avaient, comme par hasard, développé leurs théories en 1609 ou 1610, au lendemain de la grande anarchie des guerres de religion et de la reconstruction du royaume par le Béarnais. Qu’ils l’aient senti ou non, prôner alors une monarchie absolue revenait à exalter Henri IV; leurs lecteurs pouvaient au moins comprendre qu’une pratique relativement débonnaire était conciliable avec la rigidité des principes. En 1609, il n’était pas question de confondre monarchie absolue et despotisme.
D’ailleurs, pour les juristes comme pour les Français instruits, le pouvoir royal, s’il est absolu, est également circonscrit. Le monarque doit respecter les maximes fondamentales, dites encore lois du royaume. La plus importante est la loi de succession, familièrement désignée sous le nom de « loi salique ». Unique au monde, logique, précise, oeuvre du temps et forgée par les grands évènements de notre histoire, garante de la continuité et e l’unité du royaume, cette loi montre clairement que l’Etat passe avant le Roi. On peut dire qu’elle tient lieu à la France de constitution coutumière. La deuxième loi fondamentale affirme le caractère inaliénable du Domaine. Elle s’appuie sur un grand principe : le souverain n’est qu’usufruitier, et non propriétaire de son royaume. La troisème maxime – non reçue par tous, fortement commentée depuis 1614 – est appelée loi d’indépendance : le parlement de Paris en a fait le système des libertés de l’Eglise de France, une permanente sauvegarde contre les empiètements de Rome.
De ces grands traits de notre droit public, résulte l’idée que la monarchie est plus absolue que le monarque.
François Bluche
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