Il faut revenir sur cette effroyable affaire car si on doit le plus grand respect au drame humain que vivent les personnes concernées, il n’en reste pas moins qu’au cœur de ce drame s’en joue un autre qui nous concerne tous, celui de l’humanisme athée.
L’autorisation donnée par le Conseil d’Etat d’arrêter le pain et l’eau s’appuie sur deux arguments :
– la directive anticipée, informelle, du patient ayant donné à entendre qu’il n’accepterait pas de vivre dans la grande dépendance…
– le fait qu’il n’ait plus de relations avec son entourage, qu’il soit « pauci-relationnel »…
A quoi s’est ajoutée la considération que l’alimentation et l’hydratation étaient devenues des quasi-médicaments relevant d’une forme d’acharnement thérapeutique.
On est en plein délire moderniste : une anthropologie individualo-socialo-scientiste… Une vision de l’Homme qui tue l’Homme :
– absolutisation de l’individu et de sa volonté…
– mais d’un individu sans substance, sans essence, qui ne se définit que par sa capacité de socialisation, techniquement constatée…
– et ainsi placé sous la double détermination des sciences sociales et des sciences dites exactes tenues pour capables de dire où commence l’Homme et où il finit…
Cela montre le danger d’une anthropologie relationnelle lorsqu’elle n’est pas solidement enracinée dans la relation première, la relation intérieure avec son ouverture vers l’Au-delà. Une relation aussi insondable que la profondeur d’une source, irréductible à toute approche scientifique. Intouchable.
L’Homme n’est pas un animal social, ni même un être relationnel, il est d’abord un être spirituel. Ce qui n’est pas évacuer la chair mais, comme disait Saint Irénée, la tenir traversée par un souffle. Urgence donc de revenir à ce que Maritain appelait une théo-anthropologie et Lubac une anthropologie transcendantale.
Y revenir par le chemin d’une pensée renouant l’alliance de la foi et de la raison en relançant la réflexion sur les fins dernières. « Rome, disait un philosophe, a fermé son bureau de l’eschatologie ». Il faut le rouvrir !
Y revenir, plus sûrement, encore, par le chemin de la mystique (et de sa petite voie : la poésie). Celle de «la suprême pointe de l’âme » chez Thérèse d’Avila ou « du fond du fond » de Ruysbeck. Comme le déploie un poète contemporain, Philippe MacLeod, ce qui fonde la dignité de la personne humaine, c’est bien moins sa volonté que sa capacité à s’ouvrir à plus grand que soi, au mystère de la chair, à cette incomplétude, cette dépendance radicale qui est le fond de notre condition.
Pierre Chalvidan
Anne sur Journal de l’année 14 de Jacques…
“Très beau commentaire en vérité. Je suis d’ailleurs persuadée que Bainville vous approuverait !”