CHARLES *
En somme, belle-maman, à ce que je crois comprendre, vous êtes pour confier le gouvernement aux peuples? A ces bons peuples qui ont toutes les vertus ? Vous savez ce qu’il fait, ce bon peuple, quand les circonstances le lui offrent, le pouvoir? Vous avez lu l’histoire des tyrans ?
LA REINE YOLANDE
Je ne connais rien de l’Histoire, Charles. De mon temps, les filles de roi n’apprenaient qu’à filer; comme les autres.
CHARLES
Eh bien, moi, je la connais, cette suite d’horreurs et de cancans, et je m’amuse quelques fois à en imaginer le déroulement futur pendant que vous me croyez occupé à jouer au bilboquet… On essaiera ce que vous préconisez. On essaiera tout. Des hommes du peuple deviendront les maîtres des royaumes, pour quelques siècles – la durée du passage d’un météore dans le ciel – et ce sera le temps des massacres et des plus monstrueuses erreurs. Et au jour du jugement, quand on fera les additions, on s’apercevra que le plus débauché, le plus capricieux de ses princes aura coûté moins cher au monde, en fin de compte, que l’un de ces hommes vertueux. Donnez-leur un gaillard à poigne, venu d’eux, qui les gouverne, et qui veuille les rendre heureux, coûte que coûte, mes Français, et vous verrez qu’ils finiront-par le regretter, leur petit Charles, avec son indolence et son bilboquet… Moi, du moins, je n’ai pas d’idées générales sur l’organisation du bonheur. Ils ne se doutent pas encore combien c’est un détail inappréciable.
* Charles VII, à Bourges.
Jean Anouilh, l’Alouette – Créée le 14 octobre 1953, au Théâtre Montparnasse-Gaston Baty, Paris
Michel Bouquet, devant une photographie d’une représentation de L’Alouette (1953), de Jean Anouilh, pièce dans laquelle Suzanne Flon était sa partenaire.
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