Encore une nuit anxieuse, encore une matinée sans réconfort. Le bruit courait hier soir à Saint Lô, venant de Paris, que le général Pau (1) avait remporté une victoire et occupé les lignes ennemies. On nous avait tout de suite apporté cette lueur d’espoir. Ce matin, nous apprenons que les uhlans sont à Compiègne. C’est tout.
De nombreux réfugiés arrivent de Paris, des environs de Paris et de la région de l’Oise. A entendre ces derniers, c’est l’autorité militaire qui ordonnerait l’évacuation immédiate parce que des batailles sont prochaines dans cette région et que nous emploierons le nouvel explosif de Turpin, qui est un asphyxiant d’une telle puissance qu’il expose à la mort tous les habitants d’une région…
Le secret de Turpin est admirable, on veut bien le croire. Mais ce n’est pas encore le secret de la victoire, puisque l’invasion ne cesse de progresser. Du coup, on quitte Paris en masse. Les trains se succèdent en grand nombre aux gare d’Orléans, de Lyon et de l’Ouest. Des hommes qui sont arrivés ici disent avoir voyagé vingt heures debout dans un fourgon.
Stephen Pichon (2) écrit dans Le Petit Journal ces lignes qui surprendront. C’est le premier son de cloche de cette nature qui est donné : « Il y a longtemps que j’ai dit qu’on avait tort de s’en reporter aux bruits fallacieux qu’on faisait courir sur la supériorité de nos armes. L’évènement a tristement démenti ceux qui colportaient de prétendus propos de prisonniers allemands dont on s’emparait comme d’une promesse certaine de victoire. Mais de l’optimisme excessif dont on faisait preuve il y a quinze jours, au pessimisme découragé que créeraient maintenant des revers auxquels nous avions le droit de ne pas nous attendre, il y a toute une distance que nous ne devons pas parcourir. »
Des revers ? Il y a donc eu des revers ? Où et quand, nous ne le savons, ou plutôt nous ne le devinons que très vaguement encore. Mais c’est la première fois que le mot est prononcé. Il nous attriste jusqu’au fonds de l’âme.
…D’après les lettres que nous venons de recevoir à l’instant même, les uhlans se trouvaient dès dimanche, c’est-à-dire le 30 août, dans les environs de Compiègne. Les habitants de la région se hâtaient de chercher un refuge à Paris.
(1) : Paul Pau (1848-1932) était entré à Mulhouse le 19 août 1914, qu’il devait évacuer le lendemain.
(2) : Stephen Pichon (1857-1933) avait été ministre des Affaires étrangères sous Clemenceau puis Caillaux de 1906 à 1911 et le redeviendra avec Clemenceau de 1917 à 1920.
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