C’est le succès. C’est même la victoire. Les Allemands battent en retraite et l’armée du général Von Kluck, la plus redoutable, s’en va… Nos chefs et nos troupes sont venus à bout de la horde… Quelle meilleure preuve que le caractère de nos institutions et notre désorganisation politique nous avaient mis jusqu’ici en état d’infériorité ! « De toute façon, cette expérience suprême condamne la République », m’écrit quelqu’un avec raison…
Le plus gros du péril passé, chacun avoue ses craintes. Albert de Mun lui-même, qui a tenu vaillamment le coup depuis le début et affirmé un optimisme inébranlable, convient aujourd’hui qu’il a cru pendant quelques jours à la catastrophe sans remède. On pouvait le craindre, quand on voyait les populations du Nord et du Nord-Est fuir devant l’invasion. Il est vrai que l’ennemi arrêté, ayant même dû reculer sur certains points de 40 à 75 kilomètres, rien n’est fini. Il faudra le forcer à la retraite, le « bouter hors de France » et le poursuivre sur son propre territoire. C’est une nouvelle campagne qui commence et qui, si elle n’est pas moins dure, sera plus encourageante et plus exaltante à mener que la première. Toutefois, en se retirant, les Allemands vont encore faire chez nous de terribles ravages. Auguste Avril, le rédacteur parlementaire du Figaro, remarquait l’autre soir que le département de la Marne souffrait cruellement de la guerre (une récolte magnifique y a été saccagée) et que pourtant, il y a six mois, tous les députés du cru étaient à la conférence franco-allemande, à la fameuse duperie de Berne… Souvenir lamentable à évoquer !
On pense que le gouvernement aura à cœur de rentrer à Paris le plus tôt possible. Son hégire a produit un effet déplorable. A Bordeaux même, tout ce qui l’a suivi par nécessité, non seulement les journalistes, comme nous, demande un prompt retour. Bordeaux finit par prendre l’aspect d’une cité de carnaval, d’une vaste foire aux célébrités, des célébrités dont les unes sont douteuses, dont les autres s’amusent sans vergogne. La presse parisienne dénonce les petits scandales du Chapon fin. Dans un restaurant plus modeste, mais à ce point rempli de dîneurs que je n’ai pu me faire servir qu’une soupe et du fromage, j’ai dîné avant-hier soir entre Camille Pelletan (1) et un comédien du Palais-Royal. Tout à l’heure, un autre pitre, des comédiennes étaient table à table avec des dignitaires. Il est temps que ce spectacle prenne fin et que le ruisseau parisien retrouve son lit.
Cependant la crise économique se fait sentir, et le tapeur est devenu une des sept plaies de Bordeaux. u
(1) : Camille Pelletan (1846-1915), rédacteur en chef de La Justice, organe de Clemenceau, ministre de la Marine sous Combes puis président du parti radical depuis 1902. A la fin du Second Empire le père de Jacques Bainville avait soutenu la candidature d’Eugène Pelletan, père de Camille, ancien ministre.
Noël Stassinet sur On attend une vigoureuse réaction du…
“Alors les grands penseurs de la gôôôche on se réveille ? On a une panne de…”