Ce sujet, généralement passé sous silence, est aujourd’hui souvent évoqué ouvertement jusque dans la grande presse. Ainsi, nous avons lu avec intérêt l’article du Monde* que vous pourrez consulter ci-après. Nous avons jugé intéressant de le donner à lire ici, au moment où George Steiner publie un nouvel ouvrage (Un long samedi, chez Flammarion) dans lequel il récuse le sionisme, au fond au nom d’une haute éthique juive, universelle, a-territoriale; et où Aymeric Chauprade refuse que l’anti-sionisme puisse être un élément déterminant de notre politique étrangère. Somme toute, un Intéressant débat ! Lafautearousseau u
Dans quelques jours, Nitzan Cohen quittera Israël, le pays où elle est née, avec un billet aller simple, direction New York. Pour combien de temps ? Rien n’est encore tranché. Cette jeune femme de 27 ans, diplômée de psychologie, veut surtout prendre un peu le large. Détentrice d’un passeport américain, elle mûrit depuis plusieurs mois sa décision. L’opération « Bordure protectrice » menée cet été à Gaza n’a fait que renforcer son choix.
« Israël est un petit pays avec une guerre tous les deux-trois ans, décrit-elle. La pression est constante. » Nitzan a fait ses études à Beersheba, la capitale du Néguev, régulièrement exposée aux tirs de roquette du Hamas à Gaza. A chaque confrontation, l’alarme ne cessait de retentir, précipitant tout le monde aux abris. « J’aime mon pays, mais je ne trouve pas vraiment normal de vivre ainsi », explique-t-elle.
« MAUVIETTES MÉPRISABLES »
Quelque 30 % des Israéliens se disent aujourd’hui tentés par l’émigration, selon un sondage diffusé début septembre par la chaîne de télévision israélienne Channel 2. Pour en savoir plus sur les motivations des candidats à l’exil, il suffit de consulter la page Internet Quitter Israël, un site en hébreu délivrant conseils et témoignages. Les uns citent l’insécurité et la tension causées par un conflit qui n’en finit plus. Les autres évoquent une trop grande implication du fait religieux dans le quotidien. Pour beaucoup parmi les jeunes, c’est aussi le coût de la vie qui sert d’aiguillon au départ : depuis cinq ans, les salaires ont stagné tandis que les prix de l’immobilier ont explosé. « J’ai beaucoup de mal à trouver un appartement décent à un prix normal, rapporte Danna Frank, une résidente de Tel-Aviv qui vient de terminer son école de cinéma. Quand je lis ce que racontent sur Facebook mes contacts partis à Berlin, ça me fait sérieusement réfléchir : il est clair qu’on y vit mieux avec beaucoup moins. »*
L’émigration existe depuis la création de l’Etat hébreu. Mais elle reste un phénomène qui fait débat dans un pays construit par ses immigrants. La langue reflète ce malaise : les Israéliens partis à l’étranger sont surnommés yordim, « ceux qui descendent », par opposition aux nouveaux venus, les olim (« ceux qui montent »). Dans les années 1970, le premier ministre Yitzhak Rabin n’avait que mépris pour ces déserteurs traités de « mauviettes méprisables ». A l’automne 2013, un documentaire filmant le quotidien de jeunes Israéliens établis en Europe et aux Etats-Unis a relancé la polémique. Le ministre des finances Yaïr Lapid avait fustigé « ces gens prêts à jeter à la poubelle le seul pays qu’ont les Juifs parce que Berlin est plus confortable ».
« PARTIR SERAIT COMME TRAHIR »
Pour le démographe Sergio Della Pergola, en dépit du tam-tam médiatique, le taux d’émigration est en réalité très faible. « Plus faible qu’en Suisse et dans la plupart des pays développés, précise-t-il. Et parmi ceux qui disent vouloir partir, il est difficile de distinguer ce qui relève de la discussion de salon ou du projet concret. » Ce professeur à l’université hébraïque de Jérusalem affirme aussi que la question s’est banalisée : « Israël est une société plus mûre et la mobilité internationale y est devenue une donnée comme une autre. » C’est ce que semble montrer l’enquête de Channel 2 : chez 64 % des sondés, le sujet de l’émigration suscite des réactions de bienveillance ou d’indifférence. Seuls 36 % y sont hostiles.
Pourtant, les Israéliens tentés par l’exil confessent souvent une ambivalence face à leur projet. Michal et Avi (les prénoms ont été changés) ont vécu neuf ans à Londres. En janvier 2013, à la naissance de leur fille, ils sont revenus à Jérusalem. L’enchaînement de violences de l’été – kidnappings, meurtres et offensive sanglante à Gaza – les fait aujourd’hui douter. « La situation politique me désole et me donne envie de repartir, raconte Michal d’un ton voilé par l’émotion. Mais mes grands-parents ont choisi de quitter l’Allemagne et les Pays-Bas pour venir ici au début des années 1930. Partir définitivement après deux générations serait comme trahir un engagement. »
* Par Marie de Vergès – Le Monde, 20 septembre 2014
Naître en Israël n’est pas choisir ; émigrer vers Israël est une lourde décision, prise le plus souvent en connaissance de cause.
Les Israéliens de souche qui partent – il y en a peu – le font à tout motif, économique d’abord, comme n’importe quel migrant du monde.
Ceux qui « repartent » ont sans doute surestimé leurs capacités personnelles à affronter la situation – je pense aussi aux jeunes Français partis faire leur service militaire en Israël – sinon s’estiment trompés par la propagande sioniste du « retour ».
Dans un cas comme dans l’autre, je ne vois pas la raison d’en faire un fromage. Ce n’est pas pire qu’ailleurs.
Franchement, fromage ou pas fromage, si vous ne voyez pas le caractère absolument et à tous égards singulier de l’Etat d’Israël, parmi les nations et même au centre de la diaspora du peuple juif, selon la formule utilisée jadis, ici, par Antiquus, nous ne pouvons rien pour vous.
Contrairement à l’adage, un peuple sans terre n’est pas venu s’installer sur une terre sans peuple. Le conflit israélo- palestinien est aujourd’hui dans une impasse totale. La protestation des Palestiniens contre l’occupation dont ils sont les victimes n’est pas près de retomber. Quant au judaïsme orthodoxe, il attend toujours encore le jour où les Arabes seront expulsés d’Israël et où la Terre sainte lui reviendra entièrement.
On peut comprendre, sans l’approuver, que les Palestiniens fassent mal la différence entre Juifs et Israéliens. En d’autres temps, certains eurent aussi du mal à distinguer entre Français et catholiques, Russes et communistes, allemands et nazis. Il n’en reste pas moins qu’un tel amalgame est ravageur. Mais n’a-t-il pas comme source première, d’une part le fait qu’un certain nombre de Juifs de la Diaspora s’identifient de manière inconditionnelle à la politique de l’Etat d’Israël, et d’autre part le fait que cet Etat prétend parler au nom de tous les Juifs?
L’Etat d’Israël, en effet, n’entend pas seulement être un Etat juif, mais un Etat fondé à parler au nom de tous les Juifs, qu’ils soient ou non israéliens.
Le sionisme visait entre autres à créer un endroit où les Juifs, longtemps persécutés, trouveraient enfin la paix et la sécurité. De ce point, on ne peut que constater l’échec historique du projet : s’il y a aujourd’hui un endroit où les Juifs ne sont pas en sécurité, c’est bien l’Etat d’Israël, qui tend à se transformer en en ghetto séparé des Arabes par la « Muraille d’Acier ». Tragique ironie de l’histoire.
Singulier ? C’est une colonie juive découpée par le Foreign Office dans la Palestine ottomane à la faveur de l’effondrement de la Sublime Porte. La décolonisation viendra….
Il y a des situations similaires dans l’histoire contemporaine, à commencer par L’Afrique du Sud et la Rhodésie et en cherchant bien on va en trouver d’autres… comme le neuf-trois peut-être.
Rassurez-vous, je ne vous demande aucun secours 🙂
Néanmoins lafautearousseau a mentionné le point de vue non-négligeable de George Steiner qui est aussi celui d’un bon nombre de Juifs religieux.
Un grand merci à LFAR de la part de quelqu’un qui ne lit pas ce journal du soir.
La question de la démographie est une obsession en Israel. Nous n’en avons pas idée en France par des media couchés dans le lit du Crif, il faut donc lire la presse anglo-saxone ou américaine pour se faire une opinion de cette préoccupation lancinante. La raison est très simple, un taux de fécondité comparable à celui des pays occidentaux développés, face à une prolifération de la masse arabo musulmane. Le patron de l’agence juive d’immigration, le russe Nathan Sharansky écrit souvent dans la presse britannique pour faire part de son inquiétude.
Exactement trois années nous séparent du centenaire de la déclaration Balfour (Novembre 1917), texte lénifiant dans son ambiguité, même si les populations arabes de la région sentirent immédiatement le danger.
Comme le dit très bien Luc, il s’agit d’un montage singulier dans tous les sens du terme. En 1917 les Britanniques n’anticipaient pas une seconde, la décolonisation, et que 40 ans plus tard ils ne règneraient plus sur « un empire sur lequel le soleil ne se couchait jamais ».
Le fait nouveau est que selon ces articles de presse, le sujet est apparemment abordé plus librement. Il faut y ajouter que les administrations américaines ne sont plus enthousiastes de donner chaque année entre 3 et 4 milliards de USD dans un contexte où l’Iran est de nouveau promis à un rôle de gendarme du Golfe, où la propagande de quelques excités Netanyahu à leur tête sur l’arme nucléaire iranienne tombe désormais à plat, et où l’économie des hydrocarbures de roche mère bouleverse le marché mondial du gaz et du pétrole (paramètre qui est semble-t-il inconnu dans les Deux Sèvres …).
Malgré cette situation instable où la seule certitude est l’inconnu (ce qu’aurait dit le sapeur Camenber), les fanatiques juifs continuent leurs implantations. Ces comportements ne sont évidemment pas soutenus par la diaspora qui y voient tous les ingrédients de la colonisation la plus abjecte. En 2008 pour les 60 ans de la création de l’Etat d’Israel, la communauté de Grande Bretagne s’est désolidarisée de cet anniversaire, jugé une provocation.
La déclaration Balfour n’a jamais créé un état juif. Il ne s’agissait que d’un foyer sans idée d’indépendance. Les travaux de beaucoup d’historiens israéliens ne sont pas dans les lectures des ultras du Crif …
Un exemple parmi d’autres :
http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/israel-poursuit-la-scandaleuse-157493
Si la critique de Georges Steiner l’égard de l’état d’Israël est assez modéré, le jugement sur le fond est sans appel. La constitution de l’Etat d’Israël en un sanctuaire, loin de protéger le peuple juif contre quelque progrom à venir, en neutralise la vocation et en banalise le destin.
Plus que l’intégration ou l’assimilation, le sionisme menace l’existence du peuple juif parce qu’il le territorialise, quand l’être juif consiste précisément dans l’extratérritorialité qui fait son histoire depuis deux mille ans. Enraciné le peuple juif perd le génie du judaïsme dispersé.
Avis partagé avec @Lagherta. L’historien israélien de Tel Aviv Shlomo SAND a écrit «Comment le peuple juif fut inventé», hélas beaucoup de passages ésotériques, difficiles à lire. Mais avec du courage, on découvre un texte accablant. Il fut évidemment violemment attaqué … Joie de l’Université.
Si « la critique de Georges Steiner à l’égard de l’état d’Israël est assez modérée » (sur la base de quoi dites-vous cela ?), la vôtre l’est aussi, chère Lagherta, car il dit la même chose que vous. Je viens d’achever la lecture de son dernier livre (Un long samedi, chez Flammarion) et, sur ce point, il n’y a, pour moi, aucun doute.
Peut-être me suis-je mal exprimé, je voulais simplement dire que sa critique de l’Etat d’Israël est modérée dans la forme mais impitoyable sur le fond. Sur ce point, je vous conseille de lire « Errata » Gallimard 1998.
Nous sommes bien d’accord. Malheureusement, j’avvoue que je n’ai pas lu Errata. Mais son « anti-sionisme » est très net dans Un long samedi. Sa position sur ce point est très différente de celle de Finkielkraut.