Je suis venu passer quarante-huit heures en Normandie. La population est d’un calme magnifique et accepte la guerre et les sacrifices en hommes avec une vaillance d’autant plus digne d’être admirée que la région a beaucoup souffert et que nombreux sont les morts, les blessés et les prisonniers. Cependant Perrette travaille et, avec ses vaches, son beurre et ses oeufs, reconstitue de la richesse. Il est bon de voir cette France rurale à l’oeuvre, tandis que les hommes se battent, pour comprendre comment notre pays a pu soutenir des efforts peut-être encore plus rudes que celui-ci.
Le juge de paix m’apprend qu’il est chargé par le parquet de Saint-Lô d’une enquête sur les biens que la société Maggi pourrait posséder dans le canton. Maggi a en effet acheté dans ces derniers temps un terrain tout près du chemin de fer : c’est la confirmation éclatante de la campagne de Léon Daudet, le triomphe de son Avant-Guerre.
– Et quand on pense que M. Millerand a été l’avocat de la société Maggi contre L’Action française ! s’écrie mon juge de paix, consterné…
Evidemment il y aura des explications assez embarrassantes à fournir pour un certain nombre de personnes. Ainsi Marcel Sembat (cet ironiste et qui aime les plaisanteries même amères) vient, en sa qualité de ministre des Travaux publics, d’ordonner la mise sous séquestre des mines de Diélette*, propriété du conseiller de Guillaume II, Thyssen, solennellement inaugurées par son collègue dans le ministère actuel, Fernand David*. Diélette, Thyssen et Fernand David font également les frais d’un chapitre de L’Avant-Guerre.
Même aventure pour les mines de fer de Caen… Faut-il que nous ayons raison pour avoir à ce point raison ? u
* Les mines de fer de Diélette, dans le Cotentin, aujourd’hui site de la centrale nucléaire de Flamanville.
** Fernand David, ministre successivement des Travaux publics, du Commerce et de l’Agriculture entre 1913 et 1914.
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