Arthème Fayard* raconte cette « chose vue » :
« A Nevers, un convoi de prisonniers allemands descend du train. Il y a là un officier, jeune et arrogant. Il refuse d’entrer dans le rang avec ses hommes et exige d’être conduit à la citadelle en voiture. Le chef du détachement français qui conduit les prisonniers est un sergent de la territoriale, un Parisien avec le bagout et l’accent faubouriens. Il s’approche de l’officier et lui parle ainsi :
– Allons, mon vieux. Fais-toi une raison. Nous sommes en république ici. On est tous égaux. Faut marcher avec tes hommes, Allons, un bon mouvement…
Silence dédaigneux du Prussien. L’autre reprend :
– Oh ! Tu m’fais d’la peine. A quoi ça sert tout ça. Dieu de Dieu ! Puisque t’es prisonnier, puisque t’es vaincu, puisque t’a pas d’armes, à quoi bon de la résistance. Faudra qu’tu marches, mon vieux. Marche tout de suite de bonne volonté. Autrement il faudra en venir aux extrémités. A quoi ça sert ?
L’officier allemand ne bouge pas plus que s’il était de marbre. Le monologue du sergent continue :
– Allons, je vois que tu ne veux rien entendre. (Faisant le geste d’atteindre sa baïonnette, avec une immense lassitude et un accent de faubourg de plus en plus prononcé) Alors, quoi ? Les grands moyens du sang, de la tragédie, des chichis… »
Devant la menace de la baïonnette, le Prussien cède, sans avoir rien saisi du haut goût de cette scène qui avait réuni cinq cents spectateurs, parmi lesquels des officiers français qui mouraient de rire. u
* Arthème Fayard (1866-1936), ami et éditeur de Jacques Bainville à partir de La Guerre et l’Italie (1916). Bainville créera chez Fayard avec son Histoire de France (1924) la collection des Grandes Oeuvres historiques.
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