Le nouveau pontificat, commencé presque obscurément au milieu du plus grand grand tumulte européen, commence à se révéler. Benoît XV est un aristocrate et un diplomate, et ses premiers actes, dans la situation difficile que la guerre crée au chef de l’Eglise, ont été, à tous les points de vue irréprochables. C’est ainsi qu’il a facilité au gouvernement de la République la réparation de la lourde faute commise en 1904 , faute qui a fait rire la diplomatie du monde entier aux dépens de ces « hommes d’état » de la démocratie qui se croyaient très malins – comme des francs-maçons de village restant à la porte de l’église pendant un enterrement*. La guerre, le nouveau pontificat donnaient l’occasion de renouer avec le Saint-Siège des relations diplomatiques dont, chose curieuse, Joseph Caillaux s’est toujours vanté d’être partisan. Benoît XV, avec beaucoup de largeur d’esprit, a fait les premiers pas sous la forme la plus digne et la plus correcte : il a été notifié son élection au gouvernement de la République. Or, de la source la plus sûre, on me raconte ceci :
Poincaré, en recevant la notification du Pape, fut très embarrassé. La solution à laquelle il s’arrêta fut la suivante. Jules Cambon**, notre ancien ambassadeur à Berlin, devant partir pour une mission officieuse en Italie, fut chargé de remettre au Vatican la réponse du président de la République. Cette réponse était très sèche, on peut même dire à peine polie. Mais Jules Cambon était chargé d’expliquer à Benoît XV que ce texte, soumis au Conseil des ministres, n’était ainsi conçu que pour des raisons politiques et que les félicitations et les remerciements du Président et du gouvernement français devaient y être joints.
A ce propos, la question italienne devient de plus en plus délicate, et nous en manquons pas de maîtres gaffeurs pour embrouiller les choses. Depuis le commencement de la semaine, le récit d’un incident qui s’est produit à Turin fait le tour de la presse d’outre-monts. Une conférence du professeur Richet s’est terminée, sur un mot maladroit de l’orateur, par des protestations et même des cris de « A bas la France ! » On devrait bien envoyer pour ce genre de missions des personnages plus adroits..
Capus raconte ce mot que lui a dit un vieux parent qu’il a été voir cet été aux environs de Bordeaux : « Eh bien ! Vous en aurez une, de guerre, là-haut ! » Ce « là-haut », c’est toute la tranquillité du Midi, abrité contre l’invasion. Cependant le 18ème Corps, celui de Bordeaux précisément, s’est battu d’une façon admirable et a été mis tout entier à l’ordre du jours de l’armée. ♦
* En mars 1904, le président de la République Emile Loubet s’était rendu à Rome pour une visite au roi d’Italie en ignorant le Saint-Siège.
** Jules Cambon (1845-1935), ambassadeur à Berlin de 1907 à 1914, premier secrétaire général du Quai d’Orsay d’octobre 1915 à 1920.
Je ne sais qui, au sein de la rédaction, a eu l’idée de publier les billets quotidiens centenaires de Jacques Bainville, mais c’est vraiment… génial.
On suit la guerre jour par jour, certes, mais on ne perçoit pas de décalage avec les temps actuels. C’est la marque d’une grande plume.
Merci à La Faute à Rousseau, je n’en manque aucun.
Vous avez exactement défini quelle était notre intention en publiant ce « journal inédit de l’année 14 » de Jacques Bainville. Ce sera,pour ainsi dire, car tout le mérite en revient au génie de Bainville, la contribution de lafautearousseau aux nombreuses publications et manifestations de ce centenaire. Tant mieux si, de cette façon, nous avons eu, nous aussi, notre utilité.