Du 8 au 11 novembre nous venons d’être les témoins éloignés d’une réunion de 21 pays à Beijing, qui représentent 60 % de la richesse mondiale, environ 3 milliards d’êtres humains à la surface du globe et la moitié du commerce mondial, répartis des deux côtés du Pacifique : le sommet de l’APEC, Asia Pacific Economic Cooperation, le second qui se tenait en Chine, après Shanghai il y a 13 ans
La France n’eut pas d’observateurs, pas plus d’ailleurs que cet invertébré que certains appellent l’Europe.
Par la densité des échanges et l’importance des décisions prises, cette réunion annuelle aurait dû retenir toute notre attention. Au lieu de quoi la couverture médiatique de l’évènement fut des plus succinctes et pusillanime.
En 2001 la Chine était considérée comme un pays pauvre. Sept ans plus tard les jeux olympiques de 2008 furent une première démonstration de puissance. Treize ans après Shanghai qu’avons-nous vu ? Une fantastique progression. Un axe Pékin – Moscou qui prend forme, des accords historiques entre la Russie et la Chine, une Chine qui s’impose en futur maître du monde. L’alliance entre la Russie et la Chine apparaît non plus comme un épiphénomène temporaire dicté par les récentes circonstances géopolitiques mais comme une orientation stratégique profonde qui devrait façonner de manière durable le 21ème siècle.
Moscou redessine avec Pékin la carte des grandes alliances mondiales. Au-delà des grands accords dans l’énergie qui structurent leur nouvelle coopération, la Russie et la Chine prennent ensemble du recul par rapport à l’Occident sur fond de crise ukrainienne. L’union eurasiatique de Vladimir Poutine commence à prendre forme.
Il est peu probable que la Chine puisse se substituer totalement à l’Europe pour la Russie qui reste malgré tout une puissance européenne tant culturelle qu’économique, mais il est évident que, à valeur économique égale, le Kremlin favorisera dorénavant les projets de coopération avec la Chine et l’Asie au détriment de l’Europe. Le projet de TGV Moscou-Pékin ou la décision de la banque VTB de faire migrer sa cotation boursière de Londres à Hong-Kong, sans même parler de l’accord sur un deuxième gazoduc qui passerait par le Xinjiang, n’en sont que les signes avant-coureurs.
« La Russie et la Chine doivent résister aux pressions de Washington et rester unies dans l’intérêt du monde entier. » Le leader chinois Xi Jinping ne pouvait pas être plus clair lorsqu’il s’est adressé au président russe Vladimir Poutine. Pour sa part, le dirigeant russe, a déclaré que « l’alliance du futur » réside dans le partenariat Yuan-rouble. C’est-à-dire dans l’abandon par deux des principales puissances économiques mondiales du dollar pour les échanges dans le domaine de l’énergie (puisque Moscou et Pékin ont signé une alliance aux proportions gigantesque dans ce domaine, 400 milliards équivalent $ sur 30 ans), mais également dans le secteur du marché de l’armement. Le sommet de l’APEC ces 10 et 11 novembre a marqué un changement majeur dans les équilibres internationaux.
Tous les observateurs ont conclu qu’un coup d’arrêt brutal vient d’être marqué contre les États-Unis.
La principale raison est que l’APEC a choisi de suivre la Chine sur le chemin, encore timide et expérimental, d’un traité commercial centré sur l’Asie, qui offre une alternative et se pose en concurrent direct du traité TPP proposé par Washington à certains pays de la zone (une douzaine) et qui excluait précisément la Russie et la Chine. Les 21 Etats membres ont réaffirmé leur engagement en faveur du projet de libre-échange promu par Pékin. Le tout en actant le lancement, à l’APEC, d’une étude de faisabilité concernant une vaste zone de libre-échange impulsée par la Chine.
Sans parler du fait que la plupart des accords signés entre Xi Jinping et Obama – dans le secteur commercial, militaire, antiterroriste, de la Santé, et des infrastructures – sont plus avantageux pour la Chine et pour sa projection au plan international que pour les États-Unis. La relation entre la Chine et les Etats-Unis a connu plusieurs développements positifs en marge de l’Apec. Outre un accord pour faciliter grandement l’entrée des Chinois sur le territoire américain, les deux pays se sont entendus pour une levée des droits de douane sur une vaste gamme de produits dans les technologies de l’information, des consoles de jeu aux systèmes GPS. Il s’agit d’un pas important pour tous les intervenants du secteur, car l’Organisation mondiale du commerce avait dû bloquer un projet de libéralisation des échanges dans ces domaines, en raison des différends entre Pékin et Washington. En débloquant ce dossier, les deux premières puissances mondiales ouvrent la voie à une vaste négociation qui pourrait réduire à zéro plus de 200 droits de douane, selon la Maison-Blanche. Une volonté nette, donc, de s’afficher unis sur un dossier qui concerne le monde entier.
Devant un parterre de plusieurs centaines de chefs d’entreprise, le leader chinois a exalté le rôle de la Chine dans l’économie mondiale, faisant remarquer que les investissements chinois prévus pour les 10 prochaines années s’élèveront à 1.250 milliards de dollars. Deux exemples: accorder au Canada plus de 8 milliards de dollars de quotas d’investissements en yuans en Chine, après s’être engagé à investir 42 milliards de dollars chez le grand allié pakistanais. Elle a décidé d’ouvrir ses banques et ses fonds de pension aux investisseurs internationaux.
Le leader chinois a annoncé que Pékin investira pas moins de 40 milliards de dollars dans le fonds visant à développer des infrastructures dédiées à la Silk Road Economic Belt, une réédition de la « Route de la Soie » basée sur un projet d’infrastructures multimodales qui reliera le géant asiatique à l’Europe à travers une route terrestre (qui se calque sur l’ancienne Route de la Soie) et une autre maritime.
Une stratégie qui vise clairement à réduire la dépendance de ces régions vis-à-vis de l’hégémonie américaine le long des voies de communication maritimes et qui pourrait pousser Pékin à maintenir un rôle actif en termes de politique étrangère, en particulier en recherchant une plus grande stabilité en Asie centrale et au Moyen-Orient, entrant ainsi en collision frontale avec les plans américains de déstabilisation et les intérêts économiques de l’Union européenne.
C’est une véritable refonte des équilibres et des rapports de force au plan international à l’avantage évident de la Chine, en passant par-dessus les narrations occidentales bâties sur des questions qui, sur le plan des relations entre grandes puissances, nous semblent véritablement de peu d’importance.
Que déduire de tout ceci ? C’est assez simple : Poutine lance un signal aux Européens. Si l’Europe maintient son allégeance aux États-Unis, et continue à vouloir avoir le contrôle des gazoducs d’Ukraine, alors la Russie vendra son gaz ailleurs. Un autre point important, est que dans le cadre de ces accords, il y a une vraie nouveauté, explicite et exposée publiquement : l’échange pétrolier-gazier, et tous les investissements chinois en Russie, et les rapports bancaires se feront sur la base d’échanges en roubles-yuans. Un nouvel avertissement très clair aux États-Unis d’Amérique, et aux marchés occidentaux.
Il resterait à compléter le papier de Champsaur du 28 Mai 2013 dans Lafautearousseau sur le complexe militaro-industriel chinois (il faut y inclure l’aviation civile), qui continue à avancer à grands pas. Sujet assez vaste qui demande un exposé spécifique.
La situation internationale se fait de plus en plus difficile et inquiétante, car ces changements, qui se font en partie sous la contrainte, amèneront des bouleversements dont on mesure mal la nature, à brève échéance, mais qui auront un impact stratégique majeur à plus long terme, pour tous les grands protagonistes mondiaux. ♦
Et pour faire bonne mesure la réunion du G 20, assemblée régulièrement inutile. Cette fois ci transformée en tribunal anti Poutine sous la conduite de «Yes your Honor». Vladimir a traité ce réquisitoire comme il convenait. Le meilleur compte rendu qu’il est donné de lire en France est le papier de Sapir (lien : Koalas, diplomatie et misère de l’anti-poutinisme
http://russeurope.hypotheses.org/3030 ).
Tout y est. Il fut un temps où la France avait les attributs de l’État, les cinq pouvoirs régaliens, le premier couple étant Diplomatie – Défense. Ne reste qu’un champ de ruines. Un G 20 pour relayer les inepties du Giec ? Les observateurs les plus lucides ont vu que ce dossier objet d’une intoxication mondiale, est pris comme une opportunité économique par les pragmatiques (Chine).
Bravo et merci pour cet instructif et remarquable exposé. Voilà un de ces textes qui « font » la qualité de ce Blog…
Bien d’accord avec academos et, bien-sûr, avec Jean-Louis FAURE.