Toujours à propos de la mission anglaise auprès du Vatican, je reçois cette information intéressante :
« L’envoi par le gouvernement anglais d’un ambassadeur extraordinaire près le Saint-Siège est très certainement l’indication du désir de l’Angleterre que le Pape s’entremette près du gouvernement autrichien pour qu’il se sépare de l’Allemagne et fasse avec les alliés une paix séparée et immédiate. (En Autriche, les partisans de la guerre et de l’alliance allemande sont l’empereur, M. Tisza et la famille impériale, à l’exception de l’archiduc héritier; toute l’aristocratie est hostile à la politique du souverain et n’a pas souscrit le dernier emprunt pour manifester son hostilité).
Mais, au cas où le but indiqué plus haut ne serait pas atteint, l’envoi d’un ambassadeur peut viser un autre but, celui d’exercer une pression indirecte sur le gouvernement italien pour le décider à sortir de la neutralité, en lui faisant comprendre que l’Italie a d’autant plus intérêt à intervenir, pour faire partie du congrès qui refera après la guerre la carte de l’Europe, que la papauté pourrait, elle, y être admise : l’Angleterre et la Russie (la France officielle ne compte pas) désirent refaire l’Allemagne en s’appuyant sur les différences religieuses, et elles ont besoin pour cela de l’influence du Saint-Siège sur les Allemands catholiques, sur les princes catholiques et sur les Habsbourgs.
D’autre part, on me dit qu’en ce moment le gouvernement anglais envoie chaque jour dix mille soldats anglais sur le continent, et que cet envoi régulier et quotidien va se poursuivre pendant plusieurs mois.
Les dispositions de François-Joseph ont pu changer : je sais de bonne source qu’au mois de juillet il a énergiquement résisté à Tisza et aux partisans de la manière forte. Dans un conseil tenu à la Hofburg, le vieil empereur se serait même écrié, en tapant du poing sur la table : « Avez-vous vu la guerre, vous ? Moi, j’en ai vu plusieurs, je ne veux plus recommencer. »
Le bruit de son abdication a couru ces jours-ci : son successeur, le jeune archiduc héritier, dont la femme, princesse de Bourbon-Parme, a une éducation et des sentiments français bien connus, serait l’homme de cette « paix séparée » qu’il n’est aucunement déraisonnable d’espérer. Les X…, qui ont de fortes attaches de famille en Hongrie, ont dû, au moment de la guerre, laisser une de leurs fille à Budapest, chez le comte Tisza lui-même. On ne sait, dans la société hongroise, quels égards lui témoigner, quelles preuves lui donner du regret qu’on a d’être en guerre avec la France. Les officiers russes prisonniers ne sont pas davantage traités en ennemis. Dans une des dernières lettres reçues à Paris par les X…, leur fille fait comprendre que Tisza recherche les moyens de conclure la paix et d’abandonner l’Allemagne avant que l’Italie et la Roumanie se soient décidées à intervenir.
Le discours que M. Salandra* vient de prononcer à Montecitorio indiquant l’intention du gouvernement italien de persister encore dans l’expectative, l’Italie – et la Roumanie, qui la suit pas à pas, se trouvent donc en danger de s’asseoir entre deux selles. C’est le sens de l’article intitulé « Cinq minutes trop tard » que le Secolo, très anti-autrichien et irrédentiste, vient de publier. •
* Antonio Salandra (1853-1921), premier président du Conseil à droite, après les premières élections au suffrage universel en 1913.
Pierre Builly sur Mathieu Bock-Côté : « Devant le…
“Le « traité de Versailles, écrasant le vaincu », dites-vous ? Comment ça ? Il aurait fallu démembrer…”