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Isabelle Eberhardt vue par Malke (2010) . © Copyright : DR
Cette chronique est consacrée à une périlleuse tentative d’explication du djihadisme de fils de Gaulois ordinaires partis se battre pour le prétendu Califat de Mossoul.
Pas question de chercher à excuser les jeunes Français de souche combattant au service du soi-disant calife sunnite Aboubeker. Cependant un tel phénomène mettant en jeu foi et politique, courage et inconscience mérite au moins une tentative d’explication. Voici la mienne : est prioritairement responsable de cette situation qui sidère l’Occident, la déchristianisation à grande échelle du Vieux Continent (les exceptions polonaise et irlandaise ne font que confirmer la règle), applaudie, encouragée, nourrie, depuis Mai-68, au nom d’une fallacieuse « modernité » par politiciens, intellos, et tout le saint-frusquin (1).
Cet effacement rapide de la foi et de la pratique catholiques s’est, en outre, accompagné en France d’un laïcisme outrancier, frisant l’athéisme d’Etat (attitudes publiquement anti-chrétiennes de Chirac, Jospin, Hollande, etc.) et débouchant en tout cas sur un univers sans rites ni signes religieux, un monde où ne sont plus adorés que la vulgaire déesse Consommation et le glacial dieu Fric, bref le Veau d’or – mais contrairement à celui de la Bible, il est en toc, en plastique… Et il règne sur un monde où l’estomac est plein tandis que l’âme a froid…
En même temps, dans cette société sans Dieu, un féminisme débridé, dévoyé, d’inspiration nord-américaine, s’est répandu avec le soutien enthousiaste d’une bonne partie des figures culturelles et politiques en vue ; une guéguerre incessante est menée de Bruxelles à Barcelone, de Glasgow à Bordeaux, par des élus, associations, cinéastes, journaux, etc. contre les hommes qui refusent de « reconnaître leur part de féminité » ; une guérilla de médias et salons est menée contre la virilité, volontairement et vicieusement confondue avec le machisme.
Un jury paneuropéen a choisi, pour représenter la chanson de tout un continent, un monstrueux travesti avec vraie barbe et faux cils, une « chimère », selon notre confrère Slimane Zéghidour, que même le secrétaire général de l’ONU a cru bon de promotionner… A Paris, au Palais-Bourbon, une élue socialiste a obtenu de ses pairs qu’un député de droite soit frappé d’une forte amende pour l’avoir appelée « Madame le président » (d’une commission) au lieu de « la présidente », ce qui d’ailleurs aurait été contraire aux instructions de l’Académie française, traitée elle, du coup, de « ramassis de vieux mâles »…
Dans cette société déchristianisée, livrée à la violence d’un mercantilisme exacerbé, des citoyens français de souche, moqués ou brimés dans leur masculinité, endurent en silence. Chez des jeunes gens, traités de « machos » à chaque manifestation naturelle de leur virilité dans les stades, les collèges ou les ateliers, s’en est ensuivi un vide, une souffrance qui ne sont pas passés inaperçus chez d’actifs propagandistes d’un Islam fier de lui, honorant Allah et donnant le pas aux hommes sur les femmes. D’où des conversions de Gaulois de plus en plus nombreuses ; d’où le départ de centaines d’entre eux vers Mossoul, Alep ou Raqqa.
C’est un peu le retour du syndrome d’Isabelle Eberhardt (1877-1904), cette toute jeune journaliste russe arabophone que Lyautey remarqua et admira sur les confins algéro-marocains où la « bonne nomade », islamisée dés l’âge de 20 ans, vint se mettre « dans l’ombre chaude de l’Islam » (selon le titre d’un de ses plus fameux récits). Elle retrouva dans les zaouïas, notamment chez la maraboute Lalla Zineb, et avec son époux, le spahi algérien Soliman Ehni, l’atmosphère chaleureuse, familiale et spirituelle qu’elle n’avait pas eue dans sa famille, décomposée et recomposée avant la lettre.
Les djihadistes gaulois, en déshérence psychologique, se sont sentis d’emblée à l’aise, eux aussi, dans un Islam où « les hommes sont des hommes et les femmes des femmes », où le service d’Allah se présente comme un idéal de vie supérieur, libéré des avilissements consuméristes – mais hélas ! conduisant aussi à des crimes abominables…
Le pape Benoit XVI avait pressenti cette redoutable évolution, d’où ses prêches en faveur d’une « nouvelle évangélisation » en Europe qui fut comprise, tant par les ultra-laïcistes européens que par nombre de musulmans, y compris au Maroc, comme un appel à une « nouvelle croisade »… Le pape François, que le chef du gouvernement marocain, l’islamiste Abdellilah Benkirane, est allé congratuler à Rome, a préféré, lui, mettre l’accent sur la restauration de ces « valeurs familiales » qui ont sans doute aussi beaucoup manqué à nos néo-djihadistes gaulois… Quant aux djihadistes nés musulmans, c’est une affaire islamo-islamique et je me garderai bien de m’en mêler. •
(1) Vieille expression populaire française signifiant « et tout le reste »• Isabelle Eberhardt « Dans l’ombre chaude de l’Islam » (1921) ; réédité en 2004.• François Pouillon, « Dictionnaire des orientalistes de langue française », IISMM-Karthala, Paris, 2008.
On complétera utilement le billet de Péroncel-Hugoz de l’article de Marine Messina publié le 19 novembre dans Le Monde, intitulé : « Qui sont les Français sur la piste du Djihad ? »:
http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2014/11/19/qui-sont-les-francais-sur-la-piste-du-djihad_4524774_4355770.html
…ainsi que du billet laissé par le psychiatre Jean-Luc Vannier à Causeur le 25 novembre, titré « Dans la tête d’un djihadiste », où il explique la translation du « moi » : http://www.causeur.fr/dans-la-tete-dun-djihadiste-30339.html
On y verra que la ressource n’est pas monolithique et l’histoire des cinq mille danoises est édifiante.
Pour le reste, il semblerait que l’architecture en ratière, mise en place par les compagnies d’instruction de Da’ech qui tue les déserteurs, voire même les simples suspects de refroidissement, affaiblisse rapidement l’enthousiasme de la croisade parmi les légions islamistes de France, parce qu’entre donner deux ans de son temps à servir la Cause et carrément sa vie à coup sûr, il y a un pas que le cerveau humain a du mal à franchir.
Tout ceci pour suggérer que la chose mérite plusieurs analyses, il n’y a pas qu’une seule vérité dans cet engouement. A suivre.
Péroncel-Hugoz est un vieil arabisant et résidant ancien de plusieurs zones arabo-musulmanes. Vrai orientaliste. C’est important de le souligner.
Car le monde musulman est d’une extrême complexité, que les raccourcis de vocabulaire pour les JT ne peuvent pas rendre. Venons en au djihad. Nous avons dû subir la marque de fabrique Al-Qaida d’invention britannique amplifiée par les moyens de propagande américains, sans qu’il y ait la moindre signification sur le terrain. Quand ils sont en forme les phraseurs des media nous infligent un Al-Qaida au Maghreb islamique …
Maintenant nous sommes «soumis» au djihad. Je m’en remets à mon merveilleux dictionnaire de l’Islam chez Encyclopedia Universalis où je lis à l’article djihad : « … posture fondamentale de l’islam, selon un grand orientaliste français, thomiste, vie consacrée à l’étude de l’islam, aujourd’hui disparu, Louis Gardet. Effort sur le chemin de Dieu. Le djihad n’est pas une guerre sainte d’exécration et d’extermination. Son but est de propager et de défendre l’islam. L’islam est un universalisme, un devoir pour la communauté musulmane … Un appel doit être adressé aux états qui ignorent l’islam ou le repoussent. S’ils refusent d’entendre cet appel il faut alors l’imposer par les armes … les peuples vaincus ont la possibilité de se soumettre (dimmitude) … l’obligation du djihad est une obligation religieuse qui ne cesse jamais… ». L’article est beaucoup plus long, et doit être rapproché des cinq piliers de l’islam.
L’excellent papier de Peroncel-Hugoz nous déroule le délire auquel nous sommes confrontés et sa classification en «déshérence psychologique». Mais il me semble trop réducteur de ne voir une traduction de la conversion qu’au travers des voyages vers les zones de conflits violents, réservés à des marginaux décérébrés. L’implantation en France de cette liturgie totalitaire est désormais une permanence sous l’œil bienveillant d’une classe politique abrutie, et sans que les conquérants n’aient besoin de menacer du cimeterre. Pour l’instant …