Je reviens de M…, à quelques kilomètres du front, entre Reims et Epernay.C’est la bataille vue par l’arrière, par le service de santé. On n’y connaît que les résidus de la guerre, c’est-à-dire la souffrance, la maladie, tout ce qui est si puissamment senti dans les chapitres de La Guerre et la Paix où Tolstoï mène son lecteur à l’ambulance.
G…, surmené par quatre mois de campagne, a dû prendre quelques jours de repos, sans vouloir se faire évacuer : parmi ceux qui ne sont pas tombés, il reste le dernier officier qui reste sur pied de sa batterie très éprouvée. Il me dit combien la retraite depuis la Belgique jusqu’au-delà de la Marne a été pénible, le désarroi menaçant à toute heure, la confusion se faisant presque chaque nuit et donnant l’idée de la déroute, les chefs rongeant leur frein, les nerfs ébranlés par ce recul continuel dont on ne voyait pas la fin. « Comment tout le monde sans exception s’est ressaisi le jour où l’offensive a été reprise, c’est peut-être, me dit G…, ce qu’il y a eu de plus beau jusqu’ici dans toute la guerre. » Et il me dit aussi qu’il a éprouvé les responsabilités du commandement, en voyant, aux heures de danger, les yeux de ses hommes fixés sur lui, attentifs à tous ses gestes, à tous ses ordres, par une intuition profonde que c’est du chef que dépend le salut commun et remettant tourtes leurs volontés entre ses mains. Un simple capitaine comprend alors la force de ce vers de Corneille, qu’Auguste Comte avait rangé parmi les préceptes de sa sociologie : « On va d’un pas plus ferme à suivre qu’à conduire… »
C’est aussi le mot de Tacite : « Les chefs combattent pour la victoire et les soldats combattent pour les chefs. »
On sait, parmi les combattants, des choses qui sont encore ignorées à Paris. Par exemple, on s’expliquait mal qu’après la victoire de la Marne, les Allemands n’eussent pas reculé de plus de quatre à cinq kilomètres de Reims. Cela est dû à une faute du général Gallet (privé d’emploi pour ce fait), qui a remis au lendemain la poursuite de l’ennemi et, pendant ces vingt-quatre heures perdues, permis aux Allemands, toujours admirablement renseignés, de réoccuper le fort de Brimont. C’est de là qu’en ce moment encore ils bombardent Reims à leur gré.
Le village a peu souffert du passage des Allemands. Ils ont seulement détruit, après leur retraite, des ponts que les territoriaux rétablissent. Sur le canal, des péniches portant l’emblème de la Croix-Rouge, passent avec lenteur. Des blessés arrivent à l’ambulance, couverts de boue, les pommettes fiévreuses. Leur équipement est tout de suite désinfecté et l’odeur du phénol se répand sur leur passage. En haut, un homme vient de mourir : une broncho-pneumonie, contre laquelle le docteur a lutté vainement. Un autre malade délire et il a fallu l’attacher. Lorsque le soir tombe sur les ambulances, quelle angoisse s’appesantit sur les pauvres lits, les misérables grabats du service sanitaire ! Le dévouement – il y a là un jeune médecin gai, vaillant, qui donne courage à tous – peut-il suppléer à tout ce qu’ont fait l’imprévoyance, cette légèreté, cette ignorance démocratique que paient en ce moment les malheureux d’aujourd’hui, souverains électeurs d’hier…
L’horreur de ces lieux, on ne la secoue qu’avec peine. Elle oppresse encore, sur ces routes boueuses de Champagne, où des territoriaux hirsutes montent d’interminables gardes, où l’on retrouve, maisons éventrées, arbres arrachés, les traces de l’invasion, dont la plus sinistre est peut-être encore ce vol épais de corbeaux, des corbeaux d’une taille et d’une force incroyables, qui tournoient au-dessus des champs. •
Cincinnatus sur Une initiative papale qui, curieusement, arrive…
“Nous ne sommes pas capables en France d’une révolution de velours, nous sommes incapables de faire…”