Crédits photo : Xavier TESTELIN/CIT’images
Ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure, agrégé de philosophie, Gaspard Koenig est Président du think-tank GenerationLibre.
Ségolène Royal a vu l’absurdité de ce décret. Il faut dire qu’il battait des records. Le soir du réveillon, au douzième coup de minuit, les habitants de l’Ile-de-France devaient éteindre précipitamment leur feu de cheminée et dissimuler les cendres, au risque de voir la police envahir les lieux. Conformément à l’arrêté préfectoral n°2013 084 0002, faisant suite à une obscure décision de la non moins obscure DRIEE-IF (direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie d’Ile-de-France, bien sûr), la combustion du bois en foyer ouvert devait être interdite à l’intérieur d’une « zone sensible » regroupant près de neuf Franciliens sur dix.
Les experts ont toujours d’excellentes raisons. Il s’agissait, en l’occurrence, de lutter contre l’émission de particules fines pour améliorer la qualité de l’air à Paris et aux alentours.
Je laisse à d’autres le débat para ou pseudo scientifique autour de cette question, pour l’aborder d’un point de vue strictement politique. La multiplication de ce type de mesures intrusives et inappliquables ne peut que nourrir un dangereux mépris pour les lois et l’autorité. Bien entendu, on aurait continué à faire du feu. La police a sans doute mieux à faire que de traquer les cheminées qui fument, et l’on ne peut exclure que les forces de l’ordre aient conservé un certain sens du ridicule, qui les empêchera de confisquer les bûches des grand-mères.
La pollution de l’air n’est pas un faux problème. Mais, là comme ailleurs, le rôle du politique devrait être de trouver l’équilibre entre les risques assumés par la collectivité, et la protection des libertés individuelles. On n’interdit pas aux gens de prendre leur voiture, me semble-t-il !
L’interdiction des feux de cheminée témoigne, en ce sens, d’une profonde méconnaissance de nos origines communes, et d’une insensibilité technocratique à la matière. Le feu n’est pas un confort, un amusement ou un supplément d’âme dont on pourrait se passer sans dommage. Comme l’a montré Gaston Bachelard dans sa Psychanalyse du Feu, « la contemplation du feu nous ramène aux origines mêmes de la pensée philosophique », là où la rêverie se mue en pensée, où l’inconscient accouche de concepts. Le feu, explique le célèbre philosophe des sciences, permet ainsi de « dégager les dialectiques alertes qui donnent à la rêverie sa vraie liberté et sa vraie fonction de psychisme créateur ». C’est au coin du feu que naît, pour chacun d’entre nous, dans la fascination des flammes et l’eurythmie du crépitement, le goût de la métaphysique.
Et Bachelard de passer en revue les mythes fondateurs alimentés par le feu : Prométhée et la volonté d’intellectualité, Empédocle et la promesse de l’anéantissement, Novalis et l’euphorie du frottement, Hoffmann et l’étourdissement du fantastique… En épistémologue, en psychanalyste de la connaissance, Bachelard entreprend de séparer les faits et les valeurs, et de distinguer, derrière les images du feu, la vérité du savoir. Est-ce de cette source infinie de chaleur humaine, de philosophie et de posée, dont l’administration veut nous priver ? La lutte contre les particules fines, aussi louable soit-elle, mérite-t-elle de sacrifier les tréfonds de notre pensée ?
A moins que, plus fondamentalement, l’administration n’ait peur du feu. Bachelard l’a avertie: « Moins monotone et moins abstrait que l’eau qui coule, plus prompt même à croître et à changer que l’oiseau au nid, le feu suggère le désir de changer, de brusquer le temps, de porter toute la vie à son terme, à son au-delà ». Faire éteindre le feu, c’est vouloir étouffer notre vie, notre folie, notre humanité imprévisible et créatrice. C’est nous transformer en citoyens obéissants et sans âme.
Alors, contre les experts qui prétendent régler nos vies ; allumons nos flambées partout dans l’Ile-de-France ! •
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