Péroncel-Hugoz qui créa en 1982 et anima jusqu’en 1997 la rubrique Francophonie du « Monde », a éprouvé le besoin, avant le XVe Sommet francophone de Dakar, les 29 et 30 novembre, de donner – depuis le Maroc – un « coup de dent » à la France. Son analyse nous a paru pertinente – en même temps que très informée ! – et il nous paraît intéressant de la mettre en ligne aujourd’hui. Lafautearousseau •
Ça devrait, ça pourrait être un événement mais hélas ! Trois fois hélas ! Comme les précédentes conférences de ce type – sauf la première, tenue à Versailles en 1986, quand des espoirs étaient encore permis – , cette coûteuse réunion déplaçant des centaines de dirigeants politiques, journalistes, politiciens, jolies femmes, experts, observateurs, etc. ne verra, en principe, que des mondanités et des parlotes sans fin sur les droits de l’Homme, le terrorisme, les pandémies, la parité hommes-femmes et autres thèmes en vogue – au lieu de parler de la Francophonie proprement dite, de voir comment pourrait s’organiser cette force en jachère, représentant 500 millions de personnes dont la moitié de locuteurs quotidiens* de l’idiome de Senghor, Houellebecq, Nédali ou Céline Dion ; une force qui s’exprime aussi à travers 800 universités usant du français dans 100 pays.
Pourquoi cette inaction ? Elle n’a qu’un seul nom : France. Sans elle, matrice du français, aucun des 76 autres membres, même le Canada (où se trouve la seule implantation coloniale française pérenne : le Québec et ses six millions d’âmes perdues au milieu d’un océan anglo-américain…) n’est pas assez influent pour prendre la tête de la Francophonie et lui imprimer une direction.
Ancien révolutionnaire gauchiste en Amérique latine, venu sur le tard au gaullisme, le penseur Régis Debray (né en 1940 à Paris) n’a pas craint de parler franc ; le responsable c’est « le mépris abyssal de la plupart des intellectuels français pour la Francophonie, auquel fait écho l’indifférence polie de nos gouvernants » ( » A demain de Gaulle ! », Gallimard, Paris, 1990). Le ministre égyptien Boutros Boutros-Ghali (secrétaire général des Nations-Unies puis de l’Organisation internationale de la Francophonie) me confia en 1995, en marge du Sommet de Cotonou (Bénin) : » La Francophonie, si elle se fait, se fera contre la France ! » Eh bien, personne ne s’étant senti de taille à affronter Paris, qui tient quand même, par pure vanité, à son statut prééminent, les affaires de cette immense aire linguistique sont restées en déshérence. Couvrant les événements francophones durant trois lustres, je ne vis qu’un seul ministre français de la Francophonie, l’académicien et historien Alain Decaux, se battre comme un lion pour la place du français sur la planète. L’unique chef d’Etat français de la Ve République qui, après de Gaulle, s’intéressa à la Francophonie fut le président Mitterand – mais c’était surtout par goût de la bonne littérature. Le président sénégalais Senghor, un des inventeurs des concepts de négritude et de francophonie, me révéla qu’il n’abordait jamais la question francophone devant son pair Giscard d’Estaing, « pour ne pas l’ennuyer »… De ce président français anglomane et (bon) anglophone à son lointain successeur Nicolas Sarkozy, américanomane et (médiocre) américanophone, rien n’a changé. Idem avec l’actuel président Hollande, malgré son récent coup de chapeau in situ aux résistants linguistiques québécois…
Cependant, l’énorme capital francophone demeure, même s’il n’est guère exploité : savants, inventeurs, écrivains, professeurs, sportifs, artistes, gastronomes, entrepreneurs, etc. ne demanderaient, pour la plupart, qu’à s’organiser afin d’être comme le préconisait en son temps le grand cinéaste arabe Youssef Chahine (1926-2008), membre du Haut Conseil international de la Francophonie : « Le fer de lance d’un bloc culturel non aligné, faisant face au rouleau compresseur des industries politico-culturelles états-uniennes, et cela en union avec la Hispanidad, la Lusophonie et la Ligue arabe ». On est aujourd’hui très loin de cet idéal qui il y’a moins d’un quart de siècle, paraissait encore à portée de main. Cependant, l’Histoire est riche en retournements spectaculaires inattendus… •
* Au Maroc on estime qu’environ 1/3 des habitants sont francophones
** De Bourguiba à de Gaulle via Paul VI et Chahine, « Florilège de 20 citations sur la Francophonie » : www.roumanie-france.ro/172
Source : Le 360ma – Péroncel-Hugoz
Excellent article d’un grand journaliste ! Comment le contacter pour le lui dire?
Vous avez honte pour la France monsieur Péroncel-Hugoz ? Nous sommes nombreux …
Me resteront toujours en mémoire les comportements d’un «Président» et d’un «Premier Ministre», un Chirac et un Jospin, le 29 Décembre 2001. Obsèques de Leopold Sedar Senghor et ils ne s’y rendent pas. Le parallèle est fait avec les tirailleurs sénégalais qui, après avoir contribué à la libération de la France, ont dû attendre plus de 40 ans pour avoir le droit de percevoir une pension équivalente à celle de leurs homologues français.
La franco marocaine qui essaie d’être ministre de l’Instruction publique a-t-elle entendu parler de Gaston Monnerville ? En tout cas, pas nos enfants et petits-enfants …