Albert II et Charlène de Monaco, le 2 juillet 2011. Crédits photo : Jean Paul Pelissier/AP
Frédéric Rouvillois est professeur de droit public et écrivain. Il a publié de nombreux ouvrages sur l’histoire des idées, notamment L’Invention du progrès, aux origines de la pensée totalitaire (CNRS Éditions, 2010), ainsi que des essais sur la politesse, le snobisme et les institutions, et plus récemment Une histoire des best-sellers (Flammarion, 2011). Son dernier livre Crime et utopie, une nouvelle enquête sur le nazisme, a été publié chez Flammarion.
FigaroVox: Après le mariage de Kate et William, en Angleterre, la naissance des jumeaux du couple royal de Monaco a suscité l’émotion. Toutefois, ces moments intimes sont les seuls mettant en avant les têtes couronnées, qui restent effacées sur la scène politique. La monarchie est-elle désormais un régime d’opérette ?
Frédéric ROUVILLOIS: En aucun cas ! Ce n’est le cas ni en Angleterre, où le Premier ministre dirige pourtant dans les faits le pays, ni à Monaco, où le roi demeure très présent, et où toutes les décisions sont prises en son nom. Même si le système anglais est une monarchie parlementaire, le roi demeure la colonne du temple britannique. Sans lui, l’édifice entier s’écroulerait. A Monaco, le monarque intervient activement dans la vie politique de l’Etat. Il s’agit d’une monarchie constitutionnelle, non d’un régime parlementaire ; autrement dit, le prince détient la majorité des pouvoirs, et l’exerce à la satisfaction générale. Parler de régime d’opérette me semble donc erroné.
Le monarque n’est, dans tous les cas, jamais réduit à un élément décoratif. Il demeure significatif et indispensable. En Belgique, l‘émotion qui a entouré la mort de la reine Fabiola l’a montré. En Espagne, tous les commentateurs admettent que l’avènement du roi Felipe VI a eu un impact significatif pour le pays. En Angleterre, enfin, la reine demeure un élément essentiel à la persistance de la communauté politique. Les citoyens sont à la fois attachés à la personne royale, ainsi qu’au principe de la couronne.
On peut cependant rappeler que ce type de régime est entouré d’une part de mystère, de rêve. Les monarchies font de plus en plus rêver les citoyens, dans un monde terne, morne et ennuyeux à bien des égards. La beauté des couples royaux, comme Charlène et Albert, à Monaco, ou Kate et William en Angleterre, confère au régime qu’ils représentent une dimension faste, brillante, élégante, essentielle dans notre civilisation de l’image.
Nos démocraties peuvent-elles tirer des enseignements de ces monarchies ?
Sans identité, sans cohésion, sans unité nationale, une démocratie ne peut exister. Elle suppose que les citoyens aient la conviction de former un groupe clair, cohérent, dont les éléments vont s’entraider. De ce point de vue, les valeurs qui entourent les monarques me semblent intéressantes: le roi représente l’identité, le consensus, la continuité, la stabilité. Ces mots, fondamentaux dans tout Etat, républicain comme monarchique, prennent une dimension toute particulière dans le second type de régime, dans la mesure où ils sont incarnés par le monarque lui-même. Le roi rassemble, transcende les débats politiques, et indique clairement la direction dans laquelle le pays va évoluer.
En outre, j’ajoute qu’on ne peut dissocier clairement la monarchie et la démocratie. Monaco ou l’Angleterre incluent des éléments démocratiques dans leur système respectif. De plus, tous nos régimes contemporains sont, à mon sens, des monarchies: on parle ainsi de monarchie républicaine, en France, et un système similaire existe avec la chancelière, en Allemagne. Ces systèmes, où un individu, en définitive, incarne l’Etat et prend des décisions sont des monarchies appelées autrement, et qui intègrent des éléments de démocraties. En France, par exemple, la monarchie républicaine reste bien ancrée: le président de la République dirige le pays, bénéficie d’une légitimité démocratique incontestable, et décide seul de l’orientation de sa politique.
La monarchie en tant que gouvernement d’une personne, en somme, est le régime politique le plus banal au monde. Le régime parlementaire classique n’existe plus, au grand regret de quelques politiciens français dépassés, qui rêvent de remettre le Parlement au sommet de l’Etat. Or, un tel régime n’est pas adapté à la situation actuelle du monde, traversé par des crises et des tensions importantes. Nous avons besoin d’un dirigeant qui sache trancher, prendre des décisions rapides. Dans ce contexte, la monarchie est inévitable.
Les monarchies n’ont-elles pas vocation à disparaître ? Ont-elles un rôle politique particulier dans le monde ?
Au contraire: elles ne se sont, à mon sens, jamais aussi bien portées. La disparition des royautés, au moment même où la monarchie devient habituelle dans le monde, ne serait pas une bonne chose.
Leur forme politique, toutefois, ne leur confère pas de rôle particulier dans le jeu des Etats. La royauté n’influe pas sur la politique ni sur les choix diplomatiques. Les décisions d’un Etat sont, en cela, plus importantes que le type de régime.
Quelles sont les lois de succession à Monaco ? Sont-elles immuables ?
D’abord, seuls les enfants légitimes du prince, issus d’un mariage religieux, peuvent lui succéder. Ensuite, le premier né devient le prince héritier. Enfin, les garçons sont privilégiés par rapport aux filles: si un garçon naît après une fille, il deviendra tout de même prince héritier à sa place.
Ces règles ne sont pas appelées à évoluer. Les monégasques sont attachés au bon sens, à la stabilité. Malgré les pressions extérieures, parfois inadmissibles, l’ordre constitutionnel suscite un certain consensus au sein de la population, et ne devrait pas changer. •
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