Au mois de février, Fabrice Luchini sera seul en scène pour dire Paul Valéry, Le Bateau ivre et quelques autres textes. A cette occasion, le comédien a accordé un long entretien au Figaro.
Fabrice Luchini a récemment été à l’affiche de Gemma Bovary, et remonte sur les planches du théâtre de la Villette à partir du 5 janvier, pour un spectacle consacré à la poésie.
LE FIGARO. – Vous commencez le 5 janvier un spectacle intitulé « Poésie ? ». Vos choix sont de plus en plus exigeants…
Fabrice LUCHINI.– La poésie ne s’inscrit plus dans notre temps. Ses suggestions, ses silences, ses vertiges ne peuvent plus être audibles aujourd’hui. Mais je n’ai pas choisi la poésie comme un militant qui déclamerait, l’air tragique: «Attention, poète!» J’ai fait ce choix après avoir lu un texte de Paul Valéry dans lequel il se désole de l’incroyable négligence avec laquelle on enseignait la substance sonore de la littérature et de la poésie. Valéry était sidéré que l’on exige aux examens des connaissances livresques sans jamais avoir la moindre idée du rythme, des allitérations, des assonances. Cette substance sonore qui est l’âme et le matériau musical de la poésie.
Valéry s’en prend aussi aux diseurs…
Il écrit, en substance, que rien n’est plus beau que la voix humaine prise à sa source et que les diseurs lui sont insupportables. Moi, je suis un diseur, donc je me sens évidemment concerné par cette remarque. Avec mes surcharges, mes dénaturations, mes trahisons, je vais m’emparer de Rimbaud, de Baudelaire, de Valéry. Mais pas de confusion: la poésie, c’est le contraire de ce qu’on appelle «le poète», celui qui forme les clubs de poètes. Stendhal disait que le drame, avec les poètes, c’est que tous les chevaux s’appellent des destriers. Cet ornement ne m’intéresse pas. Mais La Fontaine, Racine, oui. Ils ont littéralement changé ma vie. Je n’étais pas «un déambulant approbatif», comme disait Philippe Muray, mais je déambulais, et j’ai rencontré, un jour, le théâtre et la poésie comme Claudel a vu la lumière une nuit de Noël.
La poésie est considérée comme ridicule, inutile ou hermétique…
Elle a ces trois vertus. Ridicule, c’est évident. Il suffit de prononcer d’un air inspiré: «Poète, prends ton luth…» Musset est quatorze fois exécrable, disait Rimbaud, et tout apprenti épicier peut écrire un Rolla. Inutile, elle l’est aussi. Hermétique, c’est certain. J’aimerais réunir les gens capables de m’expliquer Le Bateau ivre.
C’est un luxe pour temps prospère ?
La poésie, c’est une rumination. C’est une exigence dix fois plus difficile qu’un texte de théâtre. La poésie demande vulnérabilité, une capacité d’être fécondée. Le malheur est que le détour, la conversation, la correspondance qui sont les symboles d’une civilisation ont été engloutis dans la frénésie contemporaine. Nietzsche, il y a un siècle, fulminait déjà contre les vertus bourgeoises qui avaient envahi la Vieille Europe. Vous verrez, disait-il, ils déjeuneront l’œil sur leur montre et ils auront peur de perdre du temps. Imaginez le philosophe allemand devant un portable!
Vous êtes hostile au portable ?
J’en ai un comme tout le monde. Mais c’est immense, l’influence du portable sur notre existence. Une promenade, il y a encore vingt ans, dans une rue pouvait être froide, sans intérêt, mais il y avait la passante de Brassens, ces femmes qu’on voit quelques secondes et qui disparaissent. Il pouvait y avoir des échanges de regard, une possibilité virtuelle de séduction, un retour sur soi, une réflexion profonde et persistante. Personne, à part peut-être Alain Finkielkraut, n’a pris la mesure de la barbarie du portable. Il participe jour après jour à la dépossession de l’identité. Je me mets dans le lot.
N’est-ce pas un peu exagéré ?
La relation la plus élémentaire, la courtoisie, l’échange de regard, la sonorité ont été anéantis pour être remplacés par des rapports mécaniques, binaires, utilitaires, performants… •
« Poésie ? » Le Lucernaire : à partir du 1er février. Réservations: 01.45. 44.37.34
immense Fabrice Lucchini
il me fait penser au « Guépard » qui, dans une des dernières scènes du film, regardait un monde qui disparaissait
Ce monde ne disparait pas il existe toujours .. (La preuve par cet article) mais il est moins visible moins étalé on préfère le facile et tape à l’oeil , mais comme pour les religions certaines attitudes moquées se cachent en attendant leur retour . Car tout meurt et renait et avoir raison n’est qu’une question de temps.
C’est pourquoi le plus grand crime est de semer la désespèrance .
FabrIce Lucchini est comme Guillaume Galienne de la classe des grands comédiens qui transmettent un texte en savourant chaque mot sa cadence et sa musique.
Il faut du temps dans ce siècle d’apparence et de vitesse il faut de la patience et un minimum d’empathie pour savoir écouter comprendre l’autre philosophet et lire de la poësie parce qu’on n’apprend plus à rêver mais nous avons encore des très jeunes qui se précipitent dans les spectacles de Lucchini et au Français .. Ne généralisons pas la beauté est aussi affaire d’éducation et d’affect.
Les guépards ont la vie dure ils se reproduisent assez bien et ils courrent vite..
« La poésie est indispensable. J’ignore à quoi ».
(Jean Cocteau)