Le titre de cette note rappellera certainement quelque chose aux lecteurs réguliers de notre quotidien, puisque nous posions exactement la même question, dans ces colonnes, le 10 février 2013. C’était un mois après la parution, dans Le Figaro magazine, d’un remarquable article de Raphaël Stainville, sur la non moins remarquable collection de La Pléiade.
Nous relançons cette même idée, aujourd’hui, au moment de conclure notre évocation de la Guerre de 14 avec Jacques Bainville et son Journal 1914-1915 / La Guerre démocratique. Ce fut notre façon de commémorer cet évènement immense, et vous avez été nombreux à nous faire savoir, par différents canaux, que cette idée vous paraissait bonne.
Demain, vous lirez donc la dernière de ces notes pour l’année 1914, la plus longue aussi puisque Bainville y récapitule, en quelque sorte, les débuts et les premiers mois de la Guerre : « …Comme j’écrivais ces lignes, l’aiguille des pendules a franchi minuit.. » y écrit-il. Dans l’ensemble de ses notes, on a pu percevoir la justesse de ses vues, la profondeur et la pertinence de ses analyses; mais dans celle de demain, sans la dévoiler entièrement ici, bien sûr, on ne peut qu’être frappé par son intelligence des choses – au sens étymologique du terme – pour le présent et surtout pour l’avenir; par son esprit de déduction et de logique; par la sûreté de son jugement.
S’il s’agissait d’un film fantastique, le cinéaste pourrait prétendre que son héros a vu – « de ses yeux, vu » comme le dirait Molière… – l’avenir de la France, de l’Allemagne et de l’Europe (et du monde). Mais, là, avec Bainville, point de boule de cristal ni de marc de café, ni de « science des tarots » (comme il aimait à s’en moquer…) : uniquement une intelligence vaste et puissante. Nous pouvons être fiers, nous, royalistes, d’avoir compté dans nos rangs celui qui, sans conteste, est l’un des très grands historiens de toute l’histoire de l’Humanité. Comment ne pas être frappé, stupéfait même par ce court passage de la note de demain, dans lequel, quatre ans même avant la fin de la guerre – cette guerre que le Régime n’avait su ni éviter, ni préparer… – et quatre ans avant le désastreux Traité de Versailles, tout est annoncé, prévu, décrit ? :
Eh bien !… une idée qui s’enfonce, c’est que la guerre se terminera sans solution décisive – avec une Allemagne humiliée, sans doute, mais non vaincue – par une paix qui ne changera rien d’essentiel à l’état de choses préexistant. Il a fallu la guerre de Trente Ans pour mettre à bas l’ancienne Allemagne. Comment en quelques mois se flatter d’anéantir l’Empire le plus formidablement préparé à la guerre qui ait surgi dans les temps modernes, de l’abattre sans reprendre haleine ?… Ceux qui sont dans cet esprit… ceux-là définissent la paix future une « côte mal taillée« … Et ceux qui le répètent ne le désirent pas, ne se cachent pas que ce serait pour notre pays une catastrophe, qu’il importe d’éviter…
Car, dans cette hypothèse, chacun rentrant chez soi après cette vaine débauche de vies humaines, cette consommation d’énergies et de richesses, la carte de l’Europe étant à peine changée, les problèmes irritants demeurant les mêmes, on se trouve conduit à prévoir une période de guerres nouvelles où l’Allemagne humilié, mais puissante encore et prompte à réparer ses forces, où l’Angleterre tenace, où les nationalités insatisfaites engageraient de nouveau le monde… »
Sans tomber dans les hyperboles, comment ne pas appeler, tout simplement, un très grand esprit, une immense intelligence, la personne capable d’écrire ces mots-là, le 31 décembre 1914, à minuit ? La même personne capable, lorsque la République aura perdu la paix quatre ans plus tard, en 18 – la paix et la victoire, si chèrement payée par un peuple Français qui se montra héroïque en cette occasion… – de prévoir la guerre pour « dans vingt ans », ne se sera « trompée » (!) que sur un minuscule petit point : le parti revanchard allemand, dont il avait prévu qu’il s’appellerait « social-nationaliste » inversera finalement l’appellation, pour se nommer « national-socialiste », qui a donné l’abréviation « nazi » ! On avouera que c’est bien peu, pour tant de clairvoyance et de lucidité !
C’est pour cette raison, parce que Jacques Bainville est vraiment l’un des très grands historiens de toute l’histoire de l’Humanité, que sa place est bien dans la magistrale collection de La Pléiade, qui s’enrichirait encore en l’accueillant en son sein…
Au passage, signalons que la publication des notes du Journal de Bainville depuis la fin juillet a été l’occasion d’enrichir de trois nouvelles photos notre Album Maîtres et témoins…(II) : Jacques Bainville. qui en compte donc, maintenant, 179 :
* Fascination pour l’Allemagne, ou : quand les Français ne s’aimaient pas…
Cincinnatus sur Une initiative papale qui, curieusement, arrive…
“Nous ne sommes pas capables en France d’une révolution de velours, nous sommes incapables de faire…”