La réédition de « la Politique considérée comme souci » pourrait rendre à ce penseur oublié sa place de maître, plus encore en ce moment de retournement historique.
Il est un philosophe dont la mémoire est passée, depuis sa mort en 1998, dans la clandestinité, un penseur de premier plan qu’on n’évoque plus que dans les catacombes : Pierre Boutang. Son temps a retenu d’autres noms, de la même génération, pour des raisons de convenance idéologique avec i ‘esprit de l’époque : Sartre, Camus, ou Merleau-Ponty. Mais, dans le moment de retournement historique que nous vivons, l’heure de Boutang pourrait bientôt sonner. La Politique, que vient de ressortir la petite maison d’édition Les provinciales, sous la direction de Michaël Bar-Zvi, figurerait alors comme l’avant-coureur de ce retour.
Pierre Boutang à son bureau. La fin du purgatoire ?
La politique doit se penser à partir d’un socle : tout hornme naît et vit dans une communauté qu’il n’a pas choisie. La pensée politique interroge le lien natif qui attache I ‘être humain à la cité. Comme chez Hannah Arendt, l’idée de naissance est chez Boutang fondamentale. Le fait, contingent, de naître dans telle ou telle communauté politique est l’engagement qui engendre des devoirs, nécessaires. Le coup de génie de Boutang est ici : la contingence de la naissance n’est pas un argument qui autoriserait le détachement de l’être humain de sa communauté, mais, au contraire, elle fonde leur absolue solidarité. Toutes les pages sur la trahison et sa punition – les plus belles jamais écrites, en philosophie, sur ce thème – sont l’implacable illustration de cette solidarité. La trahison est infâme, parce qu’elle est « Ie dégagement de liens que je n’ai pas choisis ». Dans ce non-choix réside Ie mystère de l’existence humaine. L’on pourrait pousser plus loin que Boutang, et prendre la trahison comme point de départ pour penser la politique dans sa généralité. Ainsi, au fondement de Ia politique gît non le contrat, comme I ‘avaient cru Hobbes et Rousseau, mais la présence originelle à une réalité qui précède et transcende chacun. Naissance et nation sont des mots étyrnologiquement parents.
La politique est l’objet d’un souci – Boutang reprend ce mot de Heidegger – qui signe le sérieux de I ‘existence. La réédition de ce livre va fournir aux générations nouvelles des outils différents d’appréhension de Ia vie politique. Chez ses lecteurs, le souci du politique prendra d’autres tournures que celles connues ces dernières décennies. La fin de son purgatoire rendra à Boutang sa place : celle d’un maître.
La Politique considérée comme souci,
Édition Les Provinciales, 160 pages, 15 €.
Source : Valeurs actuelles
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