Se trouvant actuellement en France, Péroncel-Hugoz a pu y prendre la mesure in vivo du nouvel engouement des Français pour Voltaire, philosophe du XVIIIème siècle, engouement auquel il donne un « coup de dent »… Cette chronique originellement destinée aux lecteurs marocains du site le 360, sera, par sa pertinence, extrêmement utile et intéressante, aussi, pour des lecteurs français, notamment ceux de Lafautearosseau. •
Depuis les attentats de Paris, début janvier 2015, les Français redécouvrent Voltaire (1694-1778), leur grande plume du Siècle des Lumières (et de la Terreur révolutionnaire) un peu négligée par le public du XXIème siècle bien que restée toujours savoureuse et souvent pertinente. La mode est telle que le « Traité sur la tolérance » de cet auteur, pourtant pas son chef-d’œuvre, est en passe, ces temps-ci, de damer le pion aux trois larges succès de l’édition parisienne en 2014 : Trierweiler, Zemmour, Houellebecq. Cette «voltairisation» atteint la Francophonie nord-africaine, du Tunisien Mezri Haddad à l’Algérien Boualem Sansal, avec des échos dans les médias francophones du Caire. On en est presque à dire, comme Baudelaire au XIXème siècle : « Je m’ennuie en France car tout le monde ressemble à Voltaire » ou à s’insurger, comme John Saul dans ses « Bâtards de Voltaire » (1992), quand il raille « la sèche raison voltairienne ».
Si Voltaire est loin, très loin d’être toujours ennuyeux, il est quand même un penseur à double tranchant avec le même accent de conviction, un jour disant blanc, le lendemain disant noir… Résultat : question lectorat, il ratisse large y compris en 2015. Comment prendre pour référence morale un philosophe qui rompt des lances en faveur de la liberté et qui, au même moment, investit dans le commerce négrier entre l’Afrique noire et les Amériques ? Pas étonnant, que lors de la mort à Paris du célèbre essayiste, en 1778, le futur roi Charles X ait pu lancer : « La France vient de perdre à la fois un très grand homme et un très grand coquin ». J’en vois certains esquisser une moue dubitative mais j’ai des munitions… Tenez, par exemple, la fameuse phrase avec laquelle les voltairiens aiment clore le bec des détracteurs de leur idole : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites mais je me battrai jusqu’au bout pour que puissiez le dire ! », eh bien, cette phrase, elle fut inventée en 1906 par une biographe britannique de Voltaire, Evelyne Hall ; elle l’avoua ensuite au conservateur du Musée voltairien de Genève mais la sentence avait tellement plu qu’elle est donnée pour authentique jusqu’à nos jours… Ainsi que le répétait en substance le mémorialiste royaliste Chateaubriand : Un mensonge mille fois répété devient vérité révélée.
Séducteur, sans cesse en train de courtiser de jolies dames, Voltaire fut-il aussi féministe ? Que nenni ! Il dit un jour en public à un garçonnet : « Souvenez-vous, quand vous serez grand, que toutes les femmes sont coquettes, volages, menteuses ! », et comme une personne présente protestait, le philosophe rétorqua : « Madame, on ne doit pas tromper les enfants ! ». Voltaire tolérant ? Né catholique, il défendit, c’est vrai, les huguenots ou protestants mais ensuite il écrivit : « Mahomet ou le Fanatisme », pièce si irrévérencieuse et si grinçante que le roi Louis XV, qui n’avait guère de sujets mahométans, la fit néanmoins interdire, comme le Canton de Genève devait encore le faire, lui aussi, en 1993. Au décès du pape Clément XIII, en 1769, Voltaire crut offenser sa mémoire en le traitant de « mufti téméraire ». Cependant – toujours le double langage – en son château de Ferney, à la frontière franco-romande, Voltaire allait à la messe chaque dimanche avec les villageois et, plus tard à Paris, sentant sa fin venir, il passa une heure entière à se confesser. Le secret de la confession catholique empêche de savoir si Voltaire regretta son « Tocsin des Rois », texte dans lequel il exhorte les monarques chrétiens à « chasser enfin les musulmans d’Europe ». Toutefois, c’est aux israélites qu’il réserva ses attaques les plus virulentes : « Peuple ignorant et barbare, qui joint depuis longtemps la plus sordide avarice à la plus détestable superstition, et à la plus invincible haine pour tous les peuples qui les tolèrent et les enrichissent » (1). Aussi son collègue Bachaumont, dans ses « Mémoires secrets pour servir à l’Histoire de la république des Lettres » (1777) dénonça la propension de Voltaire à « prêcher le pour et le contre » et dénonça une épître où, après avoir prôné le « tolérantisme », il brocarde un Juif mangeant du cochon et un Turc buvant du vin…
Quant à ceux qui ont voulu voir en Voltaire un tombeur de dynastes européens, rappelons que notre homme fût historiographe officiel du Royaume français et gentilhomme de la Chambre royale de Louis XV ; qu’il fut assidu à la Cour de Frédéric II de Prusse et à celle du roi Stanislas, beau-père de Louis XV, à Nancy. Enfin, il proclama un jour : « Je préfère être gouverné par un beau lion que par cent rats de mon espèce ! ». Pas sûr, au reste, qu’on ne trouve pas dans l’œuvre immense (300 volumes) de Voltaire une autre citation où il préfère les « rats » aux « lions » … Dès lors que faire, face à cette duplicité si péremptoire, si talentueuse ? Eh bien lire Voltaire pour son style souple et enchanteur, et équilibrer ses outrances par des auteurs plus dignes de foi. Qui ? Si j’étais Arabo-musulman, je lirais et ferais lire le modeste penseur égyptien arabophone, Farag Fodda (1946-1992), docteur en philosophie, mahométan sunnite du Juste Milieu, abattu avec son fils (grièvement blessé) en plein Caire, le lendemain du jour où il avait osé dire en public le secret de Polichinelle, à savoir que ses compatriotes chrétiens (environ 10 % des Egyptiens) étaient des dhimmis, discriminés sur une terre où ils sont autochtones. Cette banalité fut insupportable aux djihadistes locaux. Voltaire a rendu l’âme tranquillement dans son lit. Fodda lui, sur le pavé cairote, paya de sa vie son franc-parler exempt du moindre soupçon de double discours. •
(1) « Dictionnaire des méchancetés », page 989 ; par F-X Testu, Ed. R. Laffont, Paris
Voltaire n’était-il pas avant tout un provocateur?
Aujourd’hui et selon la terminologie en vogue, on dirait un « agitateur d’idées ».
La qualité de l’oeuvre de Voltaire est indéniable, autant que celle de son style.
Ce qui, comme vous vous y employez dans votre article, n’empêche pas de rester conscient de l’ambivalence de sa personnalité.