Ces deux recensions de deux ouvrages importants, en particulier dans le contexte actuel, sont reprises des toujours excellentes – aussi bien qu’abondantes – notes de lecture de Georges LEROY, dans chaque livraison du Réseau Regain. Ici, celle de février 2015. Nous en recommandons la lecture.
Quelle histoire pour la France ?
Dominique Borne
Gallimard, 350 p., 22,50 €.
Certains annoncent la mort de l’histoire de France. En ces temps de mondialisation, et surtout d’arrivée massive de populations issues de pays anciennement colonisés, le récit purement national serait à mettre au rebut. D’autres voudraient le retour d’un âge d’or, avec ses histoires saintes, monarchiques ou républicaines.
Dans cet essai qui peut faire débat, l’auteur, inspecteur général de l’Éducation nationale, propose de dépasser l’une et l’autre attitudes. À le suivre, il est possible de (re)construire une histoire à partir de moments d’histoire. Ces récits portaient en eux une espérance eschatologique qui a déserté quand la croyance au progrès s’est enfuie.
Faut-il pour autant abandonner toute histoire de France ? Ce livre répond par la négative : « Le besoin d’histoire nationale, dit l’auteur, est d’autant plus grand que les incertitudes contemporaines sont nombreuses. »
Une telle histoire, pluraliste et discontinue, serait tissée avec celle de l’Europe et du monde et prendrait en compte toutes les composantes de la société. Se prêtant lui-même à l’exercice, l’auteur en propose quelques facettes qui redessinent un paysage national, suggèrent de possibles héros et donnent même des raisons d’espérer en l’avenir. •
Esthétique de la liberté
Philippe Nemo
PUF, 200 p., 18 €.
Il y a comme un arrière-goût dandy dans ce titre. En effet, quel rapport entre l’esthétique et la liberté ? En quoi la liberté pourrait-elle être esthétique ou pas ? Comment créer du lien entre l’esthétique et la liberté ? Est-ce un pur exercice intellectuel réservé à un homme de grande science ou bien en quoi cela peut-il concerner les millions de petits bourgeois français en cet hiver 2014 ? Livre de circonstance, petit plaisir, livre de fond ?
Dans la fable de La Fontaine « Le chien et le loup », la vie du loup est présentée comme plus belle que celle du chien, parce que l’un est libre, alors que l’autre est attaché. Le propos du livre est de savoir si La Fontaine a raison. Beauté et liberté sont-elles indissociables ? Si tel est le cas, quelles conclusions politiques peut-on en tirer ? Existe-t-il un enjeu plus profond, métaphysique, dans l’alternative d’être « chien » ou « loup» ?
Le livre esquisse d’abord les contours d’une anthropologie philosophique où les places respectives de la beauté et de la liberté dans la structure de l’esprit humain sont précisées sont interrogés à cet égard de nombreux auteurs, de Platon à Plotin, de Grégoire de Nysse à Pic de la Mirandole, de Kant à Proust.
On voit que beauté et liberté sont « des idéaux qui doivent être cherchés de façon inconditionnelle », à l’instar de « la vérité et du bien ». Ainsi « le lien entre liberté et beauté a été formellement affirmé dans l’histoire des idées et des arts ». Pour les Grecs, « excellence physique et excellence morale sont donc étroitement mêlées et que l’on passe facilement de kalos à agathos ». Ce qui est beau est bon. Pour les Grecs, « beauté veut dire noblesse et l’aristocrate par excellence est un homme libre ». À l’inverse, le christianisme reconnaît un Dieu qui sonde les reins et les coeurs et donc « notre valeur objective n’est ni augmentée ni diminuée par le regard positif ou négatif que les autres portent sur nous ; il n’en pas ainsi chez les Grecs anciens. Leur souci, c’est ce que les autres pensent d’eux ».
Le lien entre société de liberté et beauté morale est établi au moyen des vertus théologales que sont la foi, l’espérance et la charité, mais aussi d’autres vertus chrétiennes comme la justice, la véracité, la libéralité, l’esprit de paix, la tolérance, la prudence, la tempérance, la force et l’orientation positive des activités.
Puis il montre comment la servitude enlaidit les existences humaines, ce qui n’est pas vrai seulement de la servitude absolue des totalitarismes, mais aussi de la demi-servitude instaurée par les socialismes dits modérés.
Il examine enfin ce qu’est une vie libre et créatrice de beautés, en soulignant le rôle qu’y jouent la contingence, l’imprévu, et la possibilité qu’y survienne du nouveau, comme dans un voyage. Sur ces bases, il montre que seule une vie libre peut avoir un sens. Le voyage permet de découvrir les facettes du monde qui lui était inconnue, de se découvrir lui-même. Il en appelle à Balzac pour le voyage social, mais aussi à Baudelaire dans son célèbre poème des Fleurs du mal.
En conclusion, nous sommes invités à « revivre en oeuvre d’art » notre propre existence. Ce livre est donc une magnifique médiation sur l’invitation au voyage que suppose une vie libre dans une société librequi repose elle-même sur la propriété privée d’une part, et la mise en action des vertus chrétiennes, au premier rang desquelles se trouve la charité, don gratuit, qui n’est rien d’autre que la beauté d’un geste libre. •
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“Dans cet article, « procès de la démocratie », on frôle l' »esprit de jouissance » que dénonçait Pétain chez…”