Les avocats de province sont en révolte. Ils défilent dans les rues, en robe, et annoncent une grève illimitée. Les réformes annoncées par Bercy ruinent la profession, changent sa nature. Paris, inconscient ou indifférent, s’en moque. Peut-être le plus grand barreau de France, déjà passablement défiguré par son nombre (plus de 20 000 avocats), n’a-t-il pas un sentiment aussi aigu de son identité ?
Le cabinet du garde des Sceaux semble ému de l’émotion des avocats de province… mais le ministère de la Justice, face à l’économie et aux Finances, ne pèse d’aucun poids. Christiane Taubira a suffisamment à faire avec ses problèmes de surpopulation carcérale. Fraternellement, son Premier ministre lui a mis dans les pattes un parlementaire chargé d’enquêter sur la question. Façon non dissimulée de dire que le Ministère – ou « la » ministre – ne fait pas son boulot.
Madame le garde des Sceaux « tweete ». C’est à la mode. Le Pape le fait bien. Pourquoi pas elle ? Elle tweete sur la décision d’une cour américaine qui a acquitté un policier blanc poursuivi pour avoir tué un délinquant – ou présumé délinquant – Noir. Que sait-elle du dossier ? Des circonstances ? Des débats ? De la procédure ? Quelle est sa compétence pour donner son avis ? Peu lui importe ! Elle mène son combat comme une citoyenne qui ne se sent pas bridée par son poste. Les mines effarouchées qui le lui reprochent feraient mieux de se regarder elles-mêmes. Qui, aujourd’hui, n’a pas son avis sur tout ? Pourquoi elle, qui est, de surcroît, ministre de la Justice, n’aurait-elle pas le sien qu’elle communique à ses amis ?
Mais tout cela ne résout pas le problème des avocats qui crient, défilent, se mettent en grève sans être entendus. C’est que leurs organisations – ordres, associations, syndicats – sont sans aucun pouvoir. La démocratie réelle, en France, n’existe pas. « Le pouvoir du peuple, par le peuple, et pour le peuple » a été confisqué par les élus, eux-mêmes produits par les partis, qui forment une oligarchie proprement tyrannique. Ils décident selon leur humeur, leurs plans, leur utopie. Nous, nous pouvons toujours crier. Même à un million dans la rue, cela ne la fait pas changer d’avis. Le rouleau compresseur avance.
Les avocats sont furieux. Les magistrats sont mécontents. Les familles sont en colère, les retraités aussi, les agriculteurs… n’en parlons pas ! Jusqu’à quand ?
Jusqu’à ce qu’un parti… le parti des mécontents l’emporte enfin, et que ses dirigeants, élus à la magistrature suprême, et aux postes qui l’accompagnent, suivent à leur tour la même dérive… Jusqu’à…
Ce n’est pas d’un changement de parti au pouvoir que nous avons besoin, c’est d’un changement d’institutions. Avec un état assuré de la continuité et une représentation nationale qui représente vraiment les forces toujours mouvantes de la nation. Un vrai monarque, non pas élu et provisoire mais héréditaire et continu, et une vraie démocratie libre, directe où chacun est représenté, considéré et écouté… Une société humaine, en quelque sorte. •
Source : Politique magazine
On a bien compris que les avocats ne sont pas contents, mais on n’a pas compris pourquoi.