Pie VII et Napoléon
Le palais impérial de Fontainebleau accueillit le pape Pie VII à deux reprises, dans des circonstances radicalement différentes… Il était le lieu idéal pour présenter cette exposition originale qui confronte l’empereur Napoléon au pape. Entre les deux hommes, l’éternelle querelle du pouvoir et de l’Église…
Le château de Fontainebleau a reçu par deux fois le pape Pie VII, comme hôte sur le chemin du sacre en 1804, puis comme prisonnier entre 1812 et 1814. L’appartement des Reines-Mères, baptisé depuis lors “appartement du Pape”, en conserve aujourd’hui le souvenir. Fontainebleau est à cet égard l’un des lieux qui incarne le mieux les relations tumultueuses entre Rome et Paris, dont l’une des expressions est la “guerre d’image” que se livrent les deux puissances, de 1796 à 1814. L’exposition évoque d’abord la mainmise des Français sur quelques-uns des trésors de la collection pontificale, la célébration du concordat de 1801 par l’imagerie officielle ou encore l’iconographie subtile des cadeaux diplomatiques lors du sacre de 1804.
La guerre de propagande, qui atteint son paroxysme avec l’invasion des États pontificaux en 1808 et l’arrestation de Pie VII en 1809, est ensuite décryptée à travers l’image d’une Rome antique renaissant grâce au “César moderne”. Le Pape, retenu à Savone depuis 1809, est conduit à Fontainebleau en 1812, où les deux protagonistes s’affrontent. L’Empereur parvient à arracher en janvier 1813 un éphémère concordat au Pape qui, libéré en 1814, est accueilli à Rome par une imagerie triomphaliste.
Près de 130 oeuvres, parmi lesquelles des acquisitions inédites, ainsi que des prêts exceptionnels des musées du Vatican ou de la Sacristie pontificale, illustrent un affrontement où se combinent enjeux religieux, politiques et artistiques. En écho, sur les lieux mêmes de sa détention, les éléments retrouvés et restaurés du mobilier qu’a connu Pie VII sont rassemblés pour la première fois depuis le Premier Empire.
L’éclairage neuf du catalogue
Au-delà de la confrontation entre deux personnalités hors du commun, l’ancien bénédictin élu pape et le lieutenant d’artillerie proclamé empereur des Français, l’ambition du catalogue de l’exposition est plus largement d’explorer les relations tourmentées entre l’Église et l’État, des débuts italiens de Bonaparte en 1796 au rétablissement du pouvoir temporel du pape en 1814, en passant par le Concordat de 1801.
Cet affrontement entre les deux pouvoirs eut d’emblée une traduction artistique : des œuvres d’art furent confisquées et restituées, tel le monumental Jupiter d’Otricoli exceptionnellement prêté par les musées du Vatican, ou commandées et offertes, telle la somptueuse tiare exécutée par l’orfèvre Auguste et le joaillier Nitot, cadeau de l’Empereur au pape en 1805 au temps de la concorde, ordinairement conservée dans le trésor de la Sacristie pontificale des Sacrés Palais.
Par ailleurs, une ample moisson iconographique rassemble, rapproche et confronte des œuvres exposées au Salon à Paris en 1810 et 1812 ou conçues en Italie. À Rome, déclarée « seconde capitale de l’Empire », la décoration du Quirinal, devenu palais impérial de Monte-Cavallo, multiplia les références antiques au service du César moderne, tandis qu’à Paris, où foisonnaient les projets à la gloire de l’Empereur, le Salon des artistes vivants était une scène où se livrait une guerre des pinceaux. Après la chute de Napoléon en 1814 se poursuivit, par une explosion de créations graphiques, cette guerre d’image entre les deux souverains rivaux, l’un restauré, l’autre déchu, chacun également habile à mobiliser à son profit l’opinion par les arts.
Au terme d’une décennie d’expositions napoléoniennes souvent redondantes l’une par rapport à l’autre, voici enfin un sujet neuf, traité sous un angle inédit. Le propos est solidement structuré, appuyé en regard du sommaire par une carte des itinéraires de Pie VII dans l’Europe dominée par Napoléon. Qu’on en juge par quelques titres de sections qui s’articulent vigoureusement : « Rome à la merci de Paris. De la lutte à mort à la réconciliation, 1796-1801 », « Accord entre Rome et Paris. En quête d’une image officielle : le concours de l’an X, 1802», « Paris et Rome liées par un Concordat. L’Eglise dans l’Etat, 1801-1814 », « Rome à Paris. Pie VII auprès de la fille aînée de l’Eglise, novembre 1804-mai 1805 », « De Rome à Savone. Le Pape aux prises avec l’aigle : montée des tensions et ruptures, 1808-1812 », « Fontainebleau, geôle dorée.Le Pape dans les serres de l’Aigle, juin 1812-janvier 1814 »…
Le catalogue fait sortir de l’ombre de nombreuses œuvres jamais interrogées pour leur charge historique ou totalement inédites, puisées dans les réserves des musées de province ou récemment acquises par le musée Napoléon Ier du château – rien moins que 39 sur les 136 du catalogue. Le rôle de la maçonnerie est bien restitué et les notices décodent le sens des tableaux et des estampes, qui s’affrontent dans une véritable guerre d’images.
L’iconographie révèle le visage d’une autre Rome, « deuxième capitale de l’empire français », et l’affrontement entre le pape et l’empereur, violent, se traduit par les œuvres : les bustes des deux protagonistes rapprochés au début du livre, s’opposent tout à la fin. Une divergence en guise d’adieu… Un catalogue à lire pour une exposition à voir sous les premiers feux du printemps, qui vont si bien à Fontainebleau. •
Pie VII face à Napoléon. La tiare dans les serres de l’Aigle, Rome-Paris-Fontainebleau, 1796-1814
Château de Fontainebleau. Exposition jusqu’au 29 juin.
Catalogue édité avec le concours de la Fondation Napoléon, sous la direction de Christophe Beyeler, château de Fontainebleau et Réunion des musées nationaux, 248 p., 39 euros.
* Raphaël de Gislain – Politique magazine
YANN CORFMAT sur Un espoir, le roi
“C’est ce que l’on appelle de nos voeux !”