L’on doit être attentif à ce que dit, pense, écrit Hervé Juvin. Dans ses articles, livres, conférences et vidéos, notamment sur Realpolitik. En matière économique et financière, mais aussi politique, sociétale et géostratégique, ses jugements nous ont toujours paru particulièrement intéressants et justes, avec, en outre, une faculté d’anticipation peu commune. Très généralement, nous partageons ses analyses. Cette tribune donnée au Figaro du 17 avril illustre ce que nous venons d’écrire. •
Et une loi sur la répression des propos racistes de plus. Qui peut être contre ? Après l’émotion suscitée par les crimes de janvier, dont l’un des objets manifestes est de terroriser ceux, qui résistent à l’islamisation de la France, beaucoup peuvent pourtant s’interroger : est-ce la bonne réponse ?
Des Français constatent chaque jour que les flux migratoires sont une réalité d’importance dont il devrait être licite de débattre. Or ils se souviennent qu’on ne leur a jamais demandé leur avis et que le changement d’origine de la population française, l’une des transformations majeures de la France au cours des trente dernières années, a été subi, , tenu en lisière du débat démocratique, que ses effets n’ont jamais été évalués, et qu’il n’a jamais fait l’objet d’un vote ou d’une loi; c’est un décret qui a autorisé le regroupement familial ! Ils posent de plus en plus ouvertement la question. Voilà pourquoi la loi s’efforce d’entretenir cette mystification qui est au coeur d’un discours bien rôdé depuis la récupération de la « Marche des Beurs » par SOS Racisme et la culpabilisation des Français, poursuivie par le.rapport Tuot (Conseil d’État, 2014) : tout se passe bien, d’ailleurs il ne se passe rien, il est interdit de dire qu’il y a des problèmes. Tout se passe bien, et si ça se passe mal, c’est de votre faute !
Le déni du réel dans lequel s’enfonce la France commence par la censure des mots. Sera-t-il possible de dire d’un Noir qu’il est noir, d’un Blanc qu’il est blanc, et qu’une soucoupe est une soucoupe ? L’idéologie de l’individu absolu répond que non.
L’individu hors sol, que ne détermine rien, ni son origine, ni son âge, ni son sexe, ni sa foi, voilà l’idéal. Substituer l’individu abstrait, fiction juridique, aux hommes d’ici, des leurs et d’une histoire, voilà l’objet. Désintégrer ces liens, ces appartenances, ces communautés qui font de l’individu une personne, qui lui donnent une identité, voilà l’urgence !
Nous sommes au coeur de la Grande Séparation moderne. La séparation de naguère passait dans l’espace, dans la langue et dans les moeurs, entre des sociétés humaines auxquelles elle assurait la liberté de se conduire, de choisir leur destin, et d’approfondir cette diversité splendide des, moeurs, des cultures et des croyances qui constitue la civilisation humaine, qui n’est pas si elle n’est pas plurielle ; « il n’y a pas de civilisation s’il n’y a pas des civilisations » (Claude Lévi-Strauss). La séparation moderne met fin à cette diversité des sociétés humaines et coupe l’individu de toutes les déterminations par lesquelles l’histoire, la nation, la culture ou la religion faisaient de lui le membre d’une communauté, l’acteur d’une société et un citoyen responsable. Comme l’analyse depuis longtemps Marcel Gauchet, il n’y a que des individus qui ont des droits, et rien d’autre ne peut les singulariser ; voilà l’idéologie moderne, voilà ce qui réalise la grande séparation d’avec l’histoire comme avec la nature, voilà comment le droit entreprend d’en finir avec les nations, de dissoudre les peuples, et d’étouffer la démocratie au nom, de l’Homme nouveau.
Le paradoxe est double. D’abord, « l’antiracisme », au nom de l’égalité et du droit à la différence, est porteur d’une indifférenciation destructrice des cultures et des identités, à la fin de la diversité des sociétés humaines. Il provoque ce qu’il veut combattre ; l’avènement d’un modèle occidentaliste qui entend faire du monde une grande Amérique au nom de l’universel. Est-ce le destin de tout Malien, de tout Malgache, de tout Algérien, de devenir un Français comme les autres ? C’est que « l’antiracisme » confond inégalité et différence. Il affirme que la nature fait des hommes tous les mêmes, sans percevoir que ce naturalisme est la négation du travail patient, des cultures pour se distinguer, se singulariser et se transmettre. À cet égard, les formes dévoyées de « l’antiracisme » constituent un anti-humanisme ou, si l’on veut, une expression de la haine contre la culture qui trouve actuellement des expressions inédites dans le monde d’Internet, du management et du transhumanisme. Voilà ce qui conduit à la négation des cultures, qui ne peuvent vivre que dans un certain degré de séparation avec d’autres cultures, dans une certaine unité interne assurée par la frontière, l’éloignement, les identités singulières. Et à la disparition de l’Autre, englouti dans la fiction juridique du Même auquel tout individu se réduit. Comme l’écrit René Girard, « à force de célébrer toutes les différences, nous n’en respectons plus réellement aucune ».
Dévoyer un grand et juste combat à des fins politiciennes est plus que méprisable, c’est dangereux. La négation de la condition humaine, qui est toujours enracinée dans un milieu, dans un contexte et une mémoire, fait l’impasse sur la question du moment : comment faire société entre nous ? La nation répondait ; quelles que soient leur origine, leur foi et leur idée, la France unit tous ceux qui la préfèrent. Le couvercle de la nation tenait ensemble ceux que tout le reste séparait. La réponse disparaît, avec cette grande séparation qui nous dépouille de ce qui fait de nous des Français, hommes de cette terre et des nôtres, pour en finir avec toute résistance au nouvel ordre mondial du droit, du contrat et du marché. Et nous en sommes là, àcette montée d’une police des idées, des mots et de la pensée, qui pourrait bien réussir ce prodige paradoxal : faire de la race ce qu’était le sexe au XIXe siècle, ce à quoi il est tellement interdit de penser et de dire qu’on y pense toujours et qu’on ne voit plus qu’elle. L’inflation de l’antiracisme produisant le racisme ? Prodige assez banal des politiques médiocres qui pensent changer le réel par décret et se garder des choses en supprimant des mots. •
Auteur de La Grande séparation. Pour une écologie des civilisations, (Gallimard, 2013, 400 pages, 22,50 euros)
YANN CORFMAT sur Un espoir, le roi
“C’est ce que l’on appelle de nos voeux !”