La cathédrale de Reims. L’ancienneté de la mémoire compte plus que le nombre pour enraciner une culture. Photo © Patrick Iafrate
Le recteur Boubakeur exhorte nos autorités à doubler le nombre de mosquées pour ses coreligionnaires français. Ils seraient 7 millions, a-t-il dit. Chiffre improuvable, faute de statistiques, mais peu importe : en légitimant ses exigences par le nombre supposé de ses fidèles, l’islam prétend enraciner le multiculturalisme confessionnel dans notre pays. Or, le nombre ne saurait suppléer l’absence de racines historiques.
Les confessions sont évidemment égales devant la loi, laïcité oblige ; elles ne le sont pas à l’aune de la mémoire. Quinze siècles d’accointances intimes avec la catholicité ont profilé notre paysage intérieur, façonné notre spiritualité, notre sentimentalité, notre sociabilité, notre esthétique, notre ludisme, notre scansion du temps, notre érotisme même.
Après le drame des guerres de Religion et la grave bévue de Louis XIV — la révocation de l’édit de Nantes —, le protestantisme issu de Luther et de Calvin a pris sa juste place et les Juifs de France, dès lors qu’ils ont joui pleinement de leurs droits civiques, ont enrichi notre culture : Proust, Bergson, Chagall et tant d’autres.
La séparation des Églises et de l’État a émancipé le citoyen de la tutelle d’un cléricalisme tantôt gallican, tantôt vaticanesque : c’était opportun et nul ne le conteste. Reste l’héritage d’une architecture mentale bâtie, étayée, enluminée par la catholicité romaine. L’âme de la France plane au-dessus des clochers de Notre-Dame qui a solennisé les hautes heures de son histoire, y compris le Te Deum de la Libération avec de Gaulle et Leclerc. L’ “identité” de la France est insaisissable si l’on occulte la symbolique liée à la cathédrale de Reims, à la crypte de Saint-Denis — et à ces monastères bénédictins et cisterciens qui ont transmis le savoir et défriché nos arpents.
Même la texture de notre anticléricalisme, sans équivalent en Europe depuis les Lumières, témoigne de la prégnance du fond de sauce catho : amour-haine de ce couple désormais à la retraite, goupillon et férule.
Notre imaginaire, nos quêtes de l’invisible, nos chamailleries politiques, nos tours de langage s’y réfèrent par une pente naturelle. Aussi est-on légitimement choqué quand nos chefs d’État, sous prétexte de neutralité, reçoivent sur un pied d’égalité les dignitaires de l’Église catholique et ceux des diverses confessions ayant importé des fidèles en France. Égalité inéquitable et mesquine, car procédant d’une approche bassement comptable et ignorant une longue et noble mémoire.
J’ai le plus sincère respect pour la piété d’un musulman ou d’un hindouiste : toute invocation d’une transcendance vaut mieux que le culte du fric et de l’ego. Mais ces confessions n’ont aucun ancrage dans notre inconscient collectif, aucune résonance dans nos coeurs. En accréditant sournoisement l’illusion d’une équivalence, nos dirigeants assèchent les sources de notre patriotisme et humilient les fidèles catholiques.
L’épisode lamentable des affiches dans le métro, l’indifférence de nos “élites” aux martyrs chrétiens dans l’espace oriental dominé par l’islam, les prônes apeurés sur l’ “islamophobie” après les attentats de janvier en plein Paris : autant de symptômes d’un refus buté de prendre la France pour ce qu’elle est, un avatar de la latinité éclos dans le giron du catholicisme.
Dieu sait que je ne suis pas un bigot, encore moins un intégriste, et que toute société où César s’arrogerait les prérogatives d’un pasteur d’âmes serait pour moi invivable. « Mon royaume n’est pas de ce monde », a dit le Christ. Mais le royaume de France, les deux empires et les cinq républiques qui lui ont succédé dans le temps ont les mêmes racines, n’en déplaise à M. Peillon et à Mme Vallaud-Belkacem, qui oeuvrent obstinément pour les extirper des cervelles enfantines.
Il y a beaucoup de musulmans en France, ils ont droit au respect de leur foi et à la possibilité d’exercer dignement leur culte. Mais on ne décrète pas des racines : les nôtres sont catholiques au sens large depuis le baptême de Clovis, point final. •
Je n’ai pas l’art de Denis Tillinac pour exprimer ce que je ressent, cependant , je puis dire que je pense exactement comme lui .