Nos intérêts immédiats sont [peut-être] à Riyad. Mais quid de notre stratégie ?
L’analyse qui suit est à deux paramètres : nos intérêts les plus immédiats circonscrits à quelques contrats – importants – et nos intérêts stratégiques de long terme. En quelques lignes de conclusion, l’auteur relativise à juste titre le premier des deux termes : en s’alliant à ses pires ennemis, les théocraties sunnites, Paris, faute d’une vision stratégique d’ensemble, ne sert pas les vrais intérêts de la France. Analyse qui est aussi la nôtre. LFAR.
C’est incontestablement un nouveau succès de prestige pour la France. François Hollande est le premier chef d’État occidental a être reçu à l’occasion d’un conseil extraordinaire des monarchies du Golfe. Couronnée par la vente des Rafale au Qatar et peut-être aux Émirats arabes unis, la diplomatie française semble renouer avec les ambitions d’une politique arabe d’envergure.
Des réussites diplomatico-militaires qui n’auraient pas été obtenues sans la position intransigeante affichée par le couple Hollande-Fabius sur les dossiers syrien et iranien. Les monarques du désert ont invité François Hollande, non seulement pour signer des contrats d’armements mais surtout pour signifier leur colère au seul allié qui compte, les États-Unis. À quelques jours d’une réunion importante à Washington, le tapis déroulé devant le chef de l’Etat est un chiffon rouge frénétiquement secoué par les princes arabes en direction d’une Amérique infidèle.
L’émergence des hydrocarbures de schiste et la guerre des prix qui en découle ont redonné aux États-Unis une liberté d’action et de ton au Moyen-Orient. Au point que l’Amérique, pour contrer le terrorisme international et déjouer l’influence de la Russie, rééquilibre sa politique moyen-orientale en direction des pays chiites. En guerre contre les milices djihadistes en Irak et en Syrie, et sur le point de conclure un accord nucléaire historique avec Téhéran, Barack Obama et John Kerry remettent en cause une alliance vieille de soixante-dix ans. Initié par Franklin Roosevelt et Ibn Seoud au sortir de la guerre, le pacte du Quincy sombre inexorablement dans les profondeurs de l’Histoire.
La France, opportuniste, s’engouffre dans la brèche. Parce qu’à l’image des pétromonarchies, elle est isolée dans sa propre région. En Europe, face à la Russie et à l’Allemagne, elle ne parvient pas à relancer son grand projet d’unification européenne de l’Atlantique à l’Oural. À l’Ouest, les Etats-Unis et le Royaume-Uni regardent ailleurs, vers l’Asie. Au sud, laMéditerranée n’est plus qu’un cimetière pour clandestins. La France n’a d’autre choix que de se vendre aux plus offrants : les pétromonarchies du golfe.
Est-ce là une superbe leçon de pragmatisme? La France progressiste, héritière des Lumières et de la Révolution, se livre à des rois de droit divin mais brise son isolement stratégique. En Arabie saoudite, les récentes décapitations au sabre illustrent les mœurs moyen-âgeux de nos alliés désormais les plus proches. Le printemps arabe s’est noyé dans le bain de sang de Bahreïn mais la vente d’un Rafale vaut bien un prêche wahhabite…
L’alliance que la France célèbre ces jours-ci à Doha et à Riyad n’est certes pas morale mais reste vitale si l’on considère nos intérêts immédiats. La France est économiquement exsangue et voilà que quelques bédouins enrichis viennent lui offrir un sursis de puissance et d’influence. À long terme pourtant, Paris renforce ses pires ennemis; les théocraties sunnites. Celles-ci nourrissent partout de leurs pétrodollars un islam radical que nos soldats tentent par ailleurs de contenir. En vain, parce que sur le temps long la France renonce à ses valeurs et donc à ses vrais intérêts. Pour construire une politique étrangère, plus que des contrats, il faut une vision stratégique. •
* Hadrien Desuin – Causeur
Photo : YOAN VALAT/POOL/SIPA. 00702761_000001.
le regard détourné du dirigeant Arabe en dit long sur son indifférence vis à vis de son interlocuteur français !