La Galerie des Rois au portail de Notre-Dame : 28 statues figurant les rois de Juda
Qu’ils les idolâtrent ou qu’ils les critiquent, les Français, de façon générale – y compris les royalistes – n’entendent pas grand chose aux monarchies étrangères, aux systèmes politiques et sociétaux qu’elles incarnent. Leurs jugements sont presque toujours sommaires et se font, la plupart du temps, par simple comparaison avec le système français actuel ou avec ce que fut, ou ce que pourrait être, la monarchie française. L’illustration ci-dessus montre que l’archétype du Roi ne date pas d’hier; qu’il traverse, sous des formes toujours diverses, les temps et les lieux. Y compris les nôtres ce que Frédéric Rouvillois développe ici de façon très pertinente. A noter qu’il sera l’un des intervenants au colloque « Dessine-moi un roi » qui se tiendra à Paris, samedi prochain, 9 mai.
FIGAROVOX. – La famille royale britannique s’est agrandie ce vendredi, avec la naissance du deuxième enfant du Prince William. Pages Facebook dédiées à l’évènement, paris sur le prénom, centaines de journalistes venus du monde entier massés devant la clinique, merchandising lié à la nouvelle petite princesse… Comment expliquer un tel battage médiatique ?
Frédéric Rouvillois. – Plusieurs causalités se combinent pour faire de cette naissance un évènement de portée internationale.
La plus visible réside dans le caractère people que revêt cette naissance. Cette fascination envers les célébrités est, au fond, très ancienne : elle correspond à la fascination éprouvée par le « bon peuple » envers ceux d’en haut, qu’il s’agisse de princes et de princesses ou actuellement de certains artistes à la mode. Chanteurs, comédiens et acteurs se sont, d’une certaine manière, substitués à la haute aristocratie et jouent le même rôle dans l’imaginaire populaire. Un peu de snobisme s’y rajoute d’ailleurs très probablement.
Cette fascination envers les people, qui existe depuis toujours, a été démultipliée par le développement de l’image et des médias. L’utilisation de la photo, notamment dans les journaux, a ainsi accentué le phénomène : un journal comme Point de vue s’est lancé grâce à de nombreux reportages photographiques. Les innombrables modes de diffusion actuels de l’image donnent ainsi un retentissement inouï aux événements, qui prennent une dimension planétaire.
Dans le cas de cette naissance, la fascination exercée est accentuée par l’image renvoyée par le jeune couple, qui conjugue une histoire d’amour de cinéma à une dimension princière. L’effervescence médiatique s’explique donc en partie par cette fascination envers les people et tout particulièrement envers la monarchie anglaise qui est l’une des dernières à conserver véritablement ses us et coutumes.
Mais l’intérêt suscité par cet heureux évènement contient également une dimension de psychologie politique. Dans un monde où les repères disparaissent, il est rassurant de constater qu’il existe des choses qui perdurent. La naissance de la fille du Prince William sera célébrée un peu de la façon que fut célébrée celle d’Elisabeth II ou de la reine Victoria en 1819. Dans une société qui évolue vite, et même trop vite pour la plupart des gens, de tels éléments de stabilité complète servent de cadres et de bases pour des individus qui en manquent cruellement. A l’instar de la principauté de Monaco, la monarchie anglaise donne le sentiment qu’il y a une pérennité des institutions qui se traduit par le principe monarchique. À chaque fois que celui-ci se trouve rappelé par une naissance, c’est alors le monde entier qui se réjouit, ce qui est assez sympathique !
Cela traduirait-il une aspiration à une préservation des traditions ?
Cela traduit probablement le fait que ces traditions nous manquent, que leur absence serait plutôt ressentie comme une lacune. Certains d’entre nous ont certainement envie de les préserver ou de les reconstituer tandis que d’autres ne le souhaitent pas. Ce qui est sûr, c’est que cette effervescence autour des naissances royales traduit quelque chose : il n’y a pas de fumée sans feu. En l’occurrence, ce feu est celui de quelque chose qui a disparu et que l’on aimerait retrouver.
La tour de communication de Londres a affiché «it’s a girl», une étude de la London School of Marketing indiquait que les retombées économiques de la naissance royale se solderaient à plus de 300 millions de livres. Finalement, ne serait-ce pas juste une histoire de communication et de « gros sous » ?
Les « gros sous » en sont la conséquence et non la cause. C’est parce que le public se passionne pour cet évènement que des hommes d’affaires avisés l’utilisent pour développer leur business. Autrement, cet enthousiasme aurait été présent pour chaque naissance princière. Or cela n’a pas été le cas pour des monarchies européennes toutes aussi importantes, comme les monarchies espagnole, hollandaise ou scandinave.
Comment expliquer une telle popularité de la famille royale britannique ?
Avec Monaco, elle est l’une des seules à avoir maintenu pleinement les rites de la royauté, à « jouer encore le jeu », où les institutions traditionnelles sont encore présentes.
Que ces monarchies qui ont préservé leurs traditions suscitent un tel enthousiasme, non seulement local mais aussi mondial, fait réfléchir… Petits garçons et petites filles aiment les princes et princesses, et ils apprécient que ces princes et princesses continuent à ressembler à des princes et princesses. On ne s’ampute pas en quelques instants de siècles d’histoire et de coutumes.
La monarchie anglaise a ainsi su conserver pleinement les apparences – ça n’est pas la Reine d’Angleterre qui prend les décisions prises en son nom. Et ce sont ces apparences auxquelles sont attachés les gens qui ne manifestent, en général, que peu d’intérêt pour les rapports de force politiques.
À propos d’apparence, dans Le roi au-delà de la mer, Jean Raspail dénonce les « princes de magazine » de notre époque, cantonnés à une fonction de représentation. Le rôle des monarchies européennes est-il devenu seulement symbolique ?
Ces apparences ne sont pas nulles et sans portée car elles ne sont pas de simples illusions : dans le domaine politique, au sens large du mot, les symboles conservent une immense importance. Ainsi, quand bien même il ne s’agirait que de monarchies d’apparence, celles-ci conserveraient leur intérêt dans le sens où ces symboles, c’est déjà, c’est encore quelque chose. Ils sont des éléments de stabilité, et la présence de tels repères – même s’ils sont en partie effacés et en partie illusoires – ne sont pas négligeables, comme le souligne leur succès dans les médias. Les monarchies signifient encore quelque chose pour les gens. Certains d’entre eux qui possèdent une famille royale à la tête de leur pays ont d’ailleurs le sentiment de faire un peu partie de cette famille. Cette idée est particulièrement présente en Angleterre.
Un tel scénario aurait-il pu être possible en France ?
La France n’est pas indifférente envers son passé monarchique. En 1957, quand l’actuel Comte de Paris s’est marié, le général de Gaulle – qui n’était plus au pouvoir – avait envoyé une lettre étonnante au père du marié et au marié lui-même, dans laquelle il expliquait que ce mariage qui allait avoir lieu était un événement très important pour la France et pour tous les Français. Sous la IVe république l’un des Français les plus importants du XXe siècle a ainsi souligné l’importance que revêtait l’union d’un descendant des rois de France. De même, lorsque le prince Jean d’Orléans, futur représentant de la Maison de France s’est marié, il y a eu une certaine médiatisation de la cérémonie.
Mais il faut prendre en compte le degré de médiatisation exercé. Si le prince Jean développait davantage sa communication personnelle, la naissance de ses enfants ne serait peut-être pas aussi médiatisée que celle de la petite princesse anglaise mais pourrait renouveler cette histoire d’amour des Français avec la famille qui les a gouvernés pendant plusieurs siècles. •
Frédéric Rouvillois est né en 1964. Il est professeur de droit public à l’université Paris Descartes, où il enseigne le droit constitutionnel et s’intéresse tout particulièrement à l’histoire des idées et des mentalités. Après avoir travaillé sur l’utopie et l’idée de progrès (L’invention du progrès, CNRS éditions, 2010), il a publié une Histoire de la politesse (2006), une Histoire du snobisme (2008) et plus récemment, Une histoire des best-sellers (élu par la rédaction du magazine Lire Meilleur livre d’histoire littéraire de l’année 2011).
Jean d »Orléans en a t’ il la capacité, il faudrait qu’il se manifeste plus souvent et qu'(il communique avec les médias!!
En matière de capacité des gens qui nous gouvernent aujourd’hui, il y aurait à beaucoup à dire et de solides raisons de s’interroger …
Pour autant que je puisse en juger, le prince Jean me paraît bien plus capable de gouverner la France avec sagesse et bon sens que les gugusses en place. Et le système monarchique qui soustrait le Chef de l’Etat aux servitudes électorales et partisanes ajoute, me semble-t-il, beaucoup aux capacités de l’homme lui-même … Enfin, les princes n’ont jamais gouverné seuls …
Excellent article de Frédéric ROUVILLOIS,, comme d’habitude.
Tout en respectant l’ordre dynastique, le Prince Jean aurait sans doute intérêt à faire vivre de sa présence, notre histoire nationale en s’investissant par exemple auprès du Haut Comité des Commémorations nationales. Il pourrait ainsi contribuer utilement et efficacement à ouvrir des débats publics sous forme de colloques ou de conférences sur les grands moments de notre histoire, pas seulement celle d’avant 1789 ou seulement celle d’après 1789, mais toute notre histoire. Il pourrait ainsi faire valoir par exemple que la pratique du parlementarisme en France est né de la monarchie constitutionnelle de Louis XVIII, dont le Bicentenaire n’est toujours pas évoqué en France, de manière officielle alors qu’un important colloque a lieu en Belgique. Le 800 ème anniversaire de la naissance de Saint Louis fut une excellente initiative, mais cela ne suffit pas. Quelles que soient les périodes de notre histoire nationale, hormis celle correspondant à l’exil de la Maison de France, nos Princes ont toujours oeuvré à cette histoire, même lorsque la monarchie n’était pas la forme constitutionnelle de notre Etat. Pensons à l’action du Duc d’ Aumale et à l’héritage qu’il a laissé à la France, pensons au millénaire capétien ou millénaire de la France, sous François Mitterrand en 1987. Depuis, il ne se passe plus grand chose et cela manque énormément dans le paysage français, quand tant de débats s’ouvrent sur notre identité nationale, nos Princes y ont toute leur place, il suffirait de quelques initiatives, toutes symboliques peut-être, mais tellement importantes et marquantes pour les Français. Il n’est jamais trop tard pour espérer …
Il faut vous rappeler le comportement des » Orléans » à la mort de Louis xvi!! un » Bourbon » serait plus judicieux!!
Drôle d’idée ! D’abord parce que les Orléans sont des Bourbons. Ensuite parce que la question de la « compétence » se pose quel que soit le prince. On ne peut la réserver aux Orléans ! Enfin parce que faire perdurer une querelle dynastique anachronique n’a aucun intérêt et nuit à la crédibilité de l’idée monarchique.
Bien d’accord avec DC, même si, probablement comme l’ensemble des Français, je ne partage pas son enthousiasme pour la pratique du parlementarisme en France. Les sondages montrent la défiance des Français d’aujourd’hui envers leur Parlement et leurs parlementaires. Est-ce le moment d’enfourcher le dada suranné du parlementarisme ? Mais sur le rôle plus actif du prince Jean et quel il pourrait être, d’accord avec DC.
Monsieur Durtelle de Saint-Sauveur,
Est-ce vraiment le moment de cracher dans la soupe ? Elle est déjà suffisamment indigeste !
Et vous,vous sentez-vous responsable des fautes supposées qu’auraient commises tel ou tel de vos aïeux?
En droit français-à l’image du droit romain-ce genre de faute n’existe pas.Elle ne peut être qu’imaginaire, ou éventuellement émotive, c’est-à-dire égale à zéro. Il faut en finir avec ce genre d’argumentaire nuisible!
Pour répondre à Bernard Jaquier, le parlementarisme n’est pas une fin en soi, ce n’est qu’un moyen parmi d’autres, même s’il est essentiel de concourir à l’élaboration des lois. Je ne suis effectivement pas anti parlementariste tel que Maurras a pu l’être, d’autant que le parlementarisme est né sous et grâce à la monarchie, mais je ne suis pas non plus enthousiaste au point de considérer que le système parlementaire n’a pas besoin de réformes pour mieux représenter la nation et être en adéquation avec la pratique d’une démocratie plus participative qui ne soit pas le seul monopôle des partis dont la représentativité peut être sujet à débat.
Hormis des articles de qualité ou des colloques de qualité les royalistes, enfin certains, continuent à se complaire dans des considérations d’un autre temps. Nous sommes au XXIème siècle, tout est à repenser, mais il faut bien partir de la société telle qu’elle se présente sous nos yeux, et intégrer toute notre histoire nationale. Ce n’est pas en focalisant sur Maurras, l’ Ancien Régime ou les querelles dynastiques que les royalistes seront audibles, parlons du temps présent et avançons …
Bien d’accord avec Patrick Haizet
A DC
Nous ne sommes pas loin, en fait, d’être d’accord.
Les parlements ne sont pas nés sous la Restauration, même si, ce moment-là, marque,, en quelque sorte, l’avènement des partis.
S’agissant de Maurras, les choses ne sont pas si simples : sa monarchie est « anti-parlementaire », mais je me souviens de ses formules du Manifeste fédéraliste : « nous voulons un parlement à Aix, à Toulouse, à Montpellier ». Etc.
Justement, je me demande si le parlementarisme tel qu’il subsiste aujourd’hui, en France, n’est pas une survivance des deux siècles passés et, notamment, de l’héritage pas très fameux des III et IVe républiques. Les partis donnent le spectacle d’une lamentable décadence et – aux yeux des Français d’aujourd’hui – les assemblées sont profondément discréditées. Être de son temps ? Oui, mais gare à ne pas avoir un train de retard ….
La vérité est plutôt, selon moi, en matière de représentation nationale comme en d’autres matières – que « tout est à repenser ».