Quant à nous, nous retiendrons de cet excellent billet de Philippe Bilger cette réflexion que nous faisons nôtre : « Dans notre modernité où la superficialité est désirée dans la mesure même où elle est aisément jetable, s’il fallait avoir accompli quelque chose, durablement, pour espérer la reconnaissance publique et le ciblage médiatique, nous entrerions dans une autre sphère et nous changerions de registre.» Entrer dans une autre sphère, changer de registre, c’est en effet tout notre objet. LFAR
Il y a des polémiques qui dépassent parfois l’entendement, tant elles opposent une infinie bêtise à une intelligence critique et libre.
Ce qui a récemment conduit Nabilla à traiter Catherine Deneuve ainsi relève de ce type de joute totalement disproportionné.
Qu’avait donc déclaré cette grande actrice, de plus en plus franche et lucide au fil du temps, comme si elle était parvenue à se débarrasser de ce qui encombre l’esprit et entrave la parole de beaucoup, dans les milieux politique, artistique et médiatique ?
« Il n’y a plus de stars en France. Une star est quelqu’un qui doit se montrer peu et rester dans la réserve. On voit énormément de gens très célèbres, qui ont des millions de followers et qui n’ont absolument rien fait » (Libération).
En surestimant son importance, Nabilla a considéré que ce propos la visait ! L’appréciation formulée par Catherine Deneuve la dépassait de cent coudées et abordait le problème général de la célébrité et de son peu de rapport, souvent, avec la réalité de ce qui était magnifié.
Nabilla, qui n’aurait pas dû mêler son tweet à cette affaire, devant l’émoi suscité par sa grossièreté a d’ailleurs retiré cette indélicatesse, internet permettant le pire puis heureusement son remède.
Catherine Deneuve semble définir la star comme la personne « qui doit se montrer peu et rester dans la réserve ». Même si elle songe probablement à son univers professionnel, son jugement est susceptible de se rapporter à tous ces espaces dans lesquels une gloire s’élabore, se fait ou se défait. Par exemple, ne pourrait-on pas soutenir que dans le registre culturel, Michel Houellebecq est « une star », même si ces derniers temps la multitude de ses dons l’a entraîné bien au-delà de la littérature ?
Je crois volontiers à cette exigence de rareté et de retenue. Mais ces deux exigences, précisément, sont satisfaites de la part des seules personnalités qui ont réussi à projeter une telle lumière sur elles et à susciter tant d’adhésion que, leur aura étant définitivement acquise, elles ont toute liberté pour s’abandonner alors à la réserve et à la discrétion.
Si Greta Garbo est devenue plus qu’une star : un mythe, cela tient à cette évidence que son effacement subit a suivi une incroyable fulgurance et qu’elle a été un mystère à proportion même de son éblouissante et ostensible présence avant.
C’est encore plus vrai pour ces tragédies qui, de manière irréversible, figent un être dans l’inoubliable posture que sa liberté, son étrangeté et son talent avaient construite. Comment ne pas songer, sur ce plan, à James Dean ?
Si, aujourd’hui, nous n’avons plus de stars en France, cela provient d’une part qu’aucune destinée artistique n’est plus assez incandescente pour pouvoir transcender les clivages ordinaires du goût et que d’autre part, si nous en proposons une, par exemple Gérard Depardieu, celui-ci, loin de s’entourer de parcimonie et d’ombre volontaire, abuse au contraire d’une expansion qu’il offre à tout instant, même à ceux qui s’en passeraient.
Quant à l’antagonisme entre « gens très célèbres » et « n’avoir rien fait » évoqué par Catherine Deneuve, il est central, en effet, dans notre modernité où la superficialité est désirée dans la mesure même où elle est aisément jetable. S’il fallait avoir accompli quelque chose, durablement, pour espérer la reconnaissance publique et le ciblage médiatique, nous entrerions dans une autre sphère et nous changerions de registre.
Avec une telle rigueur, une Nabilla n’aurait jamais eu la moindre chance et Catherine Deneuve n’aurait pas eu besoin de faire ce constat.
Des « vieilles jalouses aigries » comme elle, j’en redemande ! •
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